Notes de lecture

Minazio, Nicole

1987-04-01

Notes de lecture

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Cet ouvrage a non seulement le mérite d'être une mise au point rigoureuse de la technique psychodramatique, mais encore d'arriver au bon moment. Je m'explique. Alors que la clinique psychanalytique interroge les signes du corps, entraînant un élargissement du modèle théorique (je pense notamment aux travaux d'Anzieu et de Sami-Ali), se développent des techniques d'expression corporelle des plus diverses, voire des plus fantaisistes, leur but visant à une économie du temps d'élaboration du conflit psychique et négligeant les voies d'accès à la représentation et à la symbolisation.

C'est dans ce contexte que le terme de psychodrame peut prêter à confusion, car il évoque souvent débordement et théatralisation excessive des émotions avec, comme seule fin, le soulagement lié à une décharge, à la catharsis.

Or E. Kestemberg et P. Jeammet nous démontrent, avec la précision qui caractérise leur pensée, qu'il s'agit "d'une technique plutôt austère et difficile" s'adressant justement à des patients qui présentent des troubles de la représentation et de la symbolisation, pour lesquels la cure psychanalytique ne semble pas adéquate et pour lesquels on vise une relance de l'activité fantasmatique.

"Si dans la cure-type, le corps intervient, c'est en tant que lieu privilégié d'expression des émotions, mais c'est à la parole et non aux actes qu'est dévolue la fonction de liaison entre affects et représentation, ainsi que celle de lever des résistances et d'être le moteur du changement". Le psychodrame procède lui, en sens inverse  : par le jeu dramatique, la mobilisation du corps, il actualise et met en scène le théâtre intérieur de chacun dans un cadre spécifique et selon un processus qui lui est propre.

Aux origines, psychodrame et psychanalyse étaient aux antipodes. Moréno (1892-1974), le créateur du psychodrame, aurait dit à Freud lors d'une rencontre à la clinique psychiatrique de l'Université de Vienne en 1912  : "je commence là où vous arrivez. Vous rencontrez les autres dans le cadre artificiel de votre cabinet, je les rencontre dans la rue ou chez eux, dans leur milieu habituel. Vous analysez leurs rêves. J'essaie de leur insuffler le courage de rêver encore".

Si le psychodrame morénien a donc le mérite de découvrir l'aspect thérapeutique et libérateur des potentialités par le jeu dramatique, il présente également les limites propres à toutes les techniques d'expression corporelle qui "favorisent indéniablement une position maniaque dans cette quête obstinée d'une libération des entraves et des retrouvailles avec une plénitude de l'être qui évoque une fusion avec les objets primaires et un déni de toute perte et de toute séparation" (Anzieu).

Le psychodrame analytique se situe dans un registre différent. Comme nous l'avons souligné plus haut, la clinique pousse les analystes à s'interroger sur les failles des fonctions de symbolisation et sur les troubles de pensée, ce qui entraîne des aménagements du cadre. Les analystes d'enfants sont davantage familiarisés avec d'autres modes d'expression adjoints au langage, notamment le jeu qui mobilise à la fois l'aspect fictif et réellement vécu d'une situation. C'est ce double aspect qui est le levier du psychodrame analytique, qu'il soit individuel ou collectif. "A partir de la prise de rôle, de la mobilisation du corps, de leurs effets maturants et libérateurs des affects inhibiteurs et pathogènes, de la remémoration des émotions niées ou oubliées, le psychodrame analytique devrait permettre, grâce à son inflexion psychanalytique, un travail psychique de symbolisation équivalent à celui de la cure psychanalytique".

E. Kestemberg et P. Jeammet optent pour la technique du psychodrame individuel (un patient avec plusieurs thérapeutes) qu'ils estiment plus adéquat au développement de la névrose de transfert. "Ce dernier permet une extension de la démarche psychanalytique à une pathologie souvent grave de la personnalité, alors que le psychodrame collectif cherche à lever des inhibitions et à réduire des troubles du comportement secondaires à des conflits, de préférence d'apparition récente, relativement superficiels, et qui n'ont pas sérieusement altéré l'organisation et le fonctionnement du moi du sujet".

Le psychodrame individuel, permettant donc le développement de la névrose de transfert, s'adresserait justement à des personnes supportant mal d'être confrontées à la seule personne de l'analyste. Il se compose du patient lui-même, du directeur de jeu (qui ne participe pas au jeu) et d'un nombre de co-thérapeutes qui attendent d'être choisis par le patient pour tenir le rôle qu'il leur attribue. Etant thérapeutes, ils tentent par leur capacité d'écoute et d'empathie de décoder le théâtre inconscient. "Chaque joueur devient le représentant des identifications du patient qui sera ainsi conduit à les choisir en conséquence, révélant par là l'évolution de sa relation transférentielle". Le transfert est, comme dans tout travail psychanalytique, fondamental pour le déroulement du processus psychodramatique, mais il présente la particularité d'y être fragmenté à cause de la pluralité des thérapeutes, susceptibles d'être choisis mais aussi d'être observateurs jouant le rôle de tiers médiateurs.

Les auteurs précisent que, quelle que soit la diffraction du transfert, "c'est à partir de la figure centrale du leader et par rapport à elle, que peuvent se comprendre et s'interpréter l'ensemble des investissements transférentiels dont les différentes expressions au niveau des co-thérapeutes sont à saisir comme autant d'aménagements du transfert central"… "La technique psychodramatique a également l'avantage de rendre les investissements plus tolérables, d'en faciliter ainsi l'expression et donc d'en mieux saisir la valeur conflictuelle et/ou défensive, tandis que leur repérage par rapport à la figure unique du leader autorise progressivement unification des investissements, leur organisation en un véritable transfert et leur élaboration facilitant l'accès à une véritable ambivalence".

La représentation, c'est-à-dire la présentation hors de soi des scénarios intérieurs, a comme but de les faire réintérioriser après que le patient ait pu les connaître, les reconnaître, grâce aux jeux qui s'enchaînent tout au long de la cure.

Comme dans la cure classique, mais en prenant le chemin inverse, le but est de permettre à la personne la récréation de sa propre histoire, en se reconnaissant comme acteur, metteur en scène et auteur de ses productions fantasmatiques, "condition sine qua non pour que l'interprétation fasse sens et acquière éventuellement une valeur mutative".