Notes de lecture

van Dyk, Annie

2005-04-01

Notes de lecture

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Au moment où je lisais ce livre, j’apprenais la disparition de Paul Roazen, décédé le 3 novembre 2005.

Paul Roazen n’en est pas à son premier écrit d’historien des débuts de la psychanalyse puisqu’il a déjà publié six autres livres sur le sujet, dont celui sur Viktor Tausk « Animal ; toi mon frère » (Payot, 1971) et « la Saga freudienne » (PUF, 1986).

Ici, il cherche à approcher « Freud au travail » au travers des témoignages de dix de ses analysants (Albert Hirst, David et Mark Brunswick, Edith Jackson, Robert Jokl, Kata Lévy, Irmarita Putman, Eva Rosenfeld et James et Alix Strachey), recueillis dans les années 1960. Le livre permet de se faire une idée à la fois de la manière dont Freud menait ses analyses, mais aussi de la vie des sociétés psychanalytiques à Vienne, à Londres et aux Etats-Unis avec leurs conceptions de la psychanalyse, leurs conflits institutionnels, leurs conflits de pouvoir.

Les témoignages révèlent une foule d’anecdotes sur la technique que Freud utilisait (par exemple le nombre de séances, la durée de l’analyse, comment se faisait le paiement) mais aussi et surtout sur les rapports humains que Freud entretenait avec ses patients surtout ceux qui voulaient devenir analystes (ils participaient très rapidement aux réunions scientifiques et souvent, ils étaient reçus dans la famille Freud même s’ils étaient encore en analyse avec lui !). Parfois Freud prenait en même temps plusieurs personnes de la même famille ou mari et femme (comme les Strachey). Il s’autorisait beaucoup de libertés par rapport aux recommandations qu’il faisait par ailleurs et c’est souvent très amusant de lire ses propos, mais il restait toujours soucieux de rester analyste : par exemple, Irmarita Putman, manifestement en grande difficulté, lui avait parlé d’une patiente « avec laquelle elle avait fait tout ce qu’un analyste ne doit pas faire », donner de l’argent, lui chercher un travail et Freud lui avait dit :  « Parfois il est nécessaire d’être à la fois la mère et le père d’un patient. Vous faites ce que vous pouvez ». Il était capable d’être très peu « orthodoxe » mais il s’assurait toujours que l’analyste agissait dans l’intérêt du patient et non pour obtenir une satisfaction personnelle.

Les entretiens apportent aussi des informations sur les positions politiques, culturelles ou religieuses de Freud ainsi que sur sa vie familiale et bien sûr, tout son effort pour faire connaître et accepter la psychanalyse en Europe comme aux Etats-Unis.

Il se dégage de ces entretiens une image de Freud au-delà de l’idéalisation qui en a souvent été faite, mais une image combien plus vivante, humaine et touchante ! De plus tous ces noms connus de nous, mais qui souvent ne sont que de noms, prennent tout à coup vie et consistance. On se sent transporté dans la première moitié du siècle passé et on peut mesurer aussi la différence entre cette période qui a nécessité tant de recherche et de courage pour faire admettre la psychanalyse et notre période où elle est admise comme incontournable…même par ses ennemis !