Note de lecture : “Nella stanza d’analisi. Emozioni, racconti, trasformazioni” A. Ferro

Messina Pizzuti, Diana

1999-04-01

Notes de lecture

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La traduction française de ce passionnant ouvrage va paraître sous le titre « La psychanalyse comme oeuvre ouverte » aux éditions Erès.

A. Ferro, dont A. Watillon avait commenté le précédent ouvrage « L’enfant et le psychanalyste » (R.B.Ps, 32, 1998), est pédopsychiatre psychanalyste, membre titulaire de la Société Psychanalytique Italienne.

La recherche clinique en Italie s’inspire largement des travaux des psychanalystes kleiniens et des post-kleiniens.

L’oeuvre de Bion en particulier, originale et féconde tant sur le plan théorique que technique, ainsi que les travaux des Baranger et de Mom sur le champ analytique, nourrissent la recherche et la clinique d’A. Ferro.

La question, abordée dans le premier chapitre, concerne les critères d’indication d’analyse et les critères de fin d’analyse.

Début et fin du processus analytique, au sein duquel la psyché de l’analyste et celle du patient, le couple analytique, créent un champ qui va être l’espace-temps où les émotions, les affects trouveront à s’exprimer par le jeu des identifications projectives croisées, par la création de récits composés d’éléments narratifs, émotifs où les personnages tiennent un rôle important.

Pour l’auteur, le personnage, à savoir toute présence significative animée ou inanimée, qui apparaît dans le récit, peut renvoyer non seulement à l’histoire du patient, à ses objets internes, aux projections fantasmatiques mais aussi au fonctionnement mental du couple en présence.

Le personnage donne ainsi une forme, une voix à ce qui, provenant aussi bien du patient que de l’analyste, se joue dans le champ qui est à son tour modulé par celui-ci. Poser une indication d’analyse est déjà le fruit d’une activation fantasmatique réciproque.

L’auteur nous invite à être attentifs aux possibilités d’effectuer des opérations transformatrices dès la première rencontre : à savoir l’activation d’images, de rêveries, de récits qui surgissent dans le couple comme promesse de fertilité du couple lui-même.

La lecture plurielle, ouverte du récit, l’oscillation des vertex d’écoute, historico-reconstructif, fantasmatique, relationnel, de champ, favorisent les transformations thérapeutiques des éléments ß en éléments α.

Le personnage et son tissu narratif seront de précieux indicateurs de ces expériences émotionnelles transformatrices ou du ratage de celles-ci et du dysfonctionnement du champ.

Coloniser le texte du patient, à savoir donner une lecture interprétative univoque du matériel selon un vertex choisi (historico-reconstructif) (fantasmatique) (de champ) a priori, c’est décoder le sens plus que promouvoir les sens, les orientations possibles et les devenirs potentiels.

A la question de l’indication d’analyse, A. Ferro préfère celle du degré de mobilisation de l’analyste.

Quelles défenses seront mobilisées face à tel patient pour éviter d’être persécuté par le trop de souffrance, quelle disponibilité pourra se déployer pour recevoir, transformer, reraconter les émotions du patient et celles activées par lui chez l’analyste ?

Dans ce travail de symbolisation, le prêt-à-porter théorique signerait la peur de l’analyste face à l’inconnu du patient, de lui-même, de ses théories, peur à laquelle les patients en grande souffrance ne manquent pas de nous confronter. Et ce sont ces patients qui ne tolèrent pas l’appauvrissement du sens de leurs communications, ratage des processus de symbolisation, lorsque nous imposons notre dialecte analytique. C’est la capacité négative, l’être sans mémoire et sans désir (Bion), qui sont donc conviés, avec les capacités de l’analyste d’accueillir et transformer les émotions et les pensées.

Et c’est de toutes ces qualités psychiques et de leur progressive introjection par le patient que dépendra l’autonomie de celui-ci.

Il ne suffit pas pour les parts les plus primitives de la psyché d’être nommées, interprétées, encore faut-il qu’elles trouvent une réalisation émotionnelle satisfaisante. La vérité relationnelle est le seul lieu possible des transformations.

Dans le deuxième chapitre « Exercices de style », l’auteur nous invite à partager son évolution théorico-clinique.

Je ne pourrai rendre compte ici de la richesse des séquences longues, détaillées, souvent en style direct, qui viennent illustrer le fonctionnement de l’analyste en séance.

A. Ferro nous montre comment la verbalisation par l’analyste des fantasmes inconscients qui apparaissent dans le récit du patient, l’interprétation du transfert, peuvent induire acting, destructivité, réactions thérapeutiques négatives, ceci lorsque les interprétations de l’analyste sont pressantes, saturées, rigides.

D’autre part, l’auteur illustre comment l’écoute de l’écoute, le travail sur le contre-transfert, les interprétations non saturées, l’attention portée au niveau émotionnel profond du couple, et donc aux identifications projectives croisées qui en sont le support, permettent la croissance du patient.

Accepter de suivre le patient sans le précéder (« le patient meilleur collègue », Bion), permettre que s’accomplisse une réalisation émotionnelle jusqu’alors inconnue et impensable, attendre de pouvoir créer une langue neuve et commune aux deux, analyste et patient, sans colonisation émotionnelle, linguistique de part et d’autre, travailler dans l’alternance et l’instabilité des vertex d’écoute, permettent au champ de s’élargir au fil de son exploration (Bion).

