Notes de lecture

Goffin, Jean-Pierre

2004-10-01

Notes de lecture

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Cet ouvrage réunit des lettres et de nombreuses cartes postales adressées par Freud surtout à sa femme, Martha, à l’occasion de 21 voyages dans le sud de l’Europe (Toscane, Rome, Sicile, Grèce…) et aussi de ses voyages en Angleterre et aux Etats-Unis. L’auteur a choisi uniquement les voyages effectués par Freud pour son plaisir de découvrir des villes et des régions nouvelles, ne reprenant pas ici les lettres écrites à ses collègues.

Je vous invite à lire attentivement la préface de l’édition française ainsi que la présentation s’intitulant : « Hier, j’ai à nouveau rêvé de voyage ».

La préface, rédigée par Elisabeth Roudinesco, nous situe cet ouvrage dans le champ analytique de l’époque, à savoir de 1895 (première lettre) à 1923 lors de son dernier voyage à Rome, en compagnie de sa fille Anna. Cette préface nous précise l’organisation des deux mois de vacances de Freud, avec un premier mois en famille, le plus souvent dans les Alpes et le second mois réservé aux voyages. De nombreux liens sont établis par l’auteur entre les voyages et les écrits de Freud, pour ne citer que : le Moïse de Michel-Ange, le trouble de la mémoire sur l’Acropole etc. Freud n’a effectué que deux voyages avec sa femme, celle-ci n’appréciant « ni les randonnées pédestres ni les visites de sites et de musées ». Son frère Alexander et sa belle-sœur Minna, dont il avait été épris, deviennent ses compagnons de voyage favoris.

La présentation est écrite par Christfried Tögel, l’auteur de ce recueil. Nous y découvrons un Freud plus intime, en vacances, à distance de son travail et de ses écrits psychanalytiques. « … la phobie des voyages dont souffrait Freud s’exprimait surtout à travers la crainte que lui inspirait le train ». On peut penser que son frère Alexander, ingénieur, intéressé de près au réseau ferré de l’Empire austro-hongrois, l’a aidé à dépasser cette phobie en visitant Venise avec lui en 1895. Vous y trouverez aussi le courrier adressé à sa famille lors de plusieurs voyages en compagnie de Ferenczi (1910-1912).

Le corps de l’ouvrage est bien entendu constitué d’un recueil de cartes postales illustrées et de lettres. La présentation vous apparaîtra plus clairement à travers un exemple : le courrier écrit par Freud en septembre 1910 lors de son voyage à Rome, Naples et Sicile, en compagnie de Sandor Ferenczi. L’auteur nous précise le contexte dans l’histoire de la psychanalyse : Freud discutait avec Ferenczi du cas « Schreber », l’année avant de publier ses réflexions sous le titre Le Président Schreber : remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa. Je vous livre un extrait d’une lettre adressée à Martha Freud, le 4 septembre 1910 au cours d’une étape à Florence :

« Ma vieille bien-aimée

Arrivé ici hier soir, j’ai trouvé ton télégramme et reçu ta lettre avec les nouvelles attendues. A ce sujet, je n’ai qu’une remarque à faire. Si tu reçois l’une des corrections de Bergmann et qu’elles contiennent mon essai sur les perspectives d’avenir de la thérapie analytique, fais-le-moi suivre immédiatement ; rien d’autre.

Il n’est pas facile d’écrire d’ici. Tout est d’une beauté enchanteresse et nous sommes déjà dédommagés. L’éclat, la douce chaleur et la stabilité du temps et tout ce qui entre dans ce cadre. Nous n’aurons pas affaire au choléra, ni ici ni plus tard ailleurs ; il affecte une région humide sur la côte adriatique de l’Italie que nous n’approcherons absolument pas, même si nous nous rendons en Sicile par la terre ferme.

Ferenczi est très gai, montre son aptitude au plaisir et il est beaucoup moins paresseux que moi. Comme toujours, c’est un compagnon de voyage très agréable. Il vous transmet ses amitiés ; il est dans sa chambre et je ne veux pas le déranger.

Les costumes sont soit vraiment détériorés par les voyages en train, soit ne sont plus présentables. Le linge se salit beaucoup plus facilement qu’à Noordwijk. Nous devrons donc séjourner à Rome, ne serait-ce que pour la lessive… ». Etc.

Ceux qui s’attendent à découvrir des récits comparables à ceux qu’on peut lire dans les « Voyages en Italie » de Stendhal seront déçus. Freud réservait sans doute à ses collègues les réflexions imprégnées des dernières découvertes psychanalytiques. Le courrier rassemblé ici nous permet de découvrir le mari, le père informant les siens de ses déplacements au quotidien, de la qualité des hôtels, de la nourriture et des vins, des prix et de l’état de ses dépenses etc. De nombreuses cartes postales nous donnent une vue précieuse des sites et villes visitées en ce début de XXème siècle.