Notes de lecture

Alsteens, André

1987-10-01

Notes de lecture

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Bien des analystes ont apprécié le fameux article de Torok sur Maladie du deuil et fantasme du cadavre exquis, mais là s'arrête souvent leur connaissance de ces deux auteurs. Par cette édition remaniée et complétée de l'ouvrage de 1978, rassemblant une série de textes, dont certains même inédits, ils trouveront l'occasion de compléter leur information.

Deux veines traversent cet ouvrage. L'une concerne la question du statut des concepts en psychanalyse, le symbole, le langage, la notion subversive de l'Enfant ; l'autre les ratés de l'introjection, l'incorporation, la crypte, le fantôme. Une telle diversité préside à ce recueil qu'il parait difficile d'en faire la synthèse ; contentons-nous donc d'en dégager quelques réflexions.

1. La distinction entre incorporation et introjection, qui éclaire d'un jour nouveau la question de la mélancolie, mais même bien au-delà d'elle. "Deuil ou mélancolie" donne de ce point de vue un aperçu de la richesse associative, puisque ce texte nous entraîne dans une même foulée vers les fausses incorporations, le "caveau" intrapsychique, la démétaphorisation du mot, bref toute la question des impossibles introjection et (donc) individuation.

2. Par le biais d'une Préface à l'ouvrage d'Imre Hermann, trop peu connu, c'est le problème du "décramponnement" d'avec la mère qui se trouve traité et qui rejoint d'autres textes sur le symbole, l'origine de la signifiance du langage, le "crime" de l'introjection, l'éclatement de l'unité duelle, le clivage originaire. A plus d'une reprise, des remarques sont faites qui croisent régulièrement ce qu'on théorise aujourd'hui sous le terme de "symbiose".

3. Toute une réflexion existe en sous-couche sur la mise en place de la mentalisation, mais aussi sur la dialectique objet interne-réalité extérieure. Les auteurs manifestent leur intérêt pour le renouvellement apporté à cette question par Husserl et le courant phénoménologique, pensant cependant que l'analyse husserlienne suppose un être au développement accompli alors qu'il est bien souvent en voie de constitution. Ce qui nous a aussi frappé, c'est combien le dialogue interne à soi ne peut à leurs yeux jamais être oublié. Nous citons : "la conscience n'est possible que grâce à l'inconscient dont l'image lui revient par le truchement de l'objet" (p. 221). Sur ce point, le texte "L'écorce et le noyau", qui a donné son titre à l'ensemble de l'ouvrage, reste capital, même s'il s'avère hélas d'une lecture difficile et, avouons-le, pas toujours compréhensible.

4. L'Inconscient reste toujours présent, comme une référence de base, constitutive de toute existence humaine, ce qui assure à ces textes en dépit de leur caractère souvent spéculatif, leur ancrage analytique.

5. Enfin, last but not least, rappelons ici, pour elles-mêmes, les nouvelles perspectives métapsychologiques apportées par la notion de crypte au sein du moi, et plus loin, par le "travail du fantôme" dans l'inconscient. La crypte renvoie à un secret enfoui, véritable inclusion dans le moi, au grand dam du développement du "je". Le fantôme a une forme de sépulture précaire donnée à un fait inavouable concernant la génération du dessus. Abraham montre ainsi, par exemple, le désir secret de Catharina qui hanta longtemps Léonard, ou la dépendance excessive des parents du petit Hans à l'égard de Freud, véritable ressort de sa phobie… Dans une perspective analogue, à divers moments, est indiquée avec force la fonction de la prohibition de l'inceste pour mettre un terme au désir de materner chez la mère. Ces divers exemples sont proches de l'intérêt actuel pour ce qui se passe d'une génération à l'autre ; le VIe acte d'Hamlet en est une illustration astucieuse.

Ces derniers thèmes sont sans doute les plus proches de la clinique et méritent toute notre attention. Il reste cependant que tout le livre manifeste une grande cohérence d'attention pour ce que j'appellerais le procès de la psychisation, aussi bien dans les difficultés individuelles rencontrées (et là, presque toute la pathologie est questionnée) qu'au niveau d'essais d'élucidation plus théorique.