Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1996-10-01

Notes de lecture

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A l'heure où les progrès de la technique médicale appliquée aux PMA (procréation médicalement assistée)déchaînent polémiques et passions, le livre de Sylvie Faure-Pragier consacré à la stérilité dite psychogène se fait l'interprète d'une autre réalité, celle des femmes "infécondes", appellation préférée par l'auteur. Livre en tous points remarquable, il est le fruit d'une longue expérience dans ce domaine : l'auteur a travaillé comme consultante psychanalyste en milieu hospitalier pour ensuite assurer en privé avis, psychothérapies, psychanalyses de femmes "infécondes". Par ailleurs, Sylvie Faure a partagé ses intérêts avec un groupe de collègues dans un séminaire de discussion.

L'ouvrage a le mérite, au-delà de la richesse et de la pertinence de son apport quant à l'infécondité proprement dite, de nous entraîner dans bien d'autres domaines, celui de la métapsychologie, de la théorie et de la pratique de la psychanalyse, d'abord. Mais S. Faure Pragier transmet également les méditations d'une psychanalyste devant d'autres horizons que sa pratique l'a conduit à interroger : l'éthique, le socius, voire le philosophique. Enfin, un très abondant matériel clinique illustre les considérations théoriques. Aussi, une note de lecture ne peut rendre justice au foisonnement d'idées que nous propose S. Faure-Pragier. Je ne ferai qu'évoquer certains éléments qui m'ont particulièrement frappée en souhaitant inciter le lecteur à prendre connaissance par lui-même de ce travail.

Si l'auteur préfère le terme d'"inconception" à celui, consacré, de "stérilité psychogène" c'est qu'elle interroge la causalité de cette manifestation du corps, question qu'elle étend d'ailleurs à des considérations plus générales et très intéressantes dans le champ de la psychosomatique. L'infécondité serait-elle de nature hystérique, le symptôme étant alors la traduction d'un sens inconscient ? Ou bien, en accord avec les théories de l'école psychosomatique de Paris, serait-elle de l'ordre de l'irruption d'un dérèglement corporel fortuit par rupture de l'équilibre économique, "l'illusion du sens étant alors une construction après coup" ? L'auteur choisit pour sa part une troisième explication fort séduisante construite sur la notion de "boucle récursive" telle que "les conséquences sont en même temps productrices du processus lui-même et où l'effet final est nécessaire à la génération de l'état initial.". Dans un tel modèle, organogenèse et psychogenèse ne peuvent être opposés : l'inhibition d'un fonctionnement physiologique normalement automatique qui rend compte d'un symptôme comme la stérilité, entre en dialectique avec les "perturbations psychiques", elles-mêmes porteuses de sens quant à la nature dudit symptôme.

A partir de ces prémisses, S. Faure-Pragier interroge la structure de personnalité et les problématiques inconscientes de ses patientes infécondes. "Les patientes infécondes, que l'on peut globalement considérer comme des "névroses de caractères", semblent organisées de manière défensive à l'égard d'un noyau dépressif. La souffrance narcissique n'est pas ressentie consciemment, mais fait l'objet d'un déni du fonctionnement psychique dans son ensemble." Quant à l'aspect plus thématique des problématiques présentées par ces patientes, on ne s'étonnera pas d'apprendre que des conflits lourds et précoces les opposent à leur mère, avec, souvent, une difficulté à gérer le "être mère" par rapport au "être femme". La conflictualisation de l'agressivité affecte préférentiellement ces patientes. Le conflit oedipien a, lui aussi, son mot à dire dans l'inconscient des femmes infécondes.

Bien évidemment, chaque cas présente des spécificités qui témoignent de la diversité de la clinique. Je l'ai dit, l'auteur illustre abondamment ses propos. J'insisterai encore ici sur la richesse et la qualité du matériel clinique qui nous est livré, matériel qui donne à l'auteur l'occasion d'émailler ses considérations théoriques d'illustrations parlantes mais aussi d'apporter des cas d'exception, "un cas qui contredirait ma théorie…", exposant par là la souplesse de sa "théorie" mais aussi la finesse de sa sensibilité clinique. En tant que thérapeute, S. Faure-Pragier ne manque pas de nous rappeler la modestie des moyens dont dispose l'analyste devant les psychopathologies qu'elle décrit, caractérisées par une fragilité narcissique doublée d'une symptomatologie somatique. Bien souvent, les consultations "psy" le sont sous la pression du milieu ou des gynécologues et ne peuvent déboucher sur une démarche psychothérapeutique. Néanmoins, l'auteur rend compte de psychothérapies et d'analyses qui ont pu être menées à bien, quitte à mettre en évidence, parfois, combien l'exacerbation du désir d'enfant peut cacher, en réalité, le souhait de ne pas en avoir…et voir cette découverte payée par la levée de l'infécondité !

Les problématiques présentées par les femmes infécondes sont l'occasion pour l'auteur de brosser sa conception de la "sexualité féminine". Je laisse au lecteur le soin de découvrir l'originalité des positions de l'auteur, notamment quant à l'"envie du pénis", à l'homosexualité féminine, et à l'importance qu'elle accorde aux identifications. Comme tous ceux qui s'intéressent à ce sujet, S. Faure-Pragier situe son propos par rapport aux théories de Freud. Je rapporterai ici deux incises qui m'ont particulièrement intéressée.

L'une concerne l'évolution des idées de Freud sur la féminité en rapport avec l'analyse de sa fille Anna, épisode qui nous est connu depuis la publication des lettres de Anna Freud à Lou Andréa Salomé. Dans ses premières élaborations sur la féminité, Freud reconnaissait l'existence d'un oedipe aussi bien pour la fille que pour le garçon. C'est plus tard qu'il a effacé, chez la fille, l'importance de l'attrait oedipien pour le père au profit d'une envie du pénis qui explique le rapprochement de la fille pour le père. L'hypothèse de S. Faure-Pragier réside en ceci que la culpabilité oedipienne de Freud, activée par la relation incestuelle qu'il engage avec sa fille en la prenant en analyse, le pousse à gommer l'importance de l'attrait sexuel exercé par le père afin de disculper ce dernier de toute responsabilité personnelle en mettant l'accent sur une problématique d'objet partiel. Ce serait d'ailleurs la deuxième fois que Freud innocente le père, l'abandon de la neurotica actualisant une première version du malaise de Freud devant l'implication contre-oedipienne du père. L'autre incise concerne la ressemblance que souligne l'auteur entre les problématiques des femmes infécondes et "la femme décrite par Freud", produit des "théories sexuelles infantiles" de Freud !…

J'aime Sylvie Faure-Pragier quand elle part en guerre contre ceux qu'elle appelle les "écolopsy", "qui n'interviennent pas dans la prise en charge de patients inféconds", et comptent dans leurs rangs des "soi-disant psychanalystes" qui se permettent, au nom de la psychanalyse, des positions critiques contre les PMA, (notamment l'insémination "in vitro", technique pourtant la plus "naturelle"). Ils dénoncent, sans preuves actuellement accessibles, les éventuelles conséquences psychiques sur le devenir des enfants dont la naissance fut médicalement assistée mais aussi les méthodes des PMA, "reflet d'une perversité totalitaire sadisant une femme instrumentalisée". Par leurs généralisations abusives, ils font peser ainsi sur les femmes en détresse d'enfant mais aussi sur le personnel médical qui les assiste un discrédit que dénonce l'auteur.

Ce qui n'empêche nullement S. Faure-Pragier d'assumer des positions personnelles dans un domaine dont elle a une profonde expérience. S'appuyant sur cette expérience, l'auteur consacre son dernier chapitre à penser le "psychanalyste face au socius". Elle y débat des "pièges et limites des entretiens psychanalytiques dans les services médicaux". Elle ne se prive pas d'interroger, elle aussi, les fantasmes de toute puissance qui animent les gynécologues et leurs aides dans les "scènes primitives médicalement assistées" recensant, en corollaire, les incontestables problèmes bioéthiques que posent les techniques de pointe dans le domaine de la procréation assistée, problèmes que sa pratique conduit à formuler en termes de "insoutenable neutralité du psychanalyste face à la bioéthique". Pourtant, c'est sur une note fondamentalement optimiste et confiante que conclut S. Faure-Pragier. Elle opte pour une société susceptible de se défendre, grâce à une auto-organisation salvatrice, "contre les accidents que créent ses développements techniques", et qui choisit de promouvoir le "droit à l'enfant".

Toutefois, je ne me sentirais pas fidèle à l'esprit de l'auteur, du moins à la lecture que j'ai faite de son ouvrage, en terminant sur cette apologie du "droit à l'enfant". Certes, la défense de ce droit participe de l'engagement de S. Faure-Pragier dans la clinique qu'elle a choisi de privilégier et de transmettre aux lecteurs. Mais son livre m'apparaît bien davantage comme centré sur la liberté à être femme. Liberté dans une réalité sociale et scientifique qui inclut le droit à être mère ou, à tout le moins, à mettre en oeuvre tout ce qu'il est possible pour réaliser ce voeu propre à la plupart des femmes. Mais liberté aussi par rapport à un inconscient au féminin dont S. Faure-Pragier interroge les limitations. Livre documenté, dense, personnel qui ne peut manquer d'intéresser tous ceux que concerne l'évolution de notre société, et dont les "bébés de l'inconscient" sont, du moins peut-on le fantasmer, une image représentative.