Notes de lecture

Delaunoy, Jacques

2001-04-01

Notes de lecture

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Les analystes n'ont jamais été très surpris ni très scandalisés par la phrase de Simone de Beauvoir : on ne naît pas femme, on le devient.

Depuis Freud, on sait désormais que la psychosexualité est un domaine extrêmement complexe, que les choses y sont loin d'être jouées d'avance, que le chemin qui mène à l'identité sexuée est plein d'aléas et de détours.

On a beaucoup écrit sur les femmes… surtout les hommes.

Freud lui-même, on lui en a fait reproche, s'est livré à cet exercice parfois de manière très "phallocentrique".

Mais, peut-être justement en raison de ses erreurs et de ses insuffisances, en s'appuyant sur elles, les femmes analystes ont-elles pu progressivement développer leurs idées et leurs remises en question de la théorie du "maître".

À commencer par Lou Andréa Salomé qui, avec intelligence et vivacité d'esprit, avait déjà mené ce dialogue avec Freud, jusqu'à Mélanie Klein qui continua d'en débattre avec détermination et en opposition avec Anna.

Le débat a donc continué.

"Il faut bien le reconnaître, la femme occupe une place de choix dans la littérature analytique d'aujourd'hui" nous dit Jacqueline Godfrind en commençant son livre. Depuis le travail collectif, sous la direction de Chasseguet-Smirgel, le nombre d'ouvrages publiés sur la question est en augmentation constante.

On l'explore ce continent noir !

Le mérite de J. Godfrind est d'affronter la complexité du problème faite de l'ambiguïté des termes (sexualité féminine – féminin – féminité) et de la multiplicité des références théoriques et des points de vue (l'archaïque est-il sexué, le sexe "réel" de l'analyste, le féminin et le maternel).

L'auteur va donc tenter dans un premier temps d'éclaircir et de mettre un peu d'ordre conceptuel dans cet enchevêtrement tout en précisant sa propre position. On lira donc avec fruit une sorte "d'état de la question".

Mais le reste du livre vaut surtout par sa démarche théorico-clinique. Car J.Godfrind est avant tout une clinicienne. Elle va donc inscrire son propos, non pas dans des considérations générales, mais surtout dans une réflexion nourrie sans cesse par sa pratique analytique. C'est en tant qu'analyste femme ayant des femmes sur son divan que l'auteur nous livre ses pensées, illustrées donc de très nombreux exemples cliniques, particulièrement parlants et enrichissants pour nous.

Au travers de ce qui va se manifester dans le dialogue transféro-contretransférentiel, que peut-on supposer de la transmission au féminin et du féminin ?

Qu'est-ce qui va se transmettre, comment cela va-t-il se transmettre ?

Du corps de la mère et des premières relations jusqu'à la triangulation oedipienne, J.Godfrind va décrire les temps forts de ce développement psychosexuel de la fille.

On remarquera ici que ce qui sous-tend l'analyse dynamique de cette évolution reste pour l'auteur marqué par l'exigence de "penser les deux courants du transfert" notion déjà développée dans un précédent ouvrage et qui prouve ici sa belle fécondité appliquée à la féminité.

J'ai été très intéressé par les notions d'homosexualités primaire et secondaire et par leur articulation :

"la douceur du peau à peau, la souplesse du bercement, l'émotion d'une caresse, la musique des mots sont autant d'empreintes indélébiles qui inscrivent dans le corps du bébé les racines d'une jouissance sensuelle".

Telle pourrait être définie l'homosexualité primaire, infiltrée de tout l'investissement fantasmatique de la mère pour son bébé fille et de toutes les tonalités de sa capacité de rêverie.

L'auteur va décrire non seulement le conflit entre oedipe positif et négatif, ce qui est classique, mais aussi en quoi ce niveau plus génitalisé s'articule avec les soubassements de la vie psychique.

Ces pages sont fort éclairantes pour la clinique et notamment ce conflit poussé à l'incandescence que l'auteur appelle le pacte noir si souvent rencontré chez nos analysantes. Cet amour/haine porté au paroxysme, cette haine qui seule permet de prendre distance par rapport à la mère à laquelle la fille reste inconsciemment attachée au point de redouter de se noyer dans une passion amoureuse dévorante et mortelle.

Et l'homme me direz-vous, où est-il ?

Il est là, toujours là, dans la coulisse, tiers parfois exclu, dénigré ou tiers structurant, il court tout au long des pages en filigrane jusqu'à l'épilogue que je me garderai bien de révéler.

Un livre, à coup sûr, à lire par les analystes femmes… et les analystes hommes.