Notes de lecture

Godin, André

1988-04-01

Notes de lecture

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Louis Beirnaert, jésuite psychanalyste, est mort à Paris le 30 avril 1985 à 79 ans. Pour faire mémoire de sa vie et de son oeuvre, ses amis Paul Daman (s.j.) et Andrée Lehmann ont ici rassemblé vingt-deux textes dont deux inédits. Tous sont postérieurs à 1964, date d'une première publication par l'auteur lui-même, Expérience chrétienne et psychologie (Paris, Epi). Une bonne biographie de L.B. (par Claude Rabant) a paru dans Encyclopaedia Universalis, volume 1986, Vies et portraits, 527‑28.

Cette anthologie est répartie en cinq sections.

La découverte freudienne (cinq articles) situe l'importance de la pulsion de mort "sans laquelle la psychanalyse serait réduite à n'être plus qu'un jeu imaginaire entre les désirs et la répression, auquel manquerait la troisième dimension que lui assurent le symbole et la mort". Suivent les présentations de ce que Freud a désigné comme "l'homme Moïse : un roman historique" et, dans Totem et Tabou, comme "mythe scientifique" hypothèse du meurtre primordial comme événement primitif. Freud découvre là un élément de répétition qui assure l'identité dans la différence. Et L.B. commente : "Le fait est là. Une avancée capitale pour le destin de l'analyse s'est opérée quand celle-ci a abordé le domaine de la religion".

De l'éthique : désir indestructible et loi non écrite groupe également cinq textes dont un inédit. Celui-ci intitulé "Qu'est-ce que l'acte éthique ?" est le pivot de tout l'ouvrage. Brillamment écrit (sept pages, 1983), il illustre avec Antigone, une petite Valérie, un juge et Ignace de Loyola comment ce qui rend un acte éthique est qu'on soit "capable de le poser quand, en certaines circonstances, on court le risque de mort". En dernier ressort, il y a des situations où la transgression (des lois de l'autorité établie) correspond aux lois non écrites. L'analyse, fondée sur une relation de paroles et d'interprétation, restaure cette capacité éthique chez beaucoup de sujets portés à conférer une autorité à "n'importe qui supposé savoir" (l'analyste). Or la vérité qui serait identique au savoir supposé de l'autre est un leurre. "Aucun ne possède jamais le secret de mon désir", source de ma décision formellement éthique.

L'athéisme et la foi chrétienne, après Freud, sont étudiés comme discours, non parallèles, dont tout psychanalyste doit surveiller les expressions intempestives : tantôt certitude que Dieu ne serait que le père magnifié, tantôt position d'un Dieu qui ne demeurerait pas une Altérité, mystère, non objet d'un savoir. Certes, l'athéisme et la foi chrétienne demeurent des discours explicites qui s'opposent. Mais, dans le déroulement du travail analytique, un a-théisme méthodologique est nécessaire "qui n'est ni plus ni moins effrayant que le silence de Dieu dans les expériences spirituelles véritables". Cette section se termine avec des pages sur "la sexualité escamotée" et "l'indissolubilité du couple".

Lire comme on écoute comprend une relecture de quatre récits de la Bible, entreprise sur une base qui n'est pas celle de l'homologie entre un discours religieux et un discours de théorie psychanalytique (comme certains analystes chrétiens la conçoivent), même doublée d'un discours anthropologique. A ce nouveau type de re-lecture, la parabole du père-aux-deux-fils ou l'histoire de Caïn et Abel acquièrent une prégnance humaine surprenante dans l'ouverture à une Altérité qui toujours échappe.

Relire Ignace, finalement, présente sous un jour renouvelé le cheminement d'une conversion qui est loin d'être terminée quand elle prend place, puis la signification des consolations/désolations quand le respect du silence de Dieu s'impose à tout imaginaire, enfin la règle ignatienne de l'agir et la transmission dans un ordre religieux. "En fait, la spiritualité jésuite repose sur la non-transmission de ce qui la fonde. Ignace n'a pas voulu que son expérience fut transmise". Chaque Jésuite est invité à la retraverser de nouveau et sans garantie. Les sociétés de psychanalyse ne sont pas seules à faire jouer cette dialectique dans la transmission d'un héritage à un candidat qui, dûment accepté, serait ensuite supposé-savoir. En se formulant l'inutilité de la copule et, disjoignant le jésuite (et) le psychanalyste, L.B. "a signé ce qu'il a introduit de neuf dans le discours des psychanalystes sur la croyance religieuse et dans celui des croyants sur la psychanalyse" (Philippe Julien).

Un lecteur, curieux d'y aller voir de plus près, découvrira l'unité saisissante qui relie cette anthologie de textes et l'ordre parfait dans lequel ils ont été présentés.