Notes de lecture

Watillon, Annette

2001-10-01

Notes de lecture

Partager sur

Le dernier livre de J-M. Gauthier ne laisse pas indifférent et soulève beaucoup d’interrogations.

La participation des collaborateurs est principalement clinique. Ce sont : Nicole Autin, Manuel Cajal, Berthe Eidelman-Rehahla, Catherine Jacquemin, Nadine Urbain et Françoise Vermeylen. L’introduction théorique, les commentaires des cas cliniques et les réflexions concernant l’observation sont de J-M. Gauthier.

Les vignettes cliniques sont remarquables de finesse dans l’observation, d’intuition créative et de travail personnel sur l’implication du thérapeute dans la relation thérapeutique. Elles concernent toutes, sauf une, des cas d’enfants très perturbés, présentant des troubles envahissants du développement (autisme ?). Chacun des thérapeutes du développement illustre brillamment et à sa manière les propositions de J-M. Gauthier sur l’utilisation de l’observation minutieuse de ces enfants d’un abord particulièrement difficile. Ils sont tous fidèles à l’attitude préconisée par l’auteur face à ce genre de cas, c’est-à-dire : au lieu de se demander pourquoi tel enfant ne veut pas entrer en contact avec le thérapeute, de se poser la question du pourquoi le thérapeute n’arrive pas à créer la relation avec l’enfant. Ils sont donc tous à l’affût pour percevoir le moindre signe comportemental d’ébauche de relation et utilisent ensuite leur créativité pour répondre à cette amorce. Ils témoignent tous d’une longue patience pour arriver à renouer un fil relationnel bien ténu, mais qui reste la condition indispensable pour entreprendre un travail plus interprétatif

La lecture de ces cas cliniques m’a passionnément intéressée, sauf en ce qui concerne le cas adulte que j’ai personnellement eu plus de mal à suivre.

La part théorique, distribuée dans le livre, comporte deux thèmes principaux qui ne sont pas sans liens. C’est sans doute réducteur de résumer les nombreux commentaires de l’auteur à deux thèmes, car J-M. Gauthier aborde plusieurs problèmes intéressants, mais note de lecture oblige.

S’interrogeant sur les raisons qui ont amené Freud à proposer à ses patients de se mettre sur le divan, et s’installant derrière eux, l’auteur met l’accent sur l’aspect particulier du cadre qui supprime le regard entre l’analyste et son patient. Il en reconnaît la spécificité, mais estime que l’analyste se prive d’un apport intéressant. En analyste d’enfants chevronné, J-M. Gauthier souligne combien le regard et le corps jouent un rôle important dans le travail avec les enfants et en sont une des caractéristiques. Il écrit (p 66) : « La communication (de l’enfant) est corporelle et globale, et il serait dangereusement réducteur pour un thérapeute de ne pas tenir compte de cette totalité relationnelle. » Et plus loin : « La réalité du fonctionnement psychique de l’enfant impose une révision des concepts à partir desquels nous fondons nos interventions thérapeutiques. Il est, en effet, plus sûr sur le plan scientifique et satisfaisant sur le plan éthique de proposer que fantasmes et pensées diverses, trouvent leur origine au sein de la relation entre le thérapeute et l’enfant. C’est-à-dire que ces manifestations psychiques sont a priori (en italiques dans le texte) le reflet de ce qui se produit autant dans l’espace psychique et le corps des deux protagonistes que dans le seul passé du patient. »

J-M. Gauthier s’inscrit là dans la mouvance de ceux qui, à côté de l’outil transfero-¬contretransférentiel, attachent aussi de l’importance à la « relation » thérapeutique comme Langs, M. Van Lysebeth, A. Ferro.

