Notes de lecture

Flagey, Danielle

1986-10-01

Notes de lecture

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L'ouvrage de M. Berger, divisé en deux volumes mais il s'agit de deux parties d'une même oeuvre, exprime avec bonheur une réflexion très complète sur le travail avec les familles en clinique pédopsychiatrique. Il y articule des références psychanalytiques et systémiques avec une rare prudence méthodologique. Les exemples de cas, très abondants, en rendent la lecture particulièrement claire, vivante et agréable.

Les psychiatres d'enfants ont toujours été confrontés à la nécessité de s'occuper des familles. Ceux d'entre eux qui évoluent dans la mouvance psychanalytique, partageront certainement notre sentiment que ce livre vient combler une lacune.

Nous savons combien la théorie psychanalytique nous est indispensable pour éclaircir notre compréhension du psychisme de l'enfant et nous ne pourrions imaginer une clinique pédopsychiatrique privée de cette référence.

Il paraît toutefois évident que la réflexion théorique concernant les rapports complexes des psychismes au sein du groupe familial et l'organisation psychique groupale de la famille est restée, jusque très récemment, insuffisamment élaborée.

Concrètement, les essais d'application des connaissances psychanalytiques dans le champ complexe d'une clinique fort éloignée de celle des candidats au divan ne se réalisent pas toujours avec la prudence et la réflexion que requiert un changement de cadre.

Le mouvement familialiste a ainsi trouvé un terrain propice où se développer sur les décombres de la psychanalyse mal appliquée. Nous savons qu'il a évolué dans un climat de polémique contre les tenants de la psychanalyse. Plus exactement, nous constatons qu'il s'est surtout opposé à certaines extensions mal élaborées des références psychanalytiques dans le champ de la clinique psychiatrique. Ce mouvement, à son tour, a donné lieu à des excès de méconnaissance de la réalité psychique.

Il était sans doute nécessaire, pour être novateur, de pouvoir faire table rase de pratiques et d'habitudes de pensée qui semblaient conduire à des impasses thérapeutiques.

Les diverses écoles familialistes, à partir de travaux considérant le système familial dans sa globalité fonctionnelle, ont créé une nouvelle clinique et un foisonnement d'inventions techniques dont nous commençons seulement à explorer la richesse.

Il nous paraît moins certain qu'elles aient créé une épistémologie révolutionnaire, comme l'affirment certains auteurs de Palo Alto (surtout P. Watzlawick). Le beau livre de M. Goutal, "Du fantasme au système" (E.S.F., Paris 1985) est venu à point nous montrer qu'il y a moins de contradictions que certains le croient entre Freud d'une part, Von Bertalanfy et Bateson de l'autre.

Actuellement, le temps des polémiques semble heureusement dépassé. Nous voyons des familialistes (par exemple ceux de l'école de Rome) redécouvrir l'importance du fantasme, et des psychanalystes tenter d'articuler des données théoriques et techniques issues des écoles systémistes et psychanalytiques.

Le travail de M. Berger s'inscrit dans cette perspective. Il utilise largement les apports de D. Anzieu et R. Kaës concernant le psychisme groupaI et les zones symbiotiques du psychisme. La référence à J. Bleger est ici également indispensable. Il se réfère aux concepts de D. Winnicott de champ transitionnel et de l'utilisation de l'objet.

Il intègre ces données, en tenant compte de la spécificité du groupe familial dans son organisation, de la hiérarchie des générations et de la différenciation des rôles sexuels.

Il nous montre un maniement technique résolument "systémiste" : il ne s'agit pas, au départ, de faire appel à l'introspection et aux associations libres, mais il utilise l'investigation des scènes concrètes de la vie quotidienne, l'exploration circulaire, la recherche de connotations positives.

Il prend ainsi une direction, qui nous semble infiniment plus intéressante que celle de l'école dite de "psychothérapie familiale psychanalytique" illustrée par le livre de A. Ruffiot ("La Thérapie familiale psychanalytique", Dunod 1981).

Ici, il n'est d'abord question que de familles de vrais psychotiques, alors que M. Berger s'adresse à une grande variété de cas en pédopsychiatrie. Cette option clinique particulière impose certaines conditions techniques, mais M. Ruffiot, se basant sur les mêmes références théoriques que Berger, utilise une procédure, conçue au plus près du cadre de la cure analytique, qui nous semble porter le risque d'effacer la spécificité de la structure familiale qu'il s'agit précisément de restaurer.

M. Berger, par contre, est très préoccupé de créer pour chaque famille, et en collaboration avec elle, un cadre sur mesure, en tenant compte de son organisation (ou non-organisation), de sa souffrance, de sa demande.

C'est ainsi que les intervalles de temps entre les séances où la participation des différentes personnes aux entretiens ne sont pas décidés par le thérapeute mais sont négociés avec la famille. Il évite ainsi de plaquer arbitrairement des conditions de travail dans des circonstances où elles ne peuvent être utilisées avec profit.

M. Berger est, nous le voyons donc, très préoccupés par l'analyse de la demande de consultation et les implications des premières interactions entre familles et thérapeutes.

Il nous montre bien tout ce qui se joue dans ces premiers contacts, où l'avenir va se déterminer, et où il s'agit d'éviter ces issues trop fréquentes de bien des consultations : la fuite, ou l'adhésion conformiste en faux self.

Son développement sur les familles non organisées, où il s'agit avant tout de créer un espace d'échange possible nous a semblé particulièrement fécond. Il se réfère ici à la notion de champ transitionnel de Winnicott qu'il s'agit de faire advenir ensemble pour qu'une communication créative puisse s'instaurer entre les membres de la famille, entre ceux-ci et le thérapeute. C'est seulement ainsi que l'utilisation de l'objet-thérapeute peut advenir (encore une notion reprise à Winnicott).

Cette réflexion sur le cadre et la nécessité de créer un champ transitionnel qui n'est pas donné d'emblée nous parait au coeur du problème qui occupe le clinicien psychanalyste en pratique "tout venant" : comment pouvons-nous nous servir de notre connaissance des mécanismes psychiques dans un cadre qui n'est pas celui de la cure analytique ?

Un autre aspect du travail de M. Berger qui nous a particulièrement intéressé, c'est la distinction qu'il fait entre le travail sur la zone prénévrotique, et celui sur la problématique névrotique de la famille.

Il attire ainsi notre attention sur la part symbiotique "normale" de toute organisation psychique, qui prend racine, en quelque sorte, dans les zones communes, indifférenciées du groupe familial.

N'y a-t-il pas là un rappel utile de cette partie du psychisme qui reste bien souvent dans l'ombre au cours de relations thérapeutiques individuelles ?

Nous ne pourrions résumer le travail si riche de M. Berger sans en altérer le sens. Il intéressera au premier chef les psychanalystes "en campagne" dans le champ de la psychiatrie infantile.

Mais il nous questionne aussi sur ce qui se joue aux limites de la pratique analytique elle-même, et là nous sommes tous interpellés.