Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1988-04-01

Notes de lecture

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On sait que J. Chasseguet s'intéressa très tôt à la "sexualité féminine". L'insuffisance des réponses apportées par Freud à ce sujet l'ont incitée à publier en 1964, en collaboration avec d'autres auteurs, les "Nouvelles recherches sur la sexualité féminine". Aujourd'hui, après que ses interrogations l'aient entraînée dans les domaines de l'idéal du moi, de la perversion et de la créativité, les "Deux arbres du jardin" rassemblent les articles écrits à partir de 1984, précédés d'un article de 1975 qui introduit ses propos : "Freud et la féminité : quelques taches aveugles sur le continent noir".

J. Chasseguet rappelle que Freud, malgré de flagrantes contradictions cliniques, s'obstine à défendre la thèse du monisme sexuel phallique fondé sur la supposée méconnaissance du vagin chez le garçon et la fille. L'auteur estime que cette position traduit une théorie sexuelle infantile de Freud, défense contre la douloureuse reconnaissance de la différence des sexes et des générations, colmatage des blessures narcissiques infligées par la confrontation à la mère toute-puissante. Le succès persistant de cette théorie chez les analystes, aussi bien hommes que femmes, tient au caractère universel de ses soubassements. J. Chasseguet reprend à ce propos une thèse qu'elle défend de longue date : l'importance dans l'organisation psycho-sexuelle du petit mâle de l'affect douloureux lié à la perception de son insuffisance devant l'approche oedipienne de la mère. D'autre part, elle rappelle que l'envie du pénis n'existe pas comme fin en soi mais vise l'organe susceptible de permettre le dégagement de la mère toute-puissante.

L'élément central et original de l'ouvrage consiste à défendre l'idée de l'existence, chez l'homme et chez la femme, d'une "matrice archaïque du complexe d'Oedipe". Ce noyau primitif serait lié au "désir primaire de redécouvrir un univers primaire, sans aspérités ni différences, totalement lisse, identifié à un ventre maternel, débarrassé de ses contenus…". Au niveau de la pensée, cette aspiration correspond au recours au processus primaire, au principe de plaisir, passant par la destruction de la réalité assimilée aux contenus gênants du ventre maternel (pénis du père, bébés, fécès).

Notons encore la traduction, dans ce volume, de l'article paru dans l'International Journal of Psychoanalysis sur la féminité de l'analyste dans l'exercice de son métier. J. Chasseguet y met en évidence ce qui, dans le contre-transfert, revient plus spécifiquement aux composantes féminines de la bisexualité psychique de l'analyste et, plus particulièrement, ses dispositions à la maternité.

La dernière partie de l'ouvrage réunit des articles de psychanalyse dite appliquée. J. Chasseguet y transmet son intérêt pour l'Allemagne, les interrogations que posent à un analyste le génocide des juifs, l'idéologie nazie mais aussi la façon dont les allemands d'aujourd'hui ont à gérer la lourde culpabilité transgénérationnelle dont ils sont les héritiers.

De lecture agréable, le livre de J. Chasseguet témoigne de l'approfondissement d'une réflexion qui s'alimente à une clinique vivante, une culture foisonnante et un intérêt pour une actualisé sollicitante. L'hypothèse d'une "matrice archaïque du complexe d'oedipe", même si elle suscite la discussion, apporte une dimension stimulante à l'écoute analytique.