Notes de lecture

Delahaye, Baudouin

1986-04-01

Notes de lecture

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Ce livre recueille neuf textes de chercheurs ayant travaillé en commun ou en parallèle dans le domaine de la psychopathologie avec la pensée psychanalytique comme référence constante. Constituant une mise au point intéressante des différents axes de recherche actuels, il m'a semblé particulièrement utile étant donné un souci évident de rigueur contrastant avec le flou habituel des pensées psychanalytiques dont l'expression viserait presque à dire : tant qu'à penser du subjectif, restons subjectif… S'il reste un aspect scientifique à la psychanalyse c'est moins dans son objet, l'inconscient, ses moyens, l'interprétation, que nous le retrouverons dans toute la démarche réflexive a posteriori, sans laquelle il n'y a plus de cure possible. Deux axes de recherche resteront privilégiés à ce niveau, l'épistémologie et la théorie de la technique. Certaines de ces études, dans un style un peu "universitaire", n'ont qu'un intérêt limité pour le clinicien, leur valeur étant surtout d'ordre méthodologique, ainsi les travaux sur l'unité du syndrome dépressif (J.-F. Allilaire), la transformation psychique à l'adolescence (A. Braconnier), la relation d'objet (B. Brusset), la causalité (M. Dayan) et la tristesse (R. Jouvent).

D'autres sont, me semble-t-il, d'un intérêt plus marqué pour le praticien qui cherche à penser ses points de repère. Un article important de P. Fédida sur la théorie du transfert et du contre-transfert souligne la valeur de la tension dans l'analyse entre la répétition de l'infantile et l'actualité du hic et nunc, les enjeux inconscients qui peuvent se mêler à une trop grande "actualisation" de l'analyse ; la nécessité, dès lors, de mesurer constamment les moments critiques de la séance et peut-être surtout d'une séquence de séances. La pratique des cures d'états-limites et de troubles narcissiques a considérablement élargi notre compréhension du contre-transfert dont la perception doit dépasser le vécu pur et simple pour être nommé et surtout pour devenir un outil de travail. Cette étude, en particulier, nous pousse à porter notre réflexion plus loin et constitue à mon avis un exemple de théorie de la pratique. C'est pour donner à ce second temps de la cure une certaine permanence que l'analyste cherche à lui donner une expression formelle qui dépasse la pure réflexion personnelle. C'est le sens de l'écrit pour beaucoup de psychanalystes, formalisation de leur pensée offerte à la critique et l'échange collégial. C'est aussi l'expression verbale avec un tiers tant dans la supervision que dans le colloque singulier ou groupal au sein d'un groupe d'appartenance, permettant à l'analyste de mieux utiliser ces moments critiques transférentiels et contre-transférentiels pour affiner ses capacités d'éveil à la vie psychique tant vis-à-vis de lui-même que vis-à-vis de son patient.

Le travail de J. Miermont fait le point sur la théorie du "dubble bind" depuis la formulation qu'en a faite G. Bateson en 1956 et tous les avatars que cette théorie a connu depuis au travers de l'Ecole de Palo-Alto et la pratique systémique. Le côté un peu académique de la présentation contraste vivement avec les écrits de Bateson qui ont toujours eu un aspect vif et spontané qui touche ; son dernier livre, traduit en 1984, La Nature et la Pensée (1979, Seuil) devrait être lu et réfléchi tant il bouscule nos habitudes à penser dans un cadre trop restrictif.

Plus astucieux et moins laborieux, l'article de P. Steiner (Phylogenèse et nostalgie) qui en s'appuyant uniquement sur les écrits de Freud nous propose une façon originale de repenser l'étayage.

Enfin, l'article de D. Widlöcher (Le parallélisme impossible) reprend les termes d'un vieux problème philosophique (monisme, dualisme, réductionnisme, idéalisme) pour les repenser dans un cadre psychanalytique en s'attachant notamment aux prétentions scientifiques de la psychanalyse. Un travail passionnant (oserais-je dire que j'ai hésité à écrire jeu en lieu et place de ce travail… ), plein de nuances, qui est assez bien le reflet du fonctionnement propre de l'analyste en dehors de la cure où il fait la démonstration de sa capacité de couper les cheveux en quatre avec un plaisir évident partagé d'ailleurs par le lecteur. Inutile d'ajouter qu'un tel article n'apporte rien de plus à une théorie de la cure ou à la pratique analytique. Comme dans certains travaux purement philosophiques on y découvre une esthétique du travail de la pensée qui soutient dans ses propres développements l'essentiel de son sens. Jeu intellectuel certes, mais probablement indispensable au fonctionnement psychique propre de l'analyste quand il ne s'occupe pas du fonctionnement de la pensée d'autrui. Quel terrain merveilleux pour les sublimations de la pulsion et Freud, déjà, se trouvait à l'aise sur ce terrain.