Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

2004-10-01

Notes de lecture

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Yolanda Gampel est argentine. Elle vit en Israël. Son livre fait partager au lecteur de longues années de pratique psychanalytique d’adultes, d’adolescents et d’enfants. Il tente de répondre à la question posée par l’auteur elle-même : « …y a-t-il, dans la psychanalyse, une place où mettre en relief les faits, les traumas subis par l’individu du fait d’une violence sociale, notamment de la Shoah ? ». On le voit, l’ouvrage s’inscrit dans le travail de mémoire que les 60 ans de libération du camp d’Auschwitz nous invite à élaborer actuellement.

Yolanda Gampel se réfère à la métaphore de radioactivité pour conceptualiser les effets délétères engendrés par la Shoah. Même si la volonté de tourner la page existe, elle est impuissante à juguler ce que l’auteur compare à des phénomènes radioactifs. Ce concept rend compte de la « pénétration dans l’être d’aspects terribles, violents et destructeurs ». Cet effet destructeur ne se limite pas à attaquer la victime directe mais se transmet de génération en génération, suscitant des troubles spécifiques. Le concept de transmission radioactive tente de modéliser un « phénomène inconscient, imprévisible » selon lequel les séquelles des traumatismes violents et destructeurs se perpétuent de génération en génération.

Ces séquelles se traduisent par des troubles psychologiques qui affectent les enfants et petits enfants des « survivants », rescapés des camps ou des pays occupés. Passés d’horreurs non-dites, deuils cachés, mystères jamais révélés, sont le lot des générations qui précèdent les patients évoqués, adultes ou enfants. L’analyse aide à comprendre comment les stigmates indélébiles qui marquent les grands parents et les parents impriment leur sceau sur la vie psychique et physique des descendants. C’est en clinicienne sensible et nuancée que l’auteur nous fait vivre des « histoires de cas » qui illustrent de façon pathétique ce qu’elle appelle les « résidus radioactifs » de la folie du génocide. Pour Yolanda Gampel, la « douleur de la violence sociale » ne se limite pas à l’horreur de la Shoah : elle frappe d’autres communautés, d’autres collectivités. J’admire personnellement le courage de l’auteur qui termine son ouvrage par l’évocation des souffrances liées au conflit israëlo-palestinien. Pendant de nombreuses années, Yolanda Gampel a participé à un projet de collaboration entre travailleurs dans la santé mentale, projet dont le but était de créer des liens au travers des affinités professionnelles. Entreprise délicate, douloureuse, entre israéliens et palestiniens qui, nous dits l’auteur, « sont porteurs, à travers leurs histoires respectives et leurs contextes socioculturels respectifs, de beaucoup de pertes et de deuils non finis… ». Le programme de formation assuré par les israéliens ainsi que les groupes de réflexion se sont arrêtés avec le déclenchement de la deuxième intifada. Et l’auteur de conclure en posant les lancinantes questions que le lecteur ne peut que partager avec elle, je la cite : « Sera-t-il possible de transformer un fonctionnement social destructeur en un fonctionnement qui tend à créer, à construire, à établir des échanges vitaux ? Sera-t-il possible un jour que le pouvoir de Thanatos laisse plus de place à Eros ? ».