Notes de lecture

Vaneck, Léon

2002-10-01

Notes de lecture

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Nora Kurts est psychanalyste, membre de la Société psychanalytique de Paris, venant de Suisse, où elle avait commencé sa formation et avec laquelle j'ai eu le plaisir de travailler en son temps dans le service de René Henny ; René Henny est pédopsychiatre psychanalyste lausannois et il a joué un rôle important dans nos vocations psychanalytiques et plus particulièrement en pédopsychiatrie et en psychanalyse d'enfants.

C'est un clin d'oeil souvenir que représente cette petite note de lecture. L'introduction de Nora Kurts retrace brièvement son parcours et ses repères théorico-cliniques, à Lausanne d'abord, au centre Alfred Binet (Paris 13e) ensuite, et plus particulièrement avec René Diatkine, auquel elle se réfère abondamment. Elle nous offre un remarquable travail, qui s'appuie sur de solides bases et élaborations théoriques et plus particulièrement celles qui concernent les rencontres d'un enfant avec une psychanalyste ; c'est dire que les dimensions transférentielles et contre-transférentielles constituent le fil rouge incontournable de ses divers témoignages cliniques. En effet, elle nous fait participer de façon très vivante à sept traitements d'enfants, en n'hésitant pas à rester très proche du matériel clinique tant du côté de l'enfant que du sien propre. Mais chaque histoire clinique aborde et illustre un point spécifique de l'analyse d'enfants :

-comment évaluer le changement psychique,

-l'interprétation en psychanalyse d'enfants,

-la finalité des traitements d'enfants,

-le psychodrame psychanalytique individuel,

-la psychothérapie d'un enfant psychotique,

-trauma et agir en psychothérapie d'enfants,

-le jeu en psychanalyse d'enfants.

Certaines de ces histoires cliniques ont déjà fait l'objet de publications antérieures dans différentes revues telles notamment "Evolution Psychiatrique", "Les textes du Centre Alfred Binet". Je me permets ici de signaler au lecteur que l'auteur a reçu le prix Maurice Bouvet en 1997 pour l'ensemble de ses travaux. Ces expériences cliniques portent chacune un titre évocateur.

– Dans "Alexandre et la conquête du désert", elle nous propose d'aborder la délicate et "insoluble ?" question du changement psychique au cours de l'analyse d'enfants. Mais évaluation de quoi, se demande-t-elle d'emblée ? De sa façon d'être analyste ? Du déroulement du processus analytique ? Du fonctionnement mental de l'enfant, avec ses modifications au cours du processus analytique ? Des objectifs de l'analyse de la fin de l'analyse chez l'enfant ? De tout cela à la fois ? Ces questions l'ont conduite vers le préalable central au coeur même de la relation transférentielle : le contre-transfert. L'histoire d'Alexandre et leur parcours analytique constituent une élaboration qui tente de répondre aux interrogations initiales de l'auteur.

– "L'enfant et le vampire" l'histoire de Pierre, revisite la question de l'interprétation en psychanalyse d'enfants quand il est indispensable, pour certains enfants, de s'engager dans un processus psychanalytique proprement dit, dont l'interprétation des désirs inconscients via le transfert est partie intégrante. Mais là et rien que là. Car le risque est grand de traiter un enfant comme s'il était transparent ; lui parler directement de ses désirs, de ses fantasmes inconscients comme s'il s'agissait de pensées "pensables", verbalisables, constitue toujours une agression, nous dit Nora Kurts.

– Avec "Kulturarbeit", une histoire sans fin, c'est l'épineuse question de la finalité des traitements d'enfants qui fait l'objet de la réflexion de l'auteur, qui rappelle à juste titre que les enfants capables de s'intéresser d'emblée à leur psychisme et à leurs conflits internes constituent, d'après sa propre expérience, que je partage, une minorité. Elle illustre cette problématique par l'analyse de Bastien en détaillant une première séquence en début de traitement, une deuxième qui constitue un moment particulièrement significatif au cours de l'analyse et une des dernières séances après environ trois ans et demi de traitement.

– La bande de la place d'Italie" est une expérience de psychodrame psychanalytique individuel, technique que Nora Kurts considère comme un outil très intéressant et très utile avec les enfants et surtout avec les préadolescents et adolescents pour lesquels la relation à deux peut s'avérer trop difficile. L'exemple de Manon, une grande adolescente très perturbée, "qui n'habite pas son corps", illustre remarquablement les avantages de cette technique tant pour elle que pour les thérapeutes, six en l'occurrence. Cet outil de travail a toujours été très développé au Centre Alfred Binet ; qu'il suffise de renvoyer le lecteur au premier numéro de "Psychiatrie de l'enfant" paru en 1958 sous la plume de S. Lebovici, R. Diatkine et E. Kestemberg "Bilan de dix ans de thérapeutique par le psychodrame chez l'enfant et l'adolescent". Cinquante ans plus tard, cette technique est toujours très actuelle et l'auteur nous le démontre avec grande conviction.

– A travers la psychothérapie d'un enfant psychotique, Nora Kurts, reprenant les propos de François Ladame : "Les traitements demandent un fonctionnement maximal du Moi de l'analyste" retravaille la question de la réalité qui s'impose de l'intérieur.

La rencontre entre le psychanalyste et Luc, enfant psychotique, qui est aussi la rencontre entre deux structures psychiques, donne à voir le vécu du travail psychanalytique tel qu'il peut être réalisé en traitement ambulatoire, à raison de plusieurs séances par semaine pendant cinq ans ; il faut savoir que cet enfant était par ailleurs accueilli dans le cadre d'un hôpital de jour.

