Notes de lecture

Delaunoy, Jacques

1999-04-01

Notes de lecture

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Un livre paru récemment et écrit par Andrée Bauduin nous rappelle, dans un style clair et détaillé, qu'il fut question, pas moins, d'une véritable révolution épistémologique concernant la théorie de la cure.

La Construction de l'Espace Analytique paru en 1970 fut un fameux pavé dans la mare : "oeuvre d'un esprit rebelle qui tourne le dos aux facilités et aux effets de mode et pourchasse les idées toutes faites, oeuvre ambitieuse qui s'attaque au conformisme présent dans la pensée psychanalytique et tente de troubler son sommeil dogmatique", l'auteur nous rappelle que cette oeuvre fut aussi écrite dans un style combatif, contestataire, polémique et entraîna nombre de critiques, de colloques, bref une oeuvre qui fit penser et repenser les bases et postulats de la technique.

La psychanalyse contemporaine doit beaucoup à S. Viderman.

De quoi s'agissait-il ?

Pour la clarté de l'exposé, A. Bauduin sépare deux problèmes qui sont en réalité constamment dépendants l'un de l'autre :

– critique de Freud et de son postulat déterministe

– l'espace analytique se construit, l'interprétation est création.

Le postulat déterministe

D'après S. Viderman, la pensée de Freud repose constamment sur l'hypothèse que la névrose est la conséquence d'un événement historique, repérable, daté. Evident avec la neurotica, cette conception ne disparaît pas avec elle comme le montre l'argumentation et les développements que Freud fait à propos du rêve de l'homme aux loups concernant la scène primitive, ou à bien d'autres occasions (L. de Vinci par exemple).

La scène primitive a bien eu lieu, les éléments amenés dans le rêve sont autant de souvenirs déformés, censurés, mais il doit être possible, sinon en fait du moins en droit, de reconstruire le texte latent dans sa pureté réaliste, tel qu'il s'est passé.

On se souviendra également de la métaphore archéologique : celle de ruines enfouies, attendant d'être découvertes, de gisements attendant d'être ramenés au jour. Le travail de l'analyste consiste à reconstruire la ville telle qu'elle était, de vaincre les censures et de rendre conscient ce qui était inconscient mais qui était là.

Or nous dit Viderman "il n'y a aucun moyen de prouver la réalité de la scène primitive, elle n'est pas contenue dans le texte du rêve, elle n'est pas déduite de l'interprétation, elle est le résultat de l'imagination créatrice de Freud".

La scène primitive n'est pas de l'histoire, elle est dans la tête de Freud qui sélectionne a priori les éléments pertinents pour "bâtir son interprétation qui, bien qu'exprimant une vérité inconsciente profonde, est une invention qui n'a pas d'autre existence que dans l'esprit qui la crée et la parole qui la formule".

Et A. Bauduin de poursuivre :

"Compte tenu de la complexité, de la multiplicité et de l'ambiguïté des paramètres en jeu dans la situation analytique, il n'est pas possible d'affirmer qu'on a reconstruit l'histoire, tout au plus est-il permis de penser qu'on a construit une histoire hypothétique qui a le caractère d'un pari, qui n'est pas une découverte, mais bien une conjecture…".

"…Cette impossibilité à retrouver-reconstruire l'histoire ne tient pas à un défaut d'instrument mais bien à une limite épistémologique infranchissable".

Si cette visée devient caduque, que devient alors l'analyse ?

L'espace analytique se construit.

D'après Viderman, l'analyse est alors avant tout la mise en place d'un espace analytique au sein duquel va se développer une névrose de transfert comme conséquence de la situation analytique.

Le dispositif n'est pas une éprouvette expérimentale, où loin de la suggestion, l'analyste enregistrerait avec le plus d'objectivité et le moins de déformation le retour du refoulé, le retour du passé enfoui débarrassé de ses scories, mais le résultat d'un contrat inégal, dicté par l'analyste, où les paramètres ne sont pas négociables, un diktat qui comme tel confère un pouvoir énorme à l'analyste, y compris dans le fait de parler ou de se taire, ramène le patient à la situation infantile et contribue à l'édification de la névrose de transfert.

C'est parce que le dispositif crée une considérable inégalité que la situation infantile est réchauffée à blanc et que le transfert va se développer.

De la même manière le contre-transfert, sur lequel S. Viderman a beaucoup travaillé, n'est pas une déformation par rapport à un idéal d'objectivité.

"… si c'est à cause du contre-transfert que certaines choses nous échappent c'est grâce à lui que nous percevons toutes les autres".

Le contre-transfert est moyen de connaissance et contribue à structurer l'espace analytique :

"Quelles que soient les précautions prises par l'analyste pour maintenir son effacement et donner ainsi du jeu aux projections du patient, quels que soient sa passivité, sa neutralité, son silence et tous les autres artifices de sa technique, rien ne fera qu'il ne soit ce deuxième organisateur du champ analytique autour de quoi le patient ordonnera nécessairement sa partie qui n'est pas jouée à l'avance et qu'il ne fera pas que rejouer".

Dans ces conditions qu'en est-il de l'interprétation ?

L'interprétation est création.

Je cite les commentaires d'A. Bauduin commentant S. Viderman :

"L'interprétation n'est ni décodage ni dévoilement d'une vérité cachée déguisée mais présente, déjà là, en attente d'être découverte".

"Le choix de l'interprétation va dépendre du système de référence théorique de l'analyste ainsi que de ce qui se passe dans l'espace analytique, sa validité aussi".

" … il faut conclure que l'interprétation qui nomme, met en forme des désirs innominés, ne se contente pas de les révéler ou de les découvrir mais les fait exister, les crée".

"Pourtant il serait absurde de penser que l'analyste invente, crée ex nihilo quelque chose qui serait comme une fable… l'interprétation ne tire sa vérité que de l'espace analytique où elle est proférée. Sa vérité est relative, elle ne doit pas se laisser enfermer dans une opposition binaire vrai ou faux qui ne se justifierait que par l'idée d'une vérité immuable".

"Ainsi, c'est l'espace analytique saturé d'affects où se déploie avec toute la force qu'on sait la névrose de transfert, qui confère à l'interprétation sa seule pertinence, sa seule possibilité de produire un effet de vérité".

Nous nous trouvons ici dans une zone très particulière, de nouveau proche de la suggestion et non de l'objectivité, où ce qui s'avère plausible l'est en fonction de la situation analytique, n'a pas de caractère d'absolu, est produit et tire sa force de la saturation affective qui baigne les deux protagonistes.

Les débats furent nombreux et les critiques abondantes.

A. Bauduin nous les fait vivre tout en montrant les enjeux des différentes positions.

Au moment de discuter les thèmes psychothérapie-psychanalyse, au moment où l'on reparle de recherche en psychanalyse, il importe d'avoir à l'esprit les problèmes épistémologiques que ces questions soulèvent.

On ne peut pas ne pas lire S. Viderman qui fut un pionnier dans ce domaine.

Ce livre, accompagné de toutes les références bibliographiques nécessaires et d'un choix de textes, en constitue une excellente introduction.