Notes de lecture

Vaneck, Léon

1990-04-01

Notes de lecture

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B. Golse est pédopsychiatre à Paris, responsable de l'Unité de Psychiatrie infantile de l'Hôpital St Vincent de Paul et médecin-chef de l'Hôpital de Jour pour jeunes enfants autistiques et psychotiques de l'Institut de Puériculture où il a succédé à Michel Soulé.

Comme il l'explique lui-même dans le "Préliminaire", ses intérêts l'ont porté du côté de l'autisme, du langage et des anorexies, trois domaines qui se situent aux racines de l'être et qui, par là, interrogent le sujet sur sa construction et sur son avènement. Comment devient-on une personne, et pas seulement une grande personne ? Un éclairage particulier spécifie l'approche de ce problème dans cet ouvrage : la bouche. La bouche pleine (ou se remplissant) de mots avec l'émergence du langage, la bouche vide (ou vidée) de l'anorexique, la bouche meurtrie et inconsolable de l'autiste face à la séparation d'avec le "mamelon-pénis". Naître à la vie psychique en tant qu'"oeuvre de bouche" : il ne s'agit pas d'un amuse-gueule car l'enjeu est de taille !

Insister, de in-sistere, s'appuyer sur : exister, de ex-sistere, se situer en dehors. C'est le titre de l'ouvrage, c'est le fil rouge qui relie tous les textes où apparaît le constat qu'exister, finalement, ne va pas de soi. En tout état de cause, poursuit B. Golse, dans son Préliminaire, dès qu'il y a pulsion de vie, l'existence insiste, et, dès qu'il y a pulsion de mort, l'insistance existe, ne serait-ce que par le biais de l'automatisme de répétition. C'est de ce balancement que nous nous construisons, forgerons de nos espaces intérieurs, gardiens de nos limites et de nos frontières extérieures. Equilibre fragile à préserver sans cesse, comme si le passage de l'être à la personne une fois accompli, l'existence se nourrissait de devoir d'insistance à personne en danger. Assistance à autrui, insistance pour soi-même face au risque de dissolution : c'est presque une leçon de maintien ! "Il ne suffit pas de naître" !

Si j'ai choisi d'introduire cette Note de lecture en reprenant l'essentiel du Préliminaire de l'auteur lui-même, c'est bien parce que j'ai estimé qu'il constituait la meilleure invitation à la lecture de l'ouvrage ; de plus, il situe déjà très clairement le fil conducteur des différents textes qui constituent un parcours réflexif personnel de l'auteur à travers ses travaux de 1980 à ce jour.

La première partie s'intitule "Du zéro à l'un-fini", titre qui est d'ailleurs celui du premier des dix chapitres ; ce chapitre situe directement le thème d'ensemble de l'ouvrage : "Certes, il ne suffit pas de naître, mais la naissance elle-même s'inscrit dans une trajectoire qui la précède et la dépasse ensuite". Cette première partie réinterroge avec beaucoup d'à propos et de pertinence certaines perspectives génétiques et métapsychologiques : du narcissisme comme concept limite – instauration et restauration des fondements du narcissisme – intériorisation des images parentales et structuration précoce de l'enfant ; d'autres chapitres abordent certains thèmes fort intéressants : la filiation, sentiment, croyance ou conviction ? – quelques données nouvelles sur les mécanismes d'apprentissage – influence des perturbations maternelles précoces – le dépistage par le pédiatre des difficultés d'investissement d'un bébé par ses parents – aspects psychodynamiques de la mort subite du nouveau-né – le sourire, le rite et la gaieté chez le jeune enfant.

J'ai particulièrement apprécié les deux chapitres consacrés au Narcissisme, où, dans une perspective à la fois claire et synthétique, B. Golse ose réaborder ce thème en totale inflation dans la littérature psychanalytique. Ses considérations relatives aux diverses identifications (primaire – secondaire – spéculaire – projective), à la fonction spéculaire (à travers Lacan, Winnicott, Stern notamment) et au concept d'objet d'arrière plan d'identification primaire de Grotstein me sont apparues particulièrement clarificatrices et de grande valeur didactique dans son approche de l'instauration des fondements du narcissisme.

Je recommande également le chapitre consacré à la filiation et essentiellement comment le sujet peut progressivement s'en faire une représentation psychique ; B. Gibson tente ici de préciser comment s'instaure et se développe ce vécu de filiation en soulignant comment il renvoie plutôt à la transmission d'un non-savoir, d'un non-objet, d'un manque où, ce qui se transmet, c'est surtout ce qui fait défaut, ceci ouvrant la porte à la question du "secret".

