Notes de lecture

Alsteens, André

1987-04-01

Notes de lecture

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Ceux qui, comme nous, ont découvert avec intérêt, sinon passion, les grands ouvrages d'Aulagnier, et tout particulièrement La violence de l'interprétation et Les destins du plaisir (PUF), se féliciteront de la présente initiative qui donne à lire, rassemblés dans ce volume, seize articles couvrant plus de 25 ans de travail et dispersés dans de multiples revues.

L'ordre suivi n'est pas strictement chronologique, l'éditeur préférant les regrouper sous 3 rubriques : Pratique de l'analyse ; Désir, demande, souffrance ; Le conflit psychotique.

Le premier volet traite du statut de la psychanalyse et de problèmes dits techniques. Avec "Comment peut-on ne pas être persan ?", c'est de la vogue de la psychanalyse et du danger de son idéologie au détriment de l'expérience analytique qu'il est question. Un autre article, sur les sociétés de psychanalyse, rédigé à l'heure d'une nouvelle scission de l'école lacanienne, met en cause les interférences qui dénaturent l'acte analytique. Au travers de ces textes, dont l'empreinte historique n'oblitère nullement une certaine pertinence, on assiste au progressif dégagement de l'auteur de ce qu'il faut bien appeler son allégeance au discours lacanien. Sur cette lancée, nous avons bien aimé, dans les deux textes suivants, l'intérêt rendu à la réalité avec "Constructions psychanalytiques" et plus encore, par sa finesse clinique, avec "Temps de parole et temps de l'écoute".

Dans un second volet, quelques thèmes rendent sensible l'évolution de la pensée de l'auteur : la question de l'identification et celle de la certitude annoncent La violence de l'interprétation, le "droit au secret" ouvre au risque d'aliénation de Destins du plaisir. "Condamné à investir" prolonge en quelque sorte les interrogations de ce dernier ouvrage pour une nouvelle attention à la réalité.

Le troisième volet requiert vraisemblablement moins de commentaires. Non qu'on n'y trouverait un propos essentiel. Mais, nous osons le croire, parce qu'il est sans doute plus familier aux lecteurs d'Aulagnier. A propos de Wolfson, elle nous rend sensible à l'effraction redoutable du discours maternel ; avec la "filiation persécutive", un très beau texte, aux ouvertures successives du Je naissant. Les quatre dernières contributions de l'ouvrage rendent compte de la théorisation originale de l'auteur et mettent en scène, à propos de l'autisme infantile et de l'adolescence, les avatars du passage au "sens" et à la constitution du Je dans son autonomie.

L'originalité de ce recueil réside d'abord dans le fait qu'il nous offre la possibilité de voir comment une psychanalyste, proche au départ des options lacaniennes, a pu poursuivre une recherche inlassable, réformer sa pensée au gré de la clinique et témoigner de l'implacable nécessité de la dialectique théorie-clinique. Mais l'intérêt majeur est davantage historique, il est dans les textes et dans la fécondité de certains concepts pour la compréhension des structures psychotiques, et à partir de là, plus largement, pour la nécessaire révision de notre théorie des processus de la pensée, de leur genèse et de leurs incidences sur tout le développement psychique. A cette condition seulement, nous serons en mesure de mieux apprécier ce qui fonde tout mode de penser et ce qui se donne dans tout transfert.

Ce n'est pas le moindre mérite de cet ouvrage de trouver ainsi à nous enrichir dans tous les secteurs de notre pensée d'analyste. La très belle Préface de Maurice Dayan, sensible, on le sait, à la notion de réalité, apporte à l'ouvrage une caution appréciable et mérite, elle aussi, notre attention.