Note de lecture : “Rivista di Psicoanalisi, XLVI-4-2000.

Messina Pizzuti, Diana

2001-04-01

Notes de lecture

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La “Rivista di Psicoanalisi”, dirigée par Pier Luigi Rossi, est trimestrielle. Certains numéros sont à thème. La psychose est le thème du quatrième numéro (“Difficalità nell’incontro con la psicosi”) où se trouvent réunis des textes denses, riches, très différents quant à leur inspiration : l’histoire, F. Napolitano traite des concepts freudiens relatifs au transfert psychotique, le mythe (E.P. Fidelio), les rapports entre philosophie et psychanalyse avec l’interview de Remo Bodei (C. Albarella) et dans les articles de fond, la théorisation de Matte Blanco et Ferrari (R. Lombardi). Figurent également à l’index de tous les numéros, la critique de livres, la revue des revues étrangères et les comptes rendus vivants des congrès nationaux et internationaux.

 

Le thème de la sensorialité est au centre du travail de Pier Luigi Rossi (Vedere e non vedere. Considerazioni sull’ autismo e la regola fondamentale).

L’auteur développe sa contribution à partir de travaux de Tustin sur les “formes autistiques”, premières relations au monde (“bouche – mamelon”) où le tactile, le sensoriel précèdent le visuel et le fantasme. Et les travaux d’Aulagnier qui voit dans le besoin qu’a la psyché de se représenter, la source du pouvoir conféré à l’objet dans cette aire de la sensorialité primaire. Ce pouvoir devient violence lorsque l’objet empêche la subjectivation, la formation de la pensée et, par là, la constitution de l’identité.

Le matériel clinique présenté est la cure d’un patient ayant des épisodes de dépersonnalisation, fuite des idées, idées d’empoisonnement et agitation psychomotrice.

Le retrait autistique a progressivement été compris comme une défense face aux attaques mégalomaniaques des parts les plus malades de la personnalité. Au début de l’analyse, le discours du patient se caractérisait par un compte rendu obsessionnel des faits de la veille, auquel faisait suite un discours fragmenté, constitué d’éléments bizarrement assemblés. Les images mentales auxquelles le patient semblait faire allusion n’étaient jamais communiquées, d’où l’impression d’une “salade de mots”. Cet état cédait toutefois dès que l’analyste communiquait les bribes de sa compréhension. Ainsi, idées fixes, objets-sensations auto-produits, équivalents d’objets autistiques auxquels le patient s’agrippait, pour éviter la chute angoissante dans le vide, cédaient lorsque l’analyste restituait du sens au patient. Celui-ci retrouvait alors une respiration plus ample, les tensions étaient momentanément soulagées.

L’auteur souligne la prégnance du tactile dans les “formes autistiques” et la prégnance du visuel dans la règle de la libre association.

L’association libre, nous rappelle avec pertinence l’auteur, si elle fonde le processus analytique, n’en est pas moins le témoin du fonctionnement de l’appareil psychique. En début de cure, la libre association semblait être déformée de sorte que les images perçues ne pouvaient être traduites et communiquées en mots. Seule l’agitation née de la rencontre avec ces images pouvait être communiquée. Toutefois, les représentations fournies par l’analyste apaisaient le patient. Au fil de la cure, des éprouvés émotionnels venaient progressivement remplacer les idées fixes, des représentations de l’expérience interne émergeant des éprouvés corporels (saignement des gencives). Après deux ans d’analyse apparaissent des rêves où le patient se voit mort.

 

L’auteur y voit entre autres la capacité acquise par le patient à regarder, à observer. Le regard permet à la sensorialité “de s’enrichir d’un espace où entre soi et l’événement, situé à présent face à soi, apparaît la subjectivité d’un sentiment (…) et en fin de compte, la dimension d’une topique interne qui permet le fonctionnement psychique”. C’est toute la question du passage de la “forme” autistique à l’image visuelle et au fonctionnement associatif que l’auteur a le mérite de soulever. C’est l’aspect de représentation (darstellung) inscrit dans la règle fondamentale elle-même, qui a été un levier thérapeutique dans la cure.

L’auteur évoque aussi le passage de l’état psychotique où règne l’absence de temporalité et l’idéalisation concomitante, à “l’entrée progressive du sujet dans la temporalité”. Le Moi accepte avec courage, c’est une des qualités que Pier Luigi Rossi reconnaît à son patient, d’entreprendre le cheminement et l’investissement d’un devenir potentiel et renonce à la “réalisation déjà advenue” propre à l’idéalisation.

