Notes de lecture

Watillon, Annette

1997-04-01

Notes de lecture

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Cet ouvrage est le récit d'un itinéraire original et passionnant : celui d'une psychanalyste dans une maternité explorant et appliquant ses connaissances au monde merveilleux et parfois inquiétant de la procréation, de la grossesse et de l'accouchement. Monique Bydlowski ose s'aventurer, avec ses outils psychanalytiques dans un monde médical en pleine transformation et mutation : celui de la gynécologie et de l'obstétrique. J'ai particulièrement été impressionnée par la façon dont l'auteur a su maintenir son cadre de pensée analytique tout en l'adaptant aux exigences de la tâche entreprise depuis une vingtaine d'années.

Cette collaboration réussie et qui a dû être créée de toutes pièces par l'auteur, représente selon moi le réel travail de pionnière de Monique Bydlowski et mérite toute notre admiration. L'auteur a dû surmonter de nombreux obstacles : en tant qu'analyste d'abord, en travaillant à découvert, sans divan, parfois en urgence, sans le cadre rassurant de l'espace-temps et de la répétition des rendez-vous, garants de la réflexion et du travail intérieur ; d'autre part, en arrivant à développer un projet commun avec des collègues dont la priorité est d'assurer une bonne santé physique pour la mère et le bébé alors que la notre est de prévenir ou guérir la psychopathologie liée à un phénomène naturel mais saturé de sens psychiques variés.

Comme elle le précise dans l'introduction, M. Bydlowski est partie de l'hypothèse "que la transmission de la vie, contrairement à l'idéologie moderne de maîtrise, suppose l'action incontrôlée de l'inconscient des futurs parents". Aucun psychanalyste ne s'étonnera d'apprendre que dès la conception, pendant la grossesse, à l'accouchement et dès les premières interactions du nouveau-né avec son entourage, l'inconscient parental est omni-présent. Le transgénérationnel est l'invité privilégié de la fête par le biais de l'histoire et du développement psycho-sexuel des parents. Pour ceux qui s'occupent d'enfants jeunes, ceci n'est pas nouveau. Toutefois, l'abondance des exemples cliniques repris dans ce livre permet d'encore mieux s'en convaincre.

Dans une première partie, l'auteur nous entraîne dans la psychopathologie quotidienne associée à la naissance, en faisant de plus un intéressant détour par l'histoire des lieux et des meubles de naissance, par les coutumes, tabous et interdits entourant la mise au monde d'un enfant. Comme dans la suite de l'ouvrage, c'est à partir d'exemples cliniques précis et clairs, abondants et témoignants d'une maîtrise technique et d'une grande humanité, que l'auteur nous fait découvrir l'importance des représentations psychiques inconscientes liées à l'accouchement (chapitre 3). "La période de la grossesse", écrit l'auteur, "est un moment privilégié pour opérer une alliance thérapeutique entre le thérapeute et le narcissisme maternel qui favorisera le dévoilement de représentations et de remémorations ordinairement refoulées mais dont on sait combien ils risquent de peser sur l'enfant qui grandit. "Bien au-delà de la représentabilité de l'enfant (déjà étudiée : l'enfant imaginaire cher à S. Lebovici), l'auteur repère la transmission de représentations de mère en fille, les soubassements de la prénomination et le calcul inconscient de la date de procréation. La force de l'inconscient tellement à l'oeuvre dans ces circonstances, nous incite à la modestie concernant la notion de "maîtrise du fonctionnement corporel", déjà remise en cause par la psycho-somatique !

M. Bydlowski insiste sur le fait que l'inceste n'est qu'un versant du désir d'enfant. L'Oedipe n'est qu'un côté de la maternité qui se joue aussi sur le versant du même sexe. Citant Groddeck qui écrivait : "en enfantant une femme rencontre sa propre mère : elle la devient, elle la prolonge, tout en se différenciant d'elle". L'auteur développe un thème qu'elle avait déjà traité dans des articles antérieurs ; celui du fantasme d'une grossesse parthénogénétique : l'enfant comme double narcissique.

La troisième partie du livre traite de l'infertilité et les techniques modernes de procréation assistée, permettant à Monique Bydlowski de développer, d'étoffer et d'abondamment illustrer les complexités psychologiques créées par cette avancée de la médecine. Elle a mis au point une technique originale, en "binôme" de rencontre avec les couples stériles en demande d'aide. Les consultants rencontrent d'emblée le gynécologue et le psychanalyste, dans le même cabinet. C'est le (ou la, bien sûr) gynécologue qui conduit la consultation et l'analyste (présenté comme collaborateur-chercheur) l'assiste en témoin disponible. Le rôle de l'analyste, selon l'expérience de l'auteur, sera d'introduire, par ce travail en binôme, une temporalité. La demande concernant une stérilité se fait quasi toujours dans l'urgence : le couple veut un enfant et tout de suite ! "Le travail en binôme amène le praticien à freiner les investigations, à temporiser, à les étaler dans le temps, à multiplier les consultations sans chercher à faire céder le symptôme à tout prix".