– "Le Roi des Aulnes", l'histoire suivante, celle de Tristan, aborde un autre aspect très important en psychothérapie d'enfants, à savoir les questions du trauma et de l'agir ; c'est dans le cadre du transfert, toujours lui !, que la répétition va parfois prendre forme par des actes, la pulsion étant toujours active ! : actes de pensée, actes de parole ou actes moteurs. Sans compter les agirs du père à travers des questions du cadre, ce qui renvoie à toute la problématique du travail avec les parents, et notamment aux conditions indispensables pour qu'une analyse soit praticable. Nora Kurts se réfère à J.W. Goethe dans "Le Roi des Aulnes", à partir d'un rêve personnel en cours de traitement. Le père du poème cherche, commente-t-elle, à introduire le "principe de réalité", le "secondaire" et nous voyons remarquablement à l'oeuvre le travail d'élaboration de la psychanalyste, son contre-transfert, son travail créatif de figuration, de métaphorisation du non représenté, avec un patient au psychisme "troué" confronté à un vécu traumatique qui ne laisse pas de représentations. Nous sommes loin du travail interprétatif sur le refoulé, les souvenirs, les représentations. Et pourtant, quel beau travail d'analyste !

– La dernière histoire, celle d'Aloïs, est également très évocatrice pour les thérapeutes et analystes d'enfants. "L'enfant qui ne savait pas jouer" réinterroge la question du jeu en psychanalyse d'enfants et m'a immédiatement renvoyé à un article de D. Flagey sur la valeur intégratrice de l'activité ludique. Il a fallu longtemps pour qu'advienne le jeu dans ce traitement ; une longue période a été nécessaire car l'interprétation verbale ne pouvait pas être le travail essentiel, les paroles hors jeu de l'analyste angoissaient Aloïs et l'excitaient ; il a fallu d'abord que cet enfant se sente "vivant", dans "l'actualité" de leurs rencontres ; il fallait rendre vivante sa vie intérieure, sa vie fantasmatique. L'auteur nous montre comment le jeu a pu y contribuer à travers une riche élaboration contretransférentielle : l'enfant va pouvoir progressivement s'identifier à travers "le jeu associatif" dans lequel il peut se reconnaître, au rapport de l'analyste avec son propre psychisme (cfr René Diatkine).

Dans ses conclusions, elle rappelle judicieusement que la psychanalyse d'enfants est l'oeuvre de trois partenaires : l'enfant, les parents et l'analyste.

Plutôt que de résumer maladroitement ses propos, j'ai préféré pour conclure reprendre ses propos in extenso :

– "Chaque traitement analytique est une aventure, une expérience tout à fait particulière, totalement nouvelle, imprévisible, toujours surprenante. Chaque psychanalyste d'enfants développe sa propre façon de travailler, d'être à l'écoute de ce que l'enfant lui apporte – paroles, jeux, dessins, attitudes, silences -, un matériel fragmentaire, hétérogène, qui ne pourra prendre un sens, devenir compréhensible, que dans la mesure où l'analyste s'interroge et fournit une réponse associative – contenant implicitement son bagage théorique. Cette réponse associative stimule le Moi de l'enfant et lui permet de trouver une nouvelle cohérence. L'enfant saisit que ce qu'il dit, fait, dessine, joue, peut être pris en considération sans qu'on lui demande forcément d'en dire plus. L'enfant cherche à recréer le connu, avec l'analyste il répète ce qui lui est familier, parfois il agit pour provoquer une réaction dont il a l'habitude, qu'il attend. Le psychanalyste parvient en général à ne pas réagir aux provocations – sauf si son contre-transfert l'en empêche, par exemple s'il éprouve des sentiments trop violents qui l'empêchent de penser, d'associer – en développant son activité imaginative, associative, qu'il exprime éventuellement en paroles, mais pas forcément sur le coup.

Ainsi, chaque traitement psychanalytique est unique, chaque processus analytique particulier, insolite ; il est un cheminement à deux puisqu'il tient tout autant à la personnalité de l'enfant qu'à celle du psychanalyste ; il tient à l'intrication du contre-transfert – les mouvements psychiques du psychanalyste envers l'enfant – et du transfert – les mouvements psychiques de l'enfant vers son analyste.

Comprendre ce qui se passe dans un tel processus est une condition nécessaire mais non suffisante dans un traitement analytique pour amener le changement. Le changement demande une mutation, une réorganisation intérieure qui passe par le transfert et la rencontre avec le contre-transfert. Comme le dit René Diatkine, le réaménagement est une création qui n'est compréhensible que si l'on tient compte des mouvements psychiques des deux protagonistes, l'enfant et l'analyste.

Et enfin :

– "La finalité concerne l'acquisition d'un fonctionnement mental par l'enfant qui lui permettra par la suite de faire face à l'envahissement pulsionnel de l'adolescence, de traverser sans dommages cette crise nécessaire de la vie pour pouvoir ensuite vivre son existence d'adulte autonome et capable de satisfactions diverses. Quant à la fin du traitement, elle peut advenir lorsque l'analyste sent que le jeune patient est devenu capable de ce fonctionnement mental.

La fin, en fait, n'est pas une fin, puisque l'on peut espérer que les mutations du psychisme tiennent et permettent, pour toute la vie, la plus grande mobilité psychique possible".

Ce remarquable travail nous révèle la grande expérience d'une psychanalyste d'enfants engagée, son brillant savoir-faire clinique, la solidité de ses considérations théoriques et techniques. Je l'ai lu et relu avec beaucoup de plaisir. Je suis sûr qu'il constituera une référence enrichissante pour les psychothérapeutes et psychanalystes d'enfants, mais aussi d'adultes. Je pense aussi que le grand public, même non professionnel de la Santé Mentale, pourra y découvrir, dans un langage et un style clairs, ce qu'est vraiment la psychanalyse d'enfants.