Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1996-10-01

Notes de lecture

Partager sur

Ouvrage insolite que celui de A. Jeanneau : l'auteur l'annonce dès l'avant propos, l'histoire de l'analyse qu'il nous raconte tout au long de son livre est purement fictive, analyste et analysant sont inventés. Comme le titre de l'ouvrage l'indique, le but de la narration est de transmettre au lecteur, fut-il profane, le déploiement du préconscient dans la situation analytique. A. Jeanneau s'en explique : "A se vouloir trop exact, le langage scientifique échoue parfois à rendre compte d'un phénomène dans toute sa profondeur. Ainsi en va-t-il du préconscient, dont la trame et l'épaisseur n'apparaîtront, dans leur vivante dimension, qu'à partir de l'animation que l'on doit au récit".

A. Jeanneau ne manque pas de talent de narrateur. Il campe un personnage bien particulier comme analysant, intellectuel brillant dont le verbe défensif convient fort bien à l'écriture raffinée, aux accents plus précieux que passionnels de l'auteur. Nous sommes loin des violences d'une Marie Cardinal ou d'un Camon. Il est vrai que ces derniers évoquaient leur propre analyse et leur souffrance personnelle dans la situation analytique. Ici, sur un mode feutré, c'est bien davantage la sensibilité à la position contretransférentielle de l'analyste qui se trahit dans ce "roman psychanalytique".

L'auteur a choisi de raconter des séances d'analyse qui balisent le parcours du patient. Séances-clé à l'occasion desquelles le but de l'auteur se trouve, pour moi, atteint : il arrive à décrire avec beaucoup de finesse ces moments bien connus des analystes où le travail du préconscient tisse les liens entre l'actualité du transfert et l'éclairage nouveau d'un passé revisité par l'affect. A. Jeanneau évoque avec un bonheur particulier, l'impact de la réalité de l'analyste sur le vécu tranférentiel de l'analysant. Bien évidemment, on l'aura compris, à l'heure des spectaculaires "cas-limites", c'est d'une analyse de névrosé que nous entretient l'auteur. Mais il a le mérite de rappeler que la névrose peut être à la source d'angoisses taraudantes et que l'analyse reste le moyen privilégié pour soulager des appauvrissements invalidants provoqués par la conflictualité fantasmatique inconsciente.

Mais, je l'ai dit, j'ai surtout été touchée par l'évocation des états d'âme de l'analyste. Livre d'un analyste sur l'analyse "vécue", la description de moments contretransférentiels qui interpellent l'analyste émeut le lecteur, en tous cas quand il est analyste. Doute après une intervention, plaisir d'un moment de résonance affective, interrogations sur le métier d'analyste mais aussi sur l'interférence institutionnelle, ambivalence devant la fin d'une analyse…, autant de touches discrètes qui ponctuