Notes de lecture

Watillon, Annette

1998-04-01

Notes de lecture

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Dans son livre consacré à la psychanalyse, Florence Guignard nous révèle ses capacités de mettre en tension la métapsychologie freudienne avec les concepts post-freudiens. Elle connaît à fond la pensée de M. Klein, de W. Bion et de D. Meltzer avec lequel elle a beaucoup travaillé dans les week-ends organisés à Paris autour de ce psychanalyste londonien (week-end du G.E.R.P.E.N.).

Ses réflexions théoriques sont axées et organisées autour du thème de "l'infantile", dont l'auteur donne pp. l6 et l7 la définition suivante : "Etrange conglomérat historico-anhistorique, creuset des fantasmes originaires et des expériences sensori-motrices mémorisables sous forme de traces mnésiques, l'infantile peut être considéré comme le lieu psychique des émergences pulsionnelles premières et irreprésentables. De cet "avant-coup", nous ne connaîtrons que les symptômes représentables, sous la forme des théories sexuelles infantiles d'une part, et des traces mnésiques d'autre part". Plus loin, l'auteur ajoute : "Aux limites de l'Ics et du système Pcs, l'infantile est le point le plus aigu de nos affects, le lieu de l'espérance et de la cruauté, du courage et de l'insouciance, il fonctionne la vie durant, selon une double spirale processuelle et signifiante …".

L'auteur insiste sur la force pulsionnelle inouïe qui sous-tend cet infantile, qui agit jusqu'à notre mort, simultanément au niveau des processus oedipiens secondaires et au niveau des mécanismes primitifs. Fl. Guignard cherche, comme d'autres analystes avant elle, à donner un contenant et une forme aux mécanismes psychiques primitifs, les "avant-coups" du représentable. Sa notion d'infantile a le mérite d'y inclure le pulsionnel qui manque dans certaines théorisations.

Nous avons particulièrement apprécié, dans le premier chapitre, ce que l'auteur écrit concernant l'impact de l'infantile dans l'analysant, sur l'analyste. L'auteur écrit : "L'impact que l'infantile-de-l'autre exerce sur tout sujet, fût-il analysé et même psychanalyste, est source d'une excitation non-liée en raison de la force pulsionnelle qui s'en dégage". Chez tout sujet, le destin normal de cette excitation est de se diversifier, se liant par la sublimation et subissant un nouveau refoulement. Ceci n'est pas possible pour l'analyste dans l'exercice de sa fonction psychanalytique puisqu'il est dans la situation paradoxale d'avoir à diriger précisément son attention sur ce qui se présente à lui comme tache aveugle suscitée par la rencontre entre ce que l'analysant projette en lui de son infantile (transfert) et son propre infantile lié au contre-transfert. "L'excitation liée à la force pulsionnelle de l'infantile-dans-l'analyste se verra artificiellement détournée d'une partie de son destin qui est le refoulement afin de demeurer au service de l'activité professionnelle de celui-ci", écrit Fl. Guignard, qui examine ensuite les "maladies infantiles du contre-transfert" ainsi que les pièges de l'infantile dans le fonctionnement du psychanalyste en séance avec, notamment, les "représentations-bouchons" qui sont des défenses de l'ana-lyste.

Le livre de Fl. Guignard est constitué d'une série de chapitres qui traitent de thèmes variés, tous examinés en fonction de cette notion d'infantile. Le deuxième, dans lequel l'auteur reprend le cas du petit Hans à la lumière de son expérience de psychanalyste d'enfants, nous a beaucoup intéressé. Dans le troisième, nous retrouvons la distinction entre le féminin et le maternel, développée ailleurs par l'auteur, ainsi qu'un vibrant hommage à Mélanie Klein qui se poursuit dans les deux chapitres suivants où l'auteur traite de l'identification projective et de la position dépressive.

L'ouvrage en entier est un exemple de ce que l'auteur écrit page 7 : "notre seule chance … est d'utiliser au mieux les ingrédients que nous ont laissés nos prédécesseurs et de tenter, en y ajoutant les nôtres, de composer à notre tour un breuvage potable à double titre : scientifiquement digestible parce qu'il obéirait au principe de réalité et qualitativement plaisant … afin de marquer le principe de plaisir." Dans les chapitres suivants, l'auteur nous fait partager sa manière d'utiliser les ingrédients de W. Bion et de D. Meltzer.

Par ailleurs, nous avons beaucoup apprécié les chapitres plus cliniques à propos de l'adolescence où l'auteur témoigne de sa grande finesse clinique et de ses capacités techniques comme analyste d'enfants et d'adolescents. Par ces textes-là, Fl. Guignard nous démontre qu'elle sait "approcher avec discernement cette structure éclatée que constitue l'adolescent(e)" et qu'elle peut "en apprécier la richesse sans en craindre l'apparente incohérence".

Par contre, en tant qu'animatrice de groupes d'observation du nourrisson selon la méthode d'E. Bick, nous avons été très étonnée et déçue par le chapitre 9 intitulé : "En observant l'infans. Us et abus de la méthode Esther Bick". Une partie des critiques formulées par l'auteur est basée sur des faits inexacts tels que l'énoncé de la demande (il n'est pas question de parler à la famille de "normalité"), l'établissement d'un protocole de recherche (puisqu'au contraire, il est question de faire "tabula rasa" de ses connaissances pour mieux observer), etc.

De plus, ce texte est parsemé de comparaisons et d'allusions à la technique psychanalytique qui nous paraissent non seulement hors de propos mais dangereuses car les deux méthodes ne sont pas superposables bien que comportant certains entrecroisements et même si "l'Infant Observation" peut être une contribution précieuse à la formation psychanalytique (d'ailleurs adoptée dans le cursus psychanalytique de plusieurs sociétés psychanalytiques, membres de l'Association Internationale de Psychanalyse).

Certains écueils évoqués par Fl. Guignard sont évidemment possibles, mais ils sont loin d'être aussi fréquents qu'elle le laisse supposer. Notre pratique nous enseigne que la plupart de ces dangers sont évitables grâce à un travail constant d'attention au cadre et de compréhension du matériel dans la supervision en séminaire. Il s'agit, en effet, d'une mobilisation de l'infantile chez l'observateur (l'observant, selon l'auteur) dont l'impact et les conséquences vont faire l'objet d'un essai d'élucidation et de compréhension pendant la prise de notes et surtout, lors du séminaire hebdomadaire. Les travailleurs de la petite enfance sont particulièrement soumis a cet impact et il est utile pour avoir la possibilité d'en mieux connaître les conséquences, ce que la méthode E. Bick a notamment pour but.

Notre sentiment global est celui d'une méconnaissance par l'auteur de cette méthode de formation qui a également pour but de développer la capacité d'attention par une sensibilisation à la communication non-verbale et par l'approfondissement des réactions contre-transférentielles. Cette méconnaissance entraîne une injustice certaine à l'égard d'E. Bick, créatrice de la méthode, d'où notre désir de rectifier auprès des lecteurs l'image qu'en donne l 'auteur.