Collaborer ainsi revient à substituer à une relation duelle, une relation à trois partenaires permettant au patient de développer un espace de création possible. Cela demande une cohésion importante dans le binôme et un accord sur le but à atteindre qui sera de permettre aux consultants de percevoir les implications affectives de la stérilité.

Dans le troisième chapitre de cette troisième partie, M. Bydlowski nous informe des résultats d'une recherche concernant les motivations de 37 donneuses volontaires d'ovocytes. Les candidates au don d'ovocytes sont amenées par le couple lui-même. Il s'avère que ces donneuses étaient prêtes à faire le don d'un ovule, considéré par elles comme un organe précieux (comme si elles savaient qu'il s'agit d'un capital limité en quantité et en durée au cours des années), uniquement à la receveuse qu'elles accompagnent (34 sur 37), pas à une femme inconnue. Il s'agit le plus souvent d'un fantasme de reproduction entre femmes.

C'est à partir de sa considérable expérience clinique dans le domaine de la maternité que M. Bydlowski introduit, au chapitre 4 de la troisième partie, son argument pour moi le plus intéressant, celui de la dette de vie, comme enjeu de la filiation féminine.

L'adolescence de la fille ne s'achève qu'avec la première naissance, même tardive. Il se produit alors une bascule des identifications, une retrouvaille avec l'image maternelle des premiers soins, celle de la tendresse, alors que l'adolescence est dominée par la mère rivale, enviée et haïe.

A partir de sa clinique et de l'étude psychanalytique du conte de Hugo von Hofmannsthal : "La femme sans ombre" (déjà cité au chapitre 1 de la deuxième partie), M. Bydlowski conclut que : "la vie n'est pas un cadeau gratuit mais porte en soi l'exigence de rendre, de rembourser ce qui a été transmis et de reconnaître que le don de la vie est aussi promesse de mortalité". Par l'enfantement, singulièrement par le premier enfant, une femme accomplit son devoir de gratitude à l'égard de sa propre mère. Inversement, avorter a souvent le sens de tuer sa mère à l'intérieur de soi. Si la dette envers la mère n'est pas reconnue, c'est l'enfant qui en portera l'hypothèque.

En dehors de la reconnaissance de cette dette de vie, une femme qui devient mère doit, selon l'auteur, pouvoir se représenter une mère affaiblie, fragile, perdante. "L'essence de la maternité", écrit M. Bydlowski, "serait pour une part faiblesse, perte, dénuement. Derrière l'image de la mère de la phase oedipienne, se dessinerait une représentation maternelle originaire dont l'aptitude au renoncement serait un attribut essentiel : mère originaire, véritable Urmutter suffisamment faible dont la représentation inconsciente fonctionnerait tout naturellement chez celles qui développent des maternités harmonieuses. Par contre, est amatride, celle à laquelle manque la représentation de cette mère originaire faible. Ce manque fait obstacle à sa capacité de transmettre la vie".

J'avoue que j'ai eu du mal à percevoir la mère originaire comme si démunie, sans doute parce que j'étais trop imprégnée des images de mère ayant la capacité de contenir et de rêver. A trop mettre l'accent sur le terme "capacité", le risque existe d'oublier ce que la maternité, surtout dans les premiers mois, exige d'oubli de soi et d'abnégation, ce qui peut éventuellement s'exprimer en termes de "perdante".

L'auteur fait également l'hypothèse que dans l'expérience de la jouissance (expérience de perte de soi-même), la femme va rencontrer cette identification à une image maternelle originaire, faible, perdante, démunie. En d'autres termes, c'est l'acceptation de la passivité primaire qui est en cause ici.

Le livre se termine par un chapitre consacré à la recherche en procréation, avec des considérations philosophiques et éthiques concernant l'illimité où pourraient nous conduire les progrès des techniques médicale et biologique.

"La dette de vie" est un livre dense, honnête, résultat d'une recherche s'appuyant sur des bases théoriques rigoureuses et une clinique riche et féconde. Il traite d'un domaine qui ne peut nous laisser indifférents car il nous concerne tous puisqu'il s'agit de naître, vivre et donner la vie.