Enfin, est également posée la question de l’indication. Après des mois d’entretiens préliminaires, qu’est-ce qui a permis de proposer une analyse à un patient qui craignait que la violence interne n’explose ? Parmi les facteurs discutés, retenons cette “connaissance intuitive” (Chasseguet – Smigel) dont témoignent certains patients, même gravement atteints, qui permet au patient, au-delà des résistances parfois tenaces, d’avoir l’intuition de l’évolution à venir. Sorte de “poussée identificatoire”, nous dit l’auteur, qui témoigne de “l’affinité” du patient au processus analytique.

 

Marco Monari (La terapia psicoanalitica dei pazienti gravi et difficili : le prime fasi) nous invite à réfléchir aux débuts de cure de patients souffrant de pathologies graves du self et de la relation. Il met l’accent sur “la valeur paradoxale de la spontanéité contrôlée et réfléchie de l’analyste”, qui s’allie aux aspects techniques et interprétatifs. Aussi, s’emploie-t-il à réaffirmer l’importance, en séance, des processus de régulation affective, difficilement traduisibles en mots, spécifiques à chaque couple analyste-patient. Dans cette phase initiale du traitement, ces régulations permettent l’enracinement du transfert, avant son plein déploiement, dans un climat affectif qui permettra ultérieurement son interprétation. A raison, l’auteur souligne également les risques d’acting, de complaisance narcissique, de séduction et de manipulation, liés au contretransfert et aux collusions inconscientes avec le patient. Enfin, est abordée la question théorique de la fonction du jeu, au sens winnicotien, dans le développement psychique, en relation à la technique analytique tant avec les enfants qu’avec les adultes. Il s’agit de montrer au patient, non seulement l’effort parfois éprouvant fourni par l’analyste, mais aussi “le plaisir vital” qu’il retire de ce “jeu sérieux” qu’est le travail analytique.

 

A. Correale (Psicoanalisi e psicosi : fino a che punto indagare l’area traumatica ?) discute la transformation dramatique de l’épaisseur de la réalité psychique survenant dans la dépersonnalisation. L’accent est mis sur les altérations profondes des repères spatio-temporels de l’existence. L’espace psychotique perd ses qualités d’espace extérieur, il n’est plus un lieu d’exploration, de recherche et de curiosité. Il est soit dilaté à l’infini, un non-espace, soit réduit à des espaces dangereux, labyrinthiques, où tout déplacement est menace et l’intrusion toujours crainte.

 

Il en est de même pour le temps psychotique, privé d’histoire et d’avenir, tantôt immobile et figé dans la contemplation des ruines internes énigmatiques, tantôt dilaté lors des tentatives de réparation irréelle de ces mêmes ruines. L’angoisse de dépersonnalisation est d’abord angoisse de l’impuissance, de la passivité, d’être sans aucune défense. Les angoisses de morcellement seraient l’acmé des angoisses de dépersonnalisation, lors de l’accroissement des exigences de la réalité extérieure. L’aire traumatique est définie comme étant cet état de dépersonnalisation et tout événement externe et interne pouvant déclencher cet état. Elle représente une expérience catastrophique de mort psychique contre laquelle la vie toute entière s’organise, dans une tentative désespérée de l’éviter, sous la menace récurrente d’y sombrer. Le travail analytique s’inscrit au seuil de l’aire traumatique, “œuvre d’ensemble” visant à valoriser “la plénitude du rapport avec la réalité”. L’essentiel n’est pas tant la compréhension, l’exploration de cette aire traumatique, mais l’actualisation dans la cure d’expériences répétitives qui en permettent de s’en affranchir. Par ses interventions qui appellent des éclaircissements, témoignent sa surprise, et délimitent ou dilatent le discours du patient, l’analyste valorise la sensorialité, la vitalité de l’expérience.

En référence à la métaphore freudienne, le travail avec le psychotique exige non un “levare” mais un “porre” ; à savoir : conférer aux choses intensité et plénitude, du fait de les avoir partagées, et, plus encore, de les avoir découvertes avec curiosité et plaisir. Il ne s’agit pourtant pas d’une rupture avec l’attitude de réserve analytique. L’analyste “se donne en pâture” avec ses qualités de base, son authenticité, sa curiosité, sa foi discrète et non fanatique dans la bonté de la vie (Alonzi). C’est une œuvre de “tissage” s’étayant sur ce qui, progressivement, acquiert vivance et chaleur, et moins sur ce qui se “découvre”.

 

L’alternance de phases où l’analyste craint d’être inutile, voire s’ennuie face à la monotonie du récit, et celles où prédominent des actings, des identifications projectives dans un climat chargé d’anxiété, donne la mesure de l’éloignement ou de la proximité de l’aire traumatique.