Notes de lecture

Rojas Stauv, Elena

1999-04-01

Notes de lecture

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L'auteur, psychanalyste, qui a une grande expérience d'observation des bébés et des jeunes enfants psychotiques, déjà présenté dans les pages de cette même revue (n° 18, L. Vaneck) lors de sa précédente publication "Insister-exister", prolonge ici sa réflexion en prenant comme axe "la place du corps dans le mouvement d'émergence de la vie psychique".

Cet ouvrage, recueil des conférences et des publications de l'auteur, depuis 1991, postule comme thèse principale que les processus de symbolisation précoces s'enracinent dans un double ancrage : corporel et interactif. Au fil des textes, étayés par des références bibliographiques aussi vastes que pertinentes, il développe cette notion de double ancrage qu'il définit ainsi (p. 216) : le bébé vit une situation originaire où il est soumis à un excès d'excitations qu'il va d'abord ressentir comme une série d'éprouvés corporels (c'est là l'ancrage somatique) qui demeureront pour lui chaotiques et in-métabolisables si deux conditions au moins ne sont pas remplies :

-tout d'abord, un système de filtrage ou de tamisage suffisamment efficace, étant entendu que l'appareil psychique ne peut fonctionner valablement que sur des petites quantités d'énergie. Ce filtrage est assuré conjointement par l'enfant lui-même (…) et par la fonction parentale dont l'un des aspects consiste précisément en la protection de l'enfant vis-à-vis de son environnement,

-un guidage interactif ensuite (c'est là l'ancrage relationnel) qui va permettre, à l'enfant, à partir de la toile de fond inorganisée de ses diverses perceptions sensitivo-sensorielles, tout un travail de sélection, d'extraction, de triage et de discrimination, d'un ensemble de figures significatives qui vont dès lors émerger de ce fond perceptuel (…) et pour ce faire, il a besoin de la présence à ses côtés d'un adulte et singulièrement d'un adulte parlant, ou à tout le moins pensant, pour établir des liens d'opposition et de se dégager d'un simple vécu de juxtaposition." Quant à l'ancrage interactif, il se réfère à la notion bien connue de la "nécessité du détour par l'autre" (fonction alpha maternelle de Bion).

B. Golse propose d'une façon audacieuse, le corps comme "un pivot référentiel" probable du modèle psychanalytique. Pour ce faire, il reprend le concept de processus originaires, de la théorie de la pensée de P. Aulagnier. Ces processus sont les toutes premières mises en forme des éprouvés corporels, ébauches d'images, très fragmentaires, éclatées, très ancrées dans les sensations de perceptions et qui constitueraient une catégorie antérieure aux processus primaires et secondaires énoncés par Freud.

Dès son introduction, il dénonce les clivages tels que le corps et l'esprit, le vu et l'entendu, l'enfant observé et l'enfant reconstruit (par le travail psychanalytique) et ce, dans le cadre des grands défis auxquels la psychanalyse doit faire face, particulièrement dans l'abord des psychopathologies les plus archaïques.

On remarque sa capacité à trouver des convergences parmi les différents modèles qui tentent de rendre compte de la naissance de la pensée. Il fait un panorama des thèmes actuels qui concernent la petite enfance qui vont du processus d'attachement (J. Bowlby) des différentes composantes du système pare-excitation, de l'émergence du sexuel et de l'identité sexuée, de la transmission de la vie psychique en abordant la question du transgénérationnel à l'analyse de l'accordage affectif (D. Stern). Tous ces thèmes sont examinés sous l'angle du double ancrage.

Quant au modèle concernant la représentation mentale, l'auteur nous invite à prendre comme point de départ "la place du corps comme voie royale d'accès à la sémiotisation". Il poursuit son chemin par l'analyse des différents modèles sur la genèse des représentations mentales, il tient compte des apports du bébé observé et ceux du bébé reconstruit. A la fin du parcours, il souligne : d'une part, la fonction défensive de l'émergence de la symbolisation comme une réponse à la souffrance due à la perte, de l'objet et d'autre part, que "la maturation du processus de symbolisation implique l'intériorisation par l'enfant de la fonction contenante de l'objet primaire". Autrement dit, d'une façon très schématique, à partir de la création de l'espace imagé par "l'appareil à penser les pensées" (Bion), la vie durant, le sujet va s'employer à combiner, globaliser, les éprouvés corporels, les mettre en forme puis en scène et si possible les énoncer dans une pensée propre.

"Du côté de la thérapeutique", il aborde surtout les thérapies groupales des enfants psychotiques. Il met en évidence la nécessité de "l'édification des assises narcissiques en se référant au concept d'enveloppe psychique et à la dialectique contenant-contenu". Il développe les concepts de base de tout dispositif thérapeutique destiné aux enfants autistes et psychotiques : la différentiation, la malléabilité et la narrativité. Sur le plan préventif, il insiste sur le dépistage des situations à risque et applique le concept d'attention de Bion, d'où l'intérêt des interventions précoces telles que les observations directes à visée thérapeutique ou thérapies conjointes.

Dans sa conclusion, "Les formes et les contenants, d'abord !", fidèle à son souci de rester dans la métapsychologie freudienne, il soutient que dans l'induction du processus de la pensée il faut tenir compte de l'absence, de la théorie des pulsions et de l'après-coup, "trois élément cruciaux que le bébé nous invite sans doute à revisiter mais certes pas à abandonner ! L'absence qui appelle l'auto-contenance, les enveloppes qui annoncent les liens par l'investissement pulsionnel de l'objet, l'après-coup qui peut se diffracter ou se condenser dans le temps mais qui requiert toujours le support des enveloppes narratives".

Outre l'utilité du livre, dans sa globalité, comme outil pour nos recherches, chaque texte peut se lire séparément, j'ai particulièrement apprécié celui consacré au transgénérationnel où il fait une recension des théorisations sur le sujet, il les met en perpective et soulève, en s'appuyant sur des cas cliniques personnels, les richesses et limites de ce concept.

Il s'agit d'un livre stimulant, rédigé dans un style didactique, sa clarté le met à la disposition des professionnels de la petite enfance et des cliniciens pour adultes, qui peuvent trouver des bases pour conceptualiser leurs expériences.