La critique majeure que l’auteur adresse à Freud, est de considérer le fonctionnement psychique des individus comme totalement autonome et indépendant. Il écrit : « La démarche freudienne a indiqué l’espace psychique personnel du patient comme l’unité privilégiée du travail de l’analyste ». Il croit préférable d’estimer que la pensée est fondamentalement un mode d’échange relationnel. La pensée serait comme une sorte de produit collectif qui ne serait pas indépendant ni des psychismes mis en présence les uns des autres, ni des conditions matérielles et culturelles qui l’autorisent : « elle, (la pensée) n’est que la traduction en représentations, en figurations ou en mots, de l’ensemble des manifestations qui sont en train de se produire dans toute rencontre qu’elle soit thérapeutique ou de tout autre nature. Le thérapeute est aussi impliqué dans son corps, ses capacités de représentations et de mise en mots de ce qu’il vit. » (pp 80,81).

Son but dans cet ouvrage est de : « montrer la pertinence de l’hypothèse selon laquelle la pensée est avant tout le produit d’un échange relationnel, et, en tout cas, de faire valoir que, si autonomie il y a, elle est le résultat d’un long développement psychique. Le psychanalyste d’enfants et l’extension des cures analytiques à des patients non névrotiques semble le démontrer. »

Ce questionnement traverse tout le livre et remet en question, non seulement certaines conceptions métapsychologiques, mais aussi des aspects de la technique avec les enfants mais également avec les adultes qui n’ont pas atteint une autonomie suffisante de leur fonctionnement mental. Pour l’auteur, le dispositif analytique classique consisterait idéalement « à mettre en parallèle deux psychismes, afin que celui du patient, se déployant dans l’espace en creux que lui offre l’analyste, ce dernier en tire des conclusions quant à son contenu et sa structure. »

Il est impossible dans une note de lecture de rendre toute la richesse d’un raisonnement qui se déploie dans tout le livre et qui permet à l’auteur de témoigner de ses convictions et de sa passion.

L’autre point important, illustré par les cas cliniques et utilisé dans l’argumentation de l’auteur, concerne l’importance du regard, celui dont sont privés les deux protagonistes de la cure analytique, mais dont bénéficient ou souffrent les patients en psychothérapie. Et qui dit regard, évoque immanquablement le corps.

Le dispositif analytique nous prive d’un moyen de communication, essentiel dans notre vie courante : l’échange de regards et la vue des réactions corporelles et comportementales des autres. J-M. Gauthier insiste, à juste titre, sur le fait que le « face à face » implique que la relation thérapeutique puisse se percevoir dans les attitudes corporelles aussi bien du patient que de l’analyste. Il s’appuie sur sa formation à et sa pratique de l’observation du bébé selon la méthode d’Esther Bick.

Au passage, il réhabilite Anna Freud qui fût une des premières, après son illustre père, à insister sur l’importance de l’observation et il rend hommage à ce que l’équipe italienne de Bruti lui a apporté, principalement en ce qui concerne les applications de l’observation. Se référant à Sami-Ali, à ses propres recherches et aux cas cliniques présentés dans le livre, J-M. Gauthier nous apprend beaucoup concernant le rôle du regard dans l’acquisition de son identité par le bébé.

Je le cite : « Il est difficile de penser la possibilité même de toute individuation comme séparée du regard d’un autre posé sur nous. » Si l’enfant, dans les débuts des thérapies de développement, manifeste dans ses premiers gestes, les signes de la répétition inévitable de son histoire et de ses apprentissages familiaux, la manière dont le thérapeute les reçoit, les inscrit d’emblée dans une création relationnelle nouvelle. Avec les enfants autistes, la tâche essentielle consiste à nouer ce lien thérapeutique qui ne sera compris et interprété que dans un second temps. Cette approche demande une longue patience et une minutieuse observation du moindre petit changement dans le comportement, dans le rythme des mouvements, dans les brefs regards en coin, et permet à l’enfant de trouver une identité dans les yeux du thérapeute. A partir de ce moment d’identité trouvée dans les yeux de l’autre, ces enfants semblent vouloir connaître leur image, leur visage dans le miroir. Cet intérêt pour le miroir m’a rappelé le travail de Guy Lavallée. Par des chemins différents, J-M. Gauthier et Guy Lavallée soulignent l’importance et la nécessité du rôle de la mère dans l’interprétation de ce que l’enfant regarde. C’est grâce à elle que regarder devient « voir ». L’identité n’est pas une perception, mais une construction, une déduction qui nécessite des opérations mentales.

