Notes de lecture

Vaneck, Léon

1985-04-01

Notes de lecture

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Cet ouvrage rassemble les travaux issus du très important Congrès sur les psychoses (1971) qui s'est tenu à Paris autour de LAING, COOPER, WINNICOTT et LACAN notamment. Ces textes, parus dans "Recherches" en 1967 n'ont été ensuite que partiellement repris dans la collection 10/18 en 1972. Or, les idées développées au cours de ce Congrès ont acquis au fil du temps une importance historique. Les responsables de l'édition de 1984 ont pris une très heureuse initiative en y réintroduisant les textes cliniques majeurs, notamment certains travaux des anti-psychiatres de l'époque qui adoptaient une attitude nouvelle à l'égard de la folie et un lieu d'expérience susceptible de la recevoir (KINGSLEY HALL, aujourd'hui disparu).

Après une brève préface de M. Mannoni et la reprise de sa présentation à l'édition 1972, une première partie de l'ouvrage est consacrée à "L'enfant et le çà". J'ai choisi d'en commenter brièvement quelques articles.

Un texte de D. WINNICOTT, "La schizophrénie infantile en termes d'échec d'adaptation", se base sur Bettelheim (La forteresse vide) et sur le concept d'autisme (KANNER) pour discuter cette dernière notion. L'autisme est situé par rapport à la psychose et à la schizophrénie infantile ; ensuite, les hypothèses étiologiques (psychogenèse – organicité) sont envisagées, Winnicott suggérant d'accepter toute la gamme des possibilités. De toute façon, il insiste sur l'importance de ne pas déformer la vérité pour éviter de heurter les sentiments des clients, estimant que l'enquête scientifique doit dépasser cette sorte de considération humanitaire.

Parmi les idées personnelles de Winnicott, nous retrouvons évidemment des notions fondamentales ; il évoque l'invulnérabilité de l'enfant autiste, l'angoisse "impensable" d'avant la distinction Moi-non Moi, mais aussi l'éventuel retour de ces enfants à une certaine vulnérabilité. Par ailleurs, Winnicott insiste sur la nécessité, dans la recherche d'un facteur étiologique, de disposer d'une théorie du développement affectif qui ne soit pas un mythe ; dans cette perspective, il souligne l'importance de la capacité de la mère à s'adapter aux besoins de l'enfant par son aptitude saine à s'identifier au bébé sans perdre sa propre identité ; il développe aussi la nécessité de tenir compte de la haine de la mère pour le bébé, haine inconsciente, c’est-à-dire refoulée, dont il montre les degrés variables et les destins différents notamment par rapport à l'enfant très jeune et autiste. Enfin, Winnicott souligne combien de telles idées demandent de courage de la part de ceux qui les discutent ; pourtant sans ces idées, aucun corps de chercheurs scientifiques ne pourrait progresser dans la compréhension de l'étiologie de l'autisme. Vingt ans plus tard, il est stimulant de constater combien les idées de Winnicott se sont largement développées dans la clinique et la thérapeutique des enfants autistes et psychotiques.

Les travaux des antipsychiatres de l'époque nous font retrouver un grand rêve humaniste né du malaise de la psychiatrie et de ses institutions. D. COOPER livre quelques réflexions théoriques propres à l'antipsychiatrie, notamment celles qui concernent et contestent le diagnostic de "schizophrénie" ; il considère que l'aliénation sociale vient recouvrir la plupart du temps les diverses formes d'aliénation mentale ; son groupe londonien a centré ses efforts sur l'étude des formes spécifiques d'interactions familiales qui déterminent le dire et l'agir de celui qu'on appelle "schizophrène" : pour comprendre ce qui est en jeu dans la dynamique familiale du schizophrène, il faut, dit-il, pousser l'étude jusqu'à la troisième génération et saisir là ce qui est en germe comme facteur psychotisant. Pour qui s'occupe des enfants psychotiques, ces propos sont évidemment fort évocateurs… Mais Cooper va plus loin quand il développe ensuite ses idées sur le schizophrène bouc émissaire d'un mal dont souffre la société, mettant en cause "le système social", la psychiatrie conventionnelle et aussi la psychanalyse. Il termine par des considérations personnelles sur la normalité et la santé mentale. S’appuyant sur ces notions, R.D. LAING développe les principes qui sous-tendent les expériences vécues à Kingsley Hall (Londres) pour permettre les transformations libératrices : mouvements de retour en arrière et de retour néo-génésis en avant, acting out ; on regrettera cependant la brièveté des séquences cliniques.

Un article de R. et R. LEFORT, "Contribution à l'étude de la psychose infantile avec référence à l'Oedipe", est aussi fort intéressant ; cet article précède leur livre paru au Seuil en 1980, "La naissance de l'Autre" ; cet ouvrage est un important témoignage sur le lacanisme dernière mouture, ainsi que le formule M. Ledoux dans son tout récent travail : "Conceptions psychanalytiques de la psychose infantile" au sujet duquel j'ai fait une note de lecture dans le numéro 7 de cette Revue. Ces travaux de R. et R. Lefort permettent de comprendre le point de vue des apports lacaniens.

La deuxième partie "L'intervention clinique" comprend quatre présentations :

  • "Le psychanalyste et l'institution" par G. Rimbault.
  • "Problèmes théoriques et cliniques posés par la cure des psychotiques " par R. Tostain.
  • Enfant pas comme les autres" et déni de la castration par A.L. Stern.
  • "Un enfant exposé aux symboles" par X. Audouard.

La troisième partie "Sub-version" est constituée de deux articles :

  • "Poème anti-pédagogique" par G. Michaud et
  • "Quelques problèmes théoriques de psychothérapie institutionnelle" par J. Oury.

C'est J. Lacan qui clôture, bien évidemment en s'appuyant sur les théories et les conceptions qui sont les siennes. Dans leur note introductive en 1984, R. et R. Lefort montrent les références lacaniennes à la linguistique, mathème et topologie, matière d'un discours ; c'est en effet celui dont Lacan dit qu'il le préfère, "un discours sans parole", là où le préverbal n'en fait pas moins discours.

Cette deuxième partie, clinique, me paraît un reflet et une illustration des essais d'articulation qui furent tenté dans les années 65-70, entre les théorisations de l'antipsychiatrie et les théories lacaniennes. Ces conceptions ont orienté tout un courant de pensée dans l'approche théorique, clinique et thérapeutique, notamment institutionnelle, des enfants psychotiques. L'expérience de M. MANNONI à BONNEUIL en est un exemple fort illustratif.

Je n'envisagerai évidemment pas de discuter ici mes nombreuses divergences tant théoriques que cliniques et institutionnelles avec la plupart des auteurs, D.W. WINNICOTT excepté. Ce n'est pas le lieu, ce n'est pas l'objectif de cette rubrique. Tout en regrettant que cet ouvrage regroupe essentiellement et sans doute délibérément des travaux s'inspirant des théories antipsychiatriques et lacaniennes, il a cependant le mérite de développer et d'illustrer les positions essentielles des principaux auteurs qui, il y a une vingtaine d'années, ont tenté d'aborder la psychose à partir de la double référence antipsychiatrique et lacanienne. Dans cette perspective, cet ouvrage présente un intérêt certain pour quiconque a le souci d'être informé le mieux possible des nombreuses conceptions psychanalytiques quant à la psychose infantile.