C’est opter pour « la psychanalyse comme oeuvre ouverte ».

A. Ferro nous montre, davantage que dans son précédent ouvrage, ce qui, dans le matériel du patient, lui permet de préférer un vertex interprétatif aux autres, afin de permettre de nouvelles ouvertures de sens, de créer de nouveaux espaces pour le déploiement de la pensée, de développer de nouvelles capacités de transformations.

La non saturation de l’interprétation, précise l’auteur, ne tient pas à la forme de celle-ci. L’intervention de l’analyste peut être ferme, directe, passionnée (quand cela lui vaudrait son aspect contenant), peut avoir le courage de points de vue neufs, peut contenir, outre les éléments de contact et de reconnaissance, un élément de surprise.

Ce qui est en jeu, c’est la relation que l’analyste sent de manière authentique pouvoir nouer avec la vérité analytique, vérité analytique qui se construit toujours dans la relation et qui ne pourrait donc lui préexister.

Ceci peut éveiller, nous dit l’auteur, peur et méfiance car cela requiert le renoncement à un code de lecture sûr et s’autovalidant, garant de la certitude pour l’analyste de son rôle et de son savoir sur lui-même, sur son patient, sur la psychanalyse.

Ce sont les capacités créatives et transformatrices de l’analyste qui sont en jeu lors de l’acceptation d’une multitude infinie de récits possibles dans la rencontre entre deux psychés en présence, des groupalités de chacune d’elles, et du champ.

Ainsi, l’émergence d’un récit, le choix d’une interprétation seront tributaires des échanges émotifs profonds et de la capacité de l’analyste d’accueillir, de transformer, de mettre en mots les « vagues émotives » activées dans le cabinet de consultation. J’aime cette expression de vagues émotives qu’A. Ferro emploie pour désigner l’identification projective.

Cela me fait penser à la mouvance vivante de la psyché qui, loin de s’enliser, desséchée, est prête à naviguer avec le patient dans des flots dont elle ignore souvent le courant et la destinée mais qui lui permettent d’en partager le voyage.

Lorsque la « vague émotive », nous dit l’auteur, n’est pas accueillie mais arrêtée, photographiée par l’interprétation, le patient le signalera dans le matériel qui suit. Aussi les réactions thérapeutiques négatives constituent de bons indicateurs d’un dys-fonctionnement de la relation analytique.

L’analyste ne pourrait à tout moment être libre et créatif.

Il s’agit davantage d’une fluctuation de moments de travail où prévalent des modèles rigides et d’autres authentiquement créateurs.

Cela aussi nous est décrit avec une grande finesse clinique.

L’impasse, objet d’un autre chapitre, qui bloque le processus analytique parfois durablement, peut nécessiter la transformation d’affect, de douleur ou de terreur intenses qui seront symbolisées, transformées par le travail contre-transférentiel douloureux de l’analyste.

L’attention est portée sur les microprocessus qui ont lieu en séance, ceux-ci étant le véritable siège des transformations.

L’activité mentale de l’analyste, nous rappelle l’auteur, est le premier lieu de changements possibles.

Or, dans un modèle de champ, il suffit d’une transformation dans n’importe quel point de celui-ci pour que l’ensemble se réorganise.

L’impasse thérapeutique peut être aussi à l’origine de nouvelles perspectives, non culpabilisantes par rapport à l’impasse elle-même.

Au sujet de l’agressivité qui, avec la sexualité fait l’objet d’un autre chapitre, le problème, affirme l’auteur, n’est pas tant d’interpréter celle-ci mais de permettre l’introjection d’un appareil psychique contenant, capable de recevoir et de transformer cette agressivité.

De restaurer, voire de développer la fonction α elle-même dans les cas graves. Là aussi, des séquences cliniques illustrent le propos.

L’agressivité comme tampon face à des interprétations inadéquates, et donc effractantes, comme défense contre des angoisses de démantèlement, comme expression latente d’une léthargie envahissant l’analyste lui-même, sont quelques-unes des configurations discutées.

La peur, thème d’un autre chapitre, est considérée comme élément premier, entraînant l’agressivité. Elle serait à la source même du besoin de mise en mots, de mise en forme (dans les cauchemars par exemple), d’éprouvés trop intenses, terrifiants, primitifs.

La peur naît de la confrontation avec la pauvreté de nos outils psychiques, elle apparaît lorsque « le narrateur interne » est mis à dure épreuve.

Ainsi, on assiste à un renversement de perspective : d’une part le narrateur peut susciter par son récit peur et angoisse, d’autre part c’est la peur elle-même qui active chez le narrateur le récit, la fable, le mythe.

La narration est une tentative de réponse aux terreurs, aux peurs, en deçà même du refoulement.

Non moins intéressante est l’appendice de cet ouvrage qui aborde la question du cadre sous différentes perspectives : l’ensemble des règles formelles, le cadre interne de l’analyste, les attaques du cadre, les agirs du patient et de l’analyste.

Je ne peux que recommander cet auteur brillant et de grand talent aux lecteurs francophones qui ne l’auraient pas encore lu.

Pour ceux qui le connaissent, ce livre est passionnant par l’étendue de l’expérience clinique si généreusement partagée avec le lecteur, la diversité des questions théorico-cliniques abordées, sa cohésion théorique et sa clarté.