L’auteur s’interroge sur le concept d’angoisse de séparation chez le bébé, au huitième mois. Il écrit : « La clinique montre que l’enfant vit la plupart du temps dans un espace et dans un temps imaginaire… il vit dans un monde dont la troisième dimension n’a pas valeur de séparation et dans un temps qui, a priori, n’est pas irréversible… il faut distinguer l’espace réel perçu et l’espace tel qu’il est appréhendé ou vécu psychologiquement. » L’auteur propose de penser l’absence de la mère pour le bébé, non pas en termes de séparation mais bien en termes d’absence, de rupture dans le fonctionnement psychique du bébé en relation avec sa mère ou de rupture dans la continuité des soins.

Les enfants atteints de troubles envahissants du développement confrontent le thérapeute au dilemme de l’impasse, de l’affect paradoxal. Les cas cliniques « Marie » et « Gwenael » inspirent à l’auteur des commentaires intéressants sur l’impasse et le stress, dont il donne la définition suivante : « le stress surgit lorsqu’un être humain est soumis à une situation de conflit qu’il ne peut ni résoudre, ni fuir, ni faire disparaître ».

Le chapitre 7 est consacré à l’observation du bébé : son histoire, les critiques qu’elle suscite, mais surtout ses apports et son utilité. Jean-Marie Gauthier, qui a suivi cette formation et l’enseigne, l’utilise abondamment et avec succès. Page 240, il écrit : « Une des vertus majeures de l’observation est certainement de permettre à la personne observée de découvrir tout l’intérêt qu’il peut y avoir à se regarder soi-même. La capacité qu’a l’observation de multiplier les points de vue, est une caractéristique qui a été d’emblée reconnue par l’ensemble des auteurs qui l’utilisent. L’observation ouvre à une multiplication des regards et des points de vue. C’est une de ses vertus essentielles que de transformer l’échange des regards en une réflexion multiple des regards. » De l’observation selon la méthode d’Esther Bick, J-M. Gauthier a gardé l’apport du travail en séminaire. Il souligne l’importance du travail de groupe dans ses réflexions sur l’impasse et les moyens d’en sortir.

Le livre se termine par trois observations d’enfants très jeunes, présentant de sérieux troubles du développement. Ce sont des petits bijoux cliniques montrant comment une observation patiente, minutieuse et basée sur une longue expérience peut éclairer la compréhension des troubles d’un enfant. Elles illustrent combien l’observation est un outil thérapeutique et diagnostique essentiel dans l’évaluation du fonctionnement psychique conçu à partir de sa dimension interactive. « Par la multiplication des perspectives rendues disponibles, elle fournit un point d’appui d’importance à une métapsychologie de l’interaction et de la conscience qui ne peut éviter de retrouver l’Autre au sein de soi, dimension qui reste inaccessible en partant de la perspective solipsiste qui fut celle de Freud. »

J’ai cité cette phrase car elle contient un des enjeux de ce livre qui, à côté d’apports nouveaux et intéressants, m’a un peu gêné par son aspect trop passionnément polémique. Si je peux suivre l’auteur dans son argumentation et convenir avec lui que la présence ou non du regard et du corps dans le setting thérapeutique change radicalement les données théoriques et thérapeutiques, c’est le ton utilisé qui m’a dérangé. A mon avis, ce « ton » déforce l’argumentation. Ce livre m’a apporté un grand enrichissement et je vous encourage à le lire.