Notes de lecture

Delahaye, Baudouin

1986-10-01

Notes de lecture

Partager sur

La psychanalyse (déjà…) au passé : un musée Freud à Londres, une association internationale d'histoire de la psychanalyse à Paris sous la direction de Alain de Mijolla, et, enfin, des histoires de la psychanalyse éditées un peu partout. La tendance actuelle dans les mouvements psychanalytiques est à la chasse au souvenir ; n'y aurait-il donc presque plus d'avenir ? En France, après le tendancieux petit Mordier (J.‑P. Mordier, Les débuts de la psychanalyse en France, 1895-1926, Petite Collection Maspéro, Paris, 1981), Elisabeth Roudinesco, fille d'une des premières analyste française, Jenny Aubry, s'est taillée une somme de plus de douze cents pages sur la grande et la petite, sinon même la toute petite histoire de la psychanalyse en France. Un premier volume (réédité, revu et corrigé aux Editions Ramsay depuis) paru en 1982, évoquait déjà avec une malice mêlée de tendresse la boue dont fut façonnés les premiers analystes, ce qui nous valut des portraits à la fois ironiques et cruels des Lafforgue, Hesnard, Sokolnicka, Pichon, Bonaparte, Parcheminey et autres Allendy. La crème de la psychanalyse à la française sera bien entendu Jacques Lacan qui tient la place cruciale de ce deuxième volume à côté de comparses plus ou moins dissidents tout en restant toujours complices, les Laplanche, Green, Pontalis, Dolto, Leclaire, choeur à cinq voix toujours d'actualité.

L'intérêt de ces deux volumes réside moins dans la multiplication de l'anecdote, bien que l'humour de l'auteur stimule notre curiosité, que dans la réflexion qu'ils nous ouvrent sur la situation de la psychanalyse d'aujourd'hui ou plus exactement des psychanalystes d'aujourd'hui. Voici cent ans très exactement que Freud écrivait son article sur le Cerveau pour l'Encyclopédie Villaret (Gehirn, 1888) dans lequel pour la première fois il faisait état de son intérêt pour le fonctionnement psychique et la pensée. En cent ans, le modèle psychanalytique n'a guère changé même en tenant compte des progressions indubitables de Mélanie Klein et de Bion qui restent pourtant des approfondissements de la théorie originelle, et la lecture des textes freudiens sont d'une actualité étonnante, à ce point étonnante que l'on peut se demander si le paradigme freudien n'est pas un paradigme clos sur lui-même. La plupart des travaux analytiques sont d'ailleurs de pures oeuvres d'exégèse. Cent années de pratique analytique n'ont finalement pas tellement changé les psychanalystes qui restent des caricatures d'eux-mêmes. Les déchirements répétitifs des individus et des écoles depuis les premiers disciples, aboutissent à un véritable morcellement du mouvement psychanalytique particulièrement en France où il existerait à ce jour plus de vingt-cinq groupes d'analystes différents ! Les rencontres analytiques montrent la diversité sinon même les oppositions radicales qui peuvent exister entre analystes appartenant au bloc monolithique et lisse de l'Association Psychanalytique Internationale. Les enjeux intellectuels, sociaux et économiques (c'est Freud qui écrivait que trop d'analystes étaient des affairistes) sont considérables en psychanalyse, le livre d'Elisabeth Roudinesco en fait la démonstration à chaque page.

Et pourtant la psychanalyse reste vivante, il n'y a pas d'autres modèles, pour l'instant, qui risquent de la mettre radicalement en question ; la pratique analytique, si on définit bien ses limites, reste la thérapeutique la plus adéquate de la névrose et de certaines psychoses ; enfin, l'éthique analytique apporte quelque espoir au monde tortueux d'aujourd'hui.

Justement, aussi décapant soit-il (et Lacan en particulier n'y est guère ménagé), ce livre garde toujours cette note d'espoir en montrant combien la psychanalyse est d'abord une histoire d'hommes.