Notes de lecture

Vaneck, Léon

1987-04-01

Notes de lecture

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R. Misès, auteur bien connu par ses travaux sur les psychoses, dysharmonies évolutives et processus déficitaires précoces, rappelle, dans l'introduction à ce remarquable travail catamnestique de J. Manzano et de ses collaborateurs, que très rares sont les recherches qui permettent de réunir, dans la même cohorte, une telle population d'enfants (une centaine) suivis pendant environ vingt ans ; un tel travail exceptionnel est d'autant plus remarquable, poursuit-il, qu'il s'appuie à la fois sur des moyens d'évaluation statistique rigoureux et sur une réflexion d'ordre psychodynamique qui cherche à dégager le sens des remaniements éprouvés.

Enfants psychotiques, psychoses infantiles, perspectives étiologiques et thérapeutiques des psychoses infantiles… Les travaux et recherches autour de ces thèmes ne se comptent plus. Par contre, le devenir à l'âge adulte de ces enfants psychotiques est très peu abordé et les préjugés pessimistes issus des premiers travaux catamnestiques les concernant restent très prégnants.

L'étude de J. Manzano et de ses collaborateurs a été réalisée avec le soutien du Fonds National Suisse de la Recherche, au service de guidance infantile (Professeur B. Cramer), en collaboration avec le service médico-pédagogique de Genève.

Dans le cadre de leurs activités de psychiatrie et de psychanalyse d'enfants, les auteurs ont été amenés à se pencher sur le problème de l'évolution des enfants psychotiques, de deux points de vue complémentaires : d'une part, en effectuant un certain nombre de recherches cliniques de type longitudinal et catamnestique et d'autre part, en étudiant les modifications progressives de l'organisation de la personnalité des enfants au cours des interventions thérapeutiques, en particulier des traitements en Centre de Jour et de psychothérapies analytiques.

En fait, avec ses collaborateurs, J. Manzano a réalisé deux études sur l'évolution de la psychose infantile dans le canton de Genève. La première a consisté en une étude longitudinale portant sur l'évolution de 21 enfants en Hôpital de Jour pendant 5 ans (J. Manzano et F. Palacio, Etude sur la psychose infantile, éd. SIMEP, 1983, Villeurbanne). Dans une seconde étude, qui fait l'objet du présent livre, J. Manzano, M.C. Lamunière et M. Peckova ont effectué une passionnante recherche catamnestique de 20 années sur 100 sujets.

Il est impossible de résumer ce travail dans la mesure où tous les aspects abordés doivent être pris en considération si l'on veut vraiment entrer dans l'esprit d'une recherche longitudinale assez fouillée. Je me contenterai donc de survoler les huit chapitres qui le composent :

  • dans l'introduction, après avoir discuté la notion de psychoses infantiles et de leur classification, les auteurs analysent les résultats des études comparables publiées dans la littérature.
  • le deuxième chapitre est consacré à la méthodologie de la recherche.
  • ce qui permet aux auteurs d'établir le status initial des enfants examinés vingt ans auparavant.
  • le chapitre quatre aborde tous les aspects significatifs dans la trajectoire vitale des sujets et de leur famille.
  • suit naturellement un chapitre consacré au status actuel.
  • dans les quatre chapitres suivants, les auteurs exposent en détail les corrélations les plus importantes qu'ils ont pu trouver après une étude statistique. Ils comparent les données du status actuel à celles du status initial et de la trajectoire pour en arriver à tirer un certain nombre de conclusions qui sont alors discutées en fonction de l'expérience clinique et des données bibliographiques. Il est intéressant de signaler que les auteurs attirent d'entrée de jeu l'attention des lecteurs sur le fait que les chiffres, le pourcentage, les rapports statistiques largement développés dans leur texte traduisent d'une manière trop schématique et froide une réalité qui leur est apparue très riche et souvent émouvante. Au décours de leur recherche qui s'est prolongée sur cinq années, les auteurs insistent sur la dimension humaine  : "Ce sont de véritables tranches de vie que les sujets de notre étude ont fait partager pendant les cinq années qu'a duré notre recherche Puisse leur expérience, qu'ils nous ont permis de connaître avec tant de générosité, contribuer par notre intermédiaire à encourager d'autres familles soumises à cette même épreuve et stimuler d'autres chercheurs, éducateurs et thérapeutes".

Les conclusions et les discussions qui s'en suivent méritent toute notre considération. En effet, il n'est pas anodin de constater que 53% des sujets ont eu une évolution relativement positive du double point de vue psychopathologique et de l'adaptation socio-professionnelle, alors que seulement un quart des sujets a eu approximativement une évolution à qualifier de négative tandis que le quart restant représente une évolution intermédiaire.

Quelle différence, oh combien encourageante par rapport aux études antérieures, plus anciennes, souvent fort pessimistes ! Qu'il suffise par exemple de se rappeler l'étude de Bender et Faretra, de 1972, qui parle encore de 94 % de schizophrènes à l'âge adulte ! Il va sans dire que les auteurs discutent largement leurs résultats et ceux des études antérieures, ce que je ne peux évidemment reprendre ici malgré l'intérêt évident et toutes les nuances qui s'en dégagent.

Ce travail rigoureux et approfondi s'inscrit dans la lignée des recherches catamnestiques "actuelles" amorcées en 1975 par le Colloque du Centre Alfred Binet sur le devenir des enfants psychotiques (cfr S. Lebovici et E. Kestemberg, Le devenir des enfants psychotiques, P.U.F.) et poursuivies depuis par plusieurs équipes francophones.

Ses mérites sont multiples. Je me contenterai d'en souligner les deux aspects qui m'ont le plus interpellé. Soigner des enfants psychotiques constitue une entreprise de longue haleine, dont les résultats ne peuvent être évalués que bien des années plus tard, à savoir à l'âge adulte. Les résultats positifs qui se dégagent d'un nombre assez appréciable d'évolutions ne peuvent que constituer un encouragement très précieux pour les équipes institutionnelles qui se consacrent avec tellement d'investissement mais aussi tellement de doutes et parfois de désespoir au traitement des enfants psychotiques.