Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1998-04-01

Notes de lecture

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Jacqueline Schaeffer a choisi un éclairage très personnel pour interroger "l'énigme de la sexualité" dont, selon Freud, le "refus du féminin" représente "une part". Ce refus, commun aux deux sexes, c'est néanmoins chez la femme qu'elle en parle essentiellement. Et le féminin dont elle choisit de débattre est, nous dit-elle, le "féminin sexuel", position qui privilégie le "pulsionnel", "sexuel" de surcroît. Ce féminin trouve son plein épanouissement dans la jouissance sexuelle obtenue dans la relation sexuelle avec l'homme qui "crée et arrache" son "féminin" à la femme. Ce féminin sexuel est dépassement génital des modalités prégénitales envisagées par Freud, l'envie du pénis et l'angoisse de passivation homosexuelle ; ces dernières modalités sont, pour J. Schaeffer, des défenses contre l'angoisse de pénétration génitale, "roc du féminin".

Le refus de ce féminin spécifié par la pénétration est mis en relation avec l'existence de la poussée constante de la pulsion dont la femme est la dépositaire. Cet élément introduit une dimension économique dans les propos de l'auteur. En effet la pulsion, et plus précisément la pulsion sexuelle, fait violence au moi qui doit s'en accommoder. Accepter le féminin, c'est "laisser la poussée constante de la pulsion s'emparer de leur moi pour en arracher la jouissance", c'est désirer la soumission à l'amant, "masochisme érotique" coextensif du féminin de la femme. La femme est sans cesse en butte à l'antagonisme interne entre son désir d'être effractée et le sursaut de son moi contre cette "défaite". Mais cette "défaite" acceptée constitue, en réalité, la grande victoire génitale de la femme dans la mesure où elle préside à un travail élaboratif du moi de l'effraction dont elle est l'objet, effraction qui devient dès lors "nourricière", porteuse d'organisation psychique..

A partir de ces postulats, Jacqueline Schaeffer développe les écueils qui guettent le difficile accès à l'accomplissement du féminin. Les incidences des antécédents prégénitaux et, tout particulièrement, de l'analité, sont pris en considération. Les caractéristiques de l'"amant de jouissance" sont évoquées dans les avatars d'une problématique qui se joue à deux, l'homme n'échappant pas aux angoisses de … pénétrer mais aussi à celles qui, par identification, concernent son propre féminin.

Jacqueline Schaeffer illustre son propos par des vignettes cliniques qui donnent à voir, notamment, sa connaissance approfondie de l'hystérie et des psychopathologies associées. Le chapitre intitulé "Le rubis a horreur du rouge" est, à cet égard, particulièrement intéressant. D'autres sujets sont encore abordés au gré des réflexions de l'auteur, que je laisse au lecteur le soin de découvrir (notamment la notion de séduction narcissique).

Ouvrage original, provocateur, le livre de Jacqueline Schaeffer ne peut laisser indifférent. Sa théorisation privilégie délibérément la pulsion et le sexuel, en tant que moteur de l'organisation psychique d'une part, mais aussi en tant que manifestations incarnées du destin adulte de l'homme… ou plutôt de la femme. Car, en effet, c'est essentiellement du "féminin de la femme" qu'il est question. On peut s'interroger quant à la définition que donne Jacqueline Schaeffer du "féminin" par rapport à celle qu'on lui attribue communément, le "roc" de la passivité dénoncé par Freud ("L'analyse avec fin et l'analyse sans fin"), commun aux deux sexes. Le parti pris qui est le sien de centrer le féminin sur les modalités d'une jouissance sexuelle effective dans la "défaite et la soumission" à l'amant me paraît induire si pas certaines confusions, au moins certaines interrogations. A trop "corporaliser" la spécificité d'un féminin dont l'expression apparaît comme avant tout "sexuelle" (au sens courant du terme), ne risque-t-on pas d'affadir la notion de psychosexualité féminine, constituée de fantasmes sexuels ? Et qu'en est-il, dans pareille position, du féminin chez l'homme et de son refus ? Il me paraît difficile d'extrapoler un "féminin de l'homme" à partir de la "jouissance féminine" obtenue par "l'amant de jouissance"… sinon, comme le fait J. Schaeffer, en évoquant une identification à la femme qui donne accès au dépassement pensé des moments d'abandon à la pulsion. Enfin il m'a semblé qu'à insister avec autant d'ardeur sur la "défaite" et la "soumission" de la femme, J. Schaeffer risque de soulever certains sursauts féminins (pas nécessairement féministes) au profit, cependant, d'applaudissements masculins. Pour ma part, en tout cas, même si je peux entendre l'apologie que fait l'auteur d'un certain féminin du côté d'une passivité bien intégrée, dépassement du "roc" dont nous parle Freud, il me semble que ses propos ne laissent que peu de place à ce qui, chez la femme, s'érige (c'est le mot qui me vient) en affirmation féminine. A moins que de comprendre que ce sont les élaborations du moi pour "penser" l'effraction qui représentent le pôle "masculin" de la femme. Je pense, pour ma part, qu'il existe chez la femme des tendances opposées qui se dialectisent plus qu'elles ne se vivent "en soi" sinon, et je rends là hommage à l'audace de J. Schaeffer, en des moments d'"abandon", justement, moments réservés à l'"amant de jouissance"… Mais la vie d'une femme ne se réduit hélas pas à ces moments…

Quoi qu'il en soi, il faut reconnaître à J. Schaeffer le grand mérite d'aller jusqu'au bout de sa pensée, manière d'obliger le lecteur à une réflexion critique enrichissante. En cela, J. Schaeffer est … effractante et nourricière, elle qui oblige à penser le sexuel.