Quelques données sur les mécanismes d'apprentissage permettent ensuite à l'auteur de démontrer l'importance des acquisitions récentes sur la synaptogénèse (avec les travaux de J.P. CHANGEUX) pour concilier, si j'ose dire, le constructivisme de J. PIAGET et l'approche générative de N. CHOMSKY ; le concept de stabilisation sélective des synapses laisse en effet une place assez large à la plasticité neuronale et concilie ainsi le déterminisme génétique et la variabilité individuelle. En outre, ce chapitre illustre fort bien l'intérêt de l'approche multidisciplinaire d'une question aussi complexe que l'apprentissage, puisque nous y lisons comment la psychologie, la linguistique et la neuro-biologie permettent d'élaborer ensemble une attitude beaucoup plus rationnelle. Quelques pages intéressantes nous introduisent également les travaux de SPERRY, HUBEL et WIESEL, sur la neurophysiologie cérébrale, qui leur ont valu le Prix Nobel de Médecine en 1981 et qui ont peut-être valeur de modèle pour d'autres domaines de l'apprentissage.

Le chapitre consacré aux influences des perturbations maternelles précoces est plus classique ; je voudrais cependant signaler l'intéressante élaboration de B. GOLSE sur la difficile question des projections parentales, qui peuvent d'ailleurs être structurantes et pas nécessairement pathologiques, se référant aux travaux de l'école de Genève et notamment, à F. PALASIO-ES-PASA, ainsi que sur l'impact sur le bébé des pathologies maternelles avérées, notamment les dépressions maternelles, les psychoses maternelles et certaines motions pulsionnelles maternelles pathologiques.

Suivent deux chapitres intéressants "Le dépistage par le pédiatre des difficultés d'investissement d'un bébé par ses parents" et "Aspects psychodynamiques de la mort subite d'un nouveau-né".

Cette première partie se termine par un chapitre consacré au sourire, au rire et à la gaieté, à partir des travaux de SPITZ, BRAZELTON, STERN, EMDE (élève de Spitz) sur le sourire, de GESELL et STERN sur le rire, de STERN encore sur la gaieté (liens avec l'"accordage affectif").

La deuxième partie, "Du symbole au parler", aborde plus particulièrement les liens entre langage et alimentation et notamment à partir des anorexies, ainsi qu'un chapitre consacré au baiser en tant que précurseur corporel de la dénégation. Nous retrouvons clairement dans cette partie l'angle de vue particulier que B. GOLSE annonçait dès son "Préliminaire" à propos de "la bouche" dans la naissance à la vie psychique.

Enfin, la troisième partie porte un titre évocateur "De l'utérus à l'Hôpital de jour", titre que l'auteur estime lui-même un peu cynique dans la mesure où l'entrée d'un enfant à l'hôpital de jour signe un échec sur le trajet qui aurait dû le mener de l'être à la personne. B. GOLSE nous communique quelques aspects de son expérience à l'Hôpital de jour de l'Institut de Puériculture (Paris 14e), où il a succédé à M. SOULE, dont nous connaissons les importantes contributions en psychiatrie et psychanalyse de l'enfant. Outre les problèmes d'indication et de fonctionnement (je mentionne particulièrement les réflexions pertinentes "De l'usure à la révolution : expériences comparées de groupes médiatiques pour jeunes enfants psychotiques"), je voudrais relever l'intérêt des chapitres consacrés à "Analité destructive au cours des psychoses de l'enfant" et "Potentiel cognitif et prise en charge en hôpital de jour pour très jeunes enfants psychotiques".

B. GOLSE ne veut pas conclure sur un thème qui, estime-t-il, n'appelle pas de conclusion définitive. "De l'être à la personne, trajet psychologique, processus psychodynamique auquel d'ailleurs nous n'avons pas donné de nom", écrit-il. J'ai aussi choisi de ne pas conclure, mais de vous inviter à lire ce très intéressant travail. Je terminerai simplement en vous livrant les dernières lignes de B. GOLSE : "De l'être à la personne, il faut donc insister pour exister. Le Soi ou le Self, peu importe comme on l'appelle, n'est pas donné d'emblée. Combien de mythes nous parlent d'ailleurs d'une quête, lointain reflet de cette exigence initiale. Après-coup, savoir le reconnaître et la prendre en compte n'est pas seulement une question de scientificité, mais en quelque sorte d'honnêteté envers nos propres commencements et d'éthique envers ceux des enfants que nous avons à soigner".