Notes de lecture

Watillon, Annette

1987-10-01

Notes de lecture

Partager sur

Titre original : Infantile Origins of Sexual Identity, traduit de l'américain par Michèle Pollak-Cornillot.

Ce livre relate une expérience d'observation de 70 très jeunes enfants destinée à la mise en évidence de la naissance de l'identité sexuelle chez l'enfant. Le travail est centré sur les derniers mois de la première année et sur la seconde année de la vie. Les auteurs se sont particulièrement intéressés à l'élucidation des vicissitudes du développement pulsionnel, non seulement dans ses intrications avec les autres secteurs du développement de l'enfant, mais aussi dans sa manière d'affecter la relation parents-enfants.

L'expérience clinique des auteurs les a amenés à remettre en cause la théorie psychanalytique freudienne classique qui veut que les enfants des deux sexes se développent à peu près de la même manière jusqu'au début de la phase phallique, aux environs de l'âge de 3 ans. Ils reconsidèrent certains aspects de cette conception, à partir des observations faites dans une crèche expérimentale inspirée du modèle utilisé par Margaret Mahler.

La crèche peut recevoir 8 à 9 mères et leurs enfants, qui viennent se joindre aux deux institutrices et à l'équipe d'observateurs. La salle de séjour est séparée du sas des observateurs par une glace sans tain. Les mères se savent observées. Elles ont la possibilité de faire manger les enfants et ont un coin salon pour elles. Il y a une kitchenette et une salle de bain, lieu privilégié des enfants. Chaque couple mère-enfant est observé au moins deux fois par semaine. Ces observations sont complétées par celles des institutrices, présentes tous les jours. Les mères sont censées s'occuper elles-mêmes de leurs enfants ; les observateurs ont également l'occasion d'avoir des échanges avec les enfants et des conversations avec les mères.

L'étude s'est étalée de septembre 1968 à juillet 1975. Les parents avaient été préalablement prévenus de la recherche et de ses buts. Les familles désireuses de participer devaient accepter d'être présentes à une séance de deux heures, quatre fois par semaine.

Grâce aux données recueillies par cette méthode, les auteurs sont arrivés à la proposition suivante : il existe une phase génitale précoce normale débutant entre 15 et 24 mois. Cette phase est concomitante du développement de la capacité de l'enfant à différencier le soi de l'objet ; elle a lieu à la fois chez les garçons et chez les filles et parait dénuée de toute résonance oedipienne. Le contenu dynamique sous-jacent de cette phase génitale précoce se rapporte normalement à l'établissement des représentations du soi et de l'objet qui comprennent à présent la zone génitale.

Le livre est illustré par de nombreuses histoires de cas qui non seulement étayent la thèse proposée par les auteurs, mais une fois de plus, démontrent l'influence des événements familiaux sur le déroulement du développement de l'enfant (deuils, maladies, divorces, séparations précoces, mésententes, etc…). Cette phase génitale précoce est tributaire de la façon dont se sont déroulés les premiers mois et du climat familial concomitant à son apparition. Les auteurs la décrivent ainsi : "la zone génitale émerge à un moment quelconque entre 15 et 19 mois comme une source distincte et différenciée de plaisir endogène, et exerce une nouvelle influence capitale sur le sens de l'identité sexuelle, les relations d'objet, l'humeur de fond et sur d'autres aspects du fonctionnement du moi… cette période constitue une phase génitale précoce qui précède celle de la période oedipienne".

L'émergence de la conscience des organes génitaux, découlant directement de la conscience des zones anales et urinaires permet de distinguer des différences nettes entre les réactions des filles et des garçons. Dans la deuxième moitié de la deuxième année apparaissent des divergences dans la réaction à la prise de conscience de la différence des sexes, elles marquent les voies distinctes que le développement de la fille et du garçon vont prendre.

Chez les filles, on constate un accroissement remarquable de la capacité et du fonctionnement semi-symbolique en réponse à une réaction de castration précoce (par réaction de castration les auteurs désignent les réactions de l'enfant à la constatation de la différence anatomique entre les sexes. Cette réaction est à distinguer de l'angoisse de castration qui décrit la peur de subir la castration) et une recrudescence des peurs de perte d'objet et de désintégration de soi. Les filles ont semblé beaucoup plus vulnérables que les garçons car elles sont fragilisées par l'intensité des remous affectifs que la constatation de la différence des sexes suscite en elles : envie du pénis, dépressivité, augmentation de l'angoisse d'abandon.

Les garçons, en revanche, ne manifestent pas de perturbations aussi franches parce qu'ils se défendent contre l'angoisse de castration par le déni et le déplacement. L'intensité de l'attachement à la mère diminue progressivement et l'identification au père augmente. Le garçon doit en effet se dégager nettement de son identification primaire à la mère pour parvenir à un sens solide d'identité masculine. La profondeur de la relation affective au père joue ici un rôle capital et permet, dans les cas favorables, que le garçon trouve du réconfort dans une augmentation de ses tendances exhibitionnistes.

Les observations cliniques sont abondantes, détaillées, très finement comprises et mises en relation avec les événements familiaux qui interfèrent avec le développement, ainsi qu'avec le comportement affectif et éducatif des parents. Sauf dans quelques cas où le langage apparaît précocement, il manque à ces observations la confirmation par la verbalisation. Néanmoins, le grand nombre d'enfants observés, ainsi que la finesse et le sérieux des interprétations du comportement, donnent beaucoup de poids à l'hypothèse concernant l'existence d'une phase génitale précoce. Une écoute psychanalytique attentive et avertie permettra peut-être d'étayer cette thèse par des exemples tirés de cures psychanalytiques d'adultes.