Notes de lecture

Simon, Léon-Claude

1990-04-01

Notes de lecture

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L'ouvrage de L. CHERTOK et I. STENGERS représente incontestablement une gageure. Proposer à des psychanalystes une réflexion épistémologique concernant leur discipline en leur montrant que ce qu'ils pratiquent ne se différencie finalement en rien de la suggestion hypnotique c'est nécessairement les prendre à rebrousse-poil de la façon la plus adéquate à leur faire refermer le livre après cinquante pages. Manifestement, une petite odeur de règlements de comptes plane aux avant postes.

Il serait toutefois d'autant plus dommage de ne pas passer outre cet aspect qu'au-delà du côté provocant du travail se cache un ensemble de considérations propres à éveiller l'imagination et la réflexion.

Pour une fois en effet voilà une critique bien différente de celles dont nous sommes régulièrement abreuvés. Critique d'ailleurs dont nous pourrions dire qu'elle s'attaque tout autant, si pas plus, à nos détracteurs habituels qu'à nous.

Le propos consiste en effet à mettre en question non pas l'ensemble des découvertes de Freud et de ses successeurs mais bien le contexte scientiste qui en a toujours sous-tendu la formulation. Partant du texte "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin", les auteurs concluent : "que la psychanalyse telle que l'avait voulue Freud est un échec : non pas au sens où elle serait inférieure à d'autres pratiques thérapeutiques, mais au sens où, pas plus que les autres, elle ne permet de comprendre ce que produit une cure… Comme les astronomes d'avant Kepler multipliaient les épicycles pour sauver le mouvement des planètes dans le langage qui semblait seul digne de lui, de langage des cercles, la psychanalyse multiplie les concepts fascinants pour "sauver" la description de la cure dans le langage qui est censé en élucider le cours…".

L'important de cette phrase réside bien dans les mots : "dans le langage qui est censé en élucider le cours". C'est donc bien ce langage qu'il va falloir mettre en cause et non d'abord l'ensemble des expériences accumulées par les analystes.

Pour ceux qui sont accoutumés aux propos tenus dans d'autres écrits par I. STENGERS en tout cas, tout ceci n'a rien de particulièrement péjoratif. Cette critique est celle qu'elle adresse à l'ensemble de la pensée scientifique depuis le XVIIIe siècle : la critique du primat de la raison ou plus exactement de la croyance en la rationalité de l'univers. Ceci est d'ailleurs rappelé dans une phrase de l'avant-propos : "Comment ne pas s'étonner… du contraste entre la rigueur et l'esprit critique qui ont mené des physiciens à repousser, l'une après l'autre, toutes les tentatives de concilier le temps, réversible, de la dynamique et celui, irréversible de la thermodynamique, et du caractère quasi mystique de leur conclusion : l'irréversibilité n'est "donc" qu'une illusion, déterminée par un mode de description approximative".

Quel est donc ce langage qu'il va falloir mettre en cause ? En quoi la raison doit-elle être mise à la critique ?

Le plus simple est encore de citer le texte : "… le psychothérapeute (est) confronté depuis Freud à une double exigence que la psychanalyse prétend faire converger. La première serait de "guérir" celui qui s'adresse à lui, quel que soit le sens que l'on donne désormais à ce terme ; la seconde serait de ne pas "guérir" aveuglément, mais de guérir parce que, d'une manière ou d'une autre, les "raisons" de la souffrance deviennent l'objet d'un savoir, et ce même si, pour certains, ce savoir échappe à toute mise en représentation, à tout "acte de connaissance". … Aujourd'hui, rares sont les psychanalystes qui adhèrent à la conviction de Freud selon laquelle la psychanalyse est ou deviendra une science au même titre que la biologie ou la physique. Pourtant ce thème hante encore la psychanalyse, ne serait-ce que pour démontrer qu'il n'y a pas, qu'il ne peut y avoir d'au-delà à la psychanalyse, que ses limites et ses impuissances constituent au contraire la preuve de sa fidélité héroïque aux exigences rationnelles qui menèrent à la fondation freudienne. Il faut alors que la "raison scientifique" maintienne son identité afin que cette identité désigne ce qui ne peut que lui échapper, et que seul le psychanalyste ose affronter. C'est pourquoi l'institution psychanalytique ne cesse de se référer au modèle de la science… C'est pourquoi toute mise en question du statu quo qu'elle impose requiert les instruments nécessaires pour contester ce modèle".

Il serait dommage que des psychanalystes lisant ce texte ne se rendent pas compte de ce qu'il s'inscrit dans un large mouvement de remise en question de la science en général et que, dans l'ouvrage commenté ici, la psychanalyse ne représente somme toute qu'un "argument" au sens où ce terme est employé en chorégraphie.

C'est donc une certaine conception de la science qui est prise ici à partie, conception qui jusque dans une discipline comme la nôtre vient inscrire ses effets et qui, selon les auteurs, doit être l'objet d'une réflexion nouvelle. Réflexion qui nous permettrait sans doute à nous aussi de mieux prendre notre place tout en purifiant notre réflexion de tout parasite rationaliste.

L'erreur serait finalement de croire que nous abordons, de par le matériel que nous examinons, un ineffable auquel nous serions seuls confrontés.

Nos difficultés, nos problèmes, sont exactement ceux des autres domaines de recherche dès le moment où nous ne croyons plus à la rationalité du monde mais sommes prêts à nous porter à la rencontre d’"événements". Or, "… un événement ne se prévoit ni ne se planifie, il brouille les catégories les mieux établies et distribue de nouvelles cartes, instaure de nouveaux possibles".

Mais après tout, la cure psychanalytique est-elle autre chose qu'un événement ?