Notes de lecture

Vaneck, Léon

1997-10-01

Notes de lecture

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La "période de latence" a engendré beaucoup moins de travaux que la petite enfance et l'adolescence, tant dans les approches pédopsychiatriques que psychanalytiques.

Et pourtant, son importance est tout à fait capitale dans le développement psychique, ainsi que j'avais essayé de le démontrer dans un article de 1987 publié dans cette Revue sous le titre "Latence et période de latence".

C'est dire que le travail de Christine Arbisio-Lesourd est tout à fait le bienvenu parmi les trop rares élaborations sur la latence. L'ouvrage se distribue en deux parties, une première consacrée à l'histoire et à la critique de la notion de période de latence et une seconde, intitulée "La période de latence à l'épreuve de la clinique".

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Je serai bref sur la première partie "Histoire et critique de la notion de période de latence".

L'auteur y reprend longuement les travaux de "Freud et la période de latence : l'idéal d'éducation". L'intérêt de ce retour à Freud est très important dans la mesure où il reprend l'évolution de sa pensée à travers les trois essais, le développement en deux temps de la sexualité, l'auto-érotisme et les fantasmes, les identifications, l'idéal du Moi et le Surmoi. Il n'oublie pas de reprendre aussi les réflexions de Freud sur l'origine biologique, le débat entre ontogenèse et phylogenèse, le rôle de la civilisation, la latence comme résultat des contradictions du complexe d'Oedipe, etc…

L'auteur se penche ensuite sur les destins de la période de latence après Freud ; évoquant en particulier K. Abraham, ou l'instauration de l'idéal de la latence, A. Alpert et B. Bernstein sur l'importance de la sexualité et la suggestion de deux périodes de latence, T. Becker et la fragilité de la première latence, E.B. Kaplan : le corps au centre de la latence, C. Sarnoff : une structure pour la latence et, plus près de nous, P. Denis : élaboration du narcissisme et pulsion d'emprise.

La seconde partie est clinique : "La période de latence à l'épreuve de la clinique". Les pistes de réflexion seront illustrées par plusieurs cas cliniques intéressants qui viennent s'articuler sur l'axe de réflexion théorique abordé.

Le premier chapitre, intitulé "De la perte à l'imaginaire de la promesse oedipienne" aborde effectivement la perte, la perte des parents oedipiens ainsi que des liens et de la proximité de la petite enfance. L'enfant a en effet un deuil à réaliser au moment de l'entrée en latence, ce que personnellement je préfère appeler renoncement. Le deuil du phallus est évoqué dans une perspective lacanienne dans la mesure où le phallus est un signifiant particulier car c'est autour de lui que s'instaure l'ordre symbolique. La promesse oedipienne est ensuite envisagée en tant qu'organisateur psychique, l'auteur prenant appui sur le conte de la Belle au bois dormant, ce conte illustrant, nous dit l'auteur, des deux temps nécessaires à l'accès à la sexualité adulte.

Il est ensuite question du maintien de la bisexualité, avec l'accent mis sur la séduction côté filles et l'agressivité côté garçons.

Suit un chapitre "Le développement de l'imaginaire", si important en latence. L'auteur aborde successivement la question des fantaisies, du fantasme au récit imaginaire, puis le jeu et l'image du corps avec toute la perspective sous-jacente de l'investissement narcissique, "le moi prend possession de son domaine", qui étudie le sentiment d'identité, le projet identificatoire, le devenir du narcissisme et qui aborde aussi la question de l'état amoureux avant l'adolescence ; ce chapitre consacre également une large réflexion sur les mécanismes de défense, la régression et les formations réactionnelles, l'inhibition, l'interdit du savoir, l'obsessionnalisation de la personnalité, le tout accompagné de plusieurs intéressantes vignettes cliniques.

Enfin, un dernier chapitre développe les enjeux du symbolique, en partant de l'idée "Au confluent de l'imaginaire et du symbolique", pour aborder les questions de l'idéal du Moi, de la sublimation et de la naissance du lien social.

L'auteur en arrive ensuite à analyser le symptôme en tant qu'autre inscription du symbolique, en s'interrogeant sur les motifs de consultation et la diversité symptomatique en latence mais aussi la singularité du symptôme chez l'enfant latentiel. Quelques points de repère en guise d'interrogations clôturent le chapitre.

Les conclusions de Me Arbisio-Lesourd sont brèves mais pertinentes. D'abord elle dénonce le silence trompeur de la latence. Ensuite, elle nous confirme que la latence s'avère un âge de la vie infiniment plus riche sur le plan des mouvements psychiques qu'une première approche ne le laisse supposer, mais il faut compter néanmoins avec la force du refoulement, qui permet sans doute de mieux comprendre l'origine de ce silence et qui fait que les mouvements psychiques sont généralement plus discrets que dans la petite enfance et à l'adolescence.

Un autre aspect essentiel souligné par l'auteur, c'est la construction par l'enfant d'un univers imaginaire à partir duquel il espère reconquérir plus tard la puissance phallique ; cette organisation de l'imaginaire, telle qu'elle s'articule autour de la promesse oedipienne est possible grâce à une certaine idéalisation des images parentales et des adultes. Mais ce schéma heureux, s'il concerne les relations entre adultes et enfants latentiels, en général, souffre de nombreuses exceptions, que nous connaissons bien dans nos fréquentes consultations pour enfants de cet âge.

L'auteur estime aussi, s'il était encore possible d'en douter, qu'il est capital de faire de la latence un concept au coeur de la psychanalyse et qu'il existe une dimension métapsychologique de la latence chez l'enfant, en ce sens, dit-elle en termes lacaniens, qu'elle constitue, autour de la promesse oedipienne, un nouage particulier entre le réel, l'imaginaire et le symbolique.

Convaincu depuis longtemps de l'importance de la période de latence en clinique pédopsychiatrique et pour nos réflexions psychanalytiques, c'est avec beaucoup de plaisir que j'ai lu cet ouvrage, aussi bien dans sa partie historique que dans sa partie clinique. Les travaux consacrés à la latence sont tellement rares que je me permets de recommander vivement la lecture de ce livre de Mme Arbisio-Lesourd, même si sa terminologie ne m'est pas toujours familière.