Notes de lecture

Alsteens, André

1996-10-01

Notes de lecture

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Quel plaisir de voir se dérouler la longue oeuvre de traduction à laquelle se sont attelés Bourguignon, Cotet et Laplanche, avec toute une équipe dont ils détaillent à chaque volume la composition exacte.

Deux livraisons récentes couvrent, l'une les années 1926-1930 (tome XVIII), l'autre 1916-1920 (tome XV).

Le tome XVIII contient le précieux plaidoyer de Freud en faveur d'une reconnaissance de la psychanalyse en dehors de l'obédience médicale, la fameuse "Analyse profane". Quand on y pense, c'était d'une très grande modernité pour l'époque. Cette reconnaissance d'un statut particulier de la psychanalyse n'a sans doute pas toujours été bien comprise, en donnant lieu à certaines dérives qui ne lui ont pas toujours été favorables, mais il n'empêche, il importait que la découverte de Freud se démarque de la science médicale et prétende à un statut qui corresponde à son objet et à sa méthode.

Deux essais devenus célèbres, l'un sur la religion ("L'avenir d'une illusion"), l'autre sur la civilisation ("Malaise dans la culture"), forment l'essentiel du volume et donnent la mesure de l'appétit de Freud à saisir le noyau des phénomènes culturels à partir de ce qu'il a pu découvrir au plan du psychisme individuel.

Qu'on me permette de signaler encore le bref article sur le "Fétichisme" et l'introduction à un livre sur Dostoievski, devenue "Dostoievski et la mise à mort du père", deux textes qui poursuivent la réflexion ouverte sur la perversion et l'Oedipe.

Le tome XV contient quelques textes considérables ! "Un enfant est battu" qui s'annonce comme une "contribution à la genèse des perversions sexuelles". "L'inquiétant", plus familier à nos oreilles sous le titre d'inquiétude étrangeté. "La psychogenèse d'un cas d'homosexualité féminine", nouvelle étape dans sa réflexion sur la sexualité féminine. Et enfin, et surtout, "L'Au-delà du principe de plaisir", qui marque le tournant qu'on sait dans la conceptualisation des pulsions et dans lequel Freud se laisse aller à un penchant spéculatif souvent réfréné… A côté de ces quatre textes, qui continuent à faire l'objet de nombreux commentaires, il en existe d'autres également intéressants : les types de caractères dégagés par le travail psychanalytique, les transpositions pulsionnelles dans l'érotisme anal, le tabou de la virginité, les voies de la thérapie analytique et la préhistoire de la technique analytique ; ces deux derniers appartiennent désormais à ce qu'il est convenu d'appeler les "écrits techniques".

Indications bibliographiques, notes et index des personnes et des matières confirment, une fois de plus, la qualité de cet outil de travail.

A côté de cette publication au long cours, en chemine une autre, sous les auspices de Gallimard, et qui réédite une à une les oeuvres de Freud, dans de nouvelles traductions, parfois en les regroupant. Avec la "psychopathologie de la vie quotidienne" (1901), Freud s'intéresse au lapsus, à l'oubli, à l'acte manqué, poursuivant ainsi à ce niveau le travail entrepris avec l'interprétation des rêves. On ne peut ignorer la place de ces deux écrits dans le développement de la psychanalyse et son retentissement vers le grand public. L'intérêt réside ici en ce que sont pris en compte les phénomènes normaux de la vie psychique, la méthode analytique s'intéressant aux "bien-portants" ! Dans la Préface à cette nouvelle traduction, Laurence Kahn fait état du conflit entre Freud et Fliess, sur la paternité de la "bisexualité" et souligne l'aspect de "trahison" inhérent à ces dysfonctionnements mineurs de la vie quotidienne dans lesquels l'homme ne cesse de témoigner de sa "propre division".

Notes et index des concepts et des actes manqués ajoutent au charme de cet ouvrage la pertinence scientifique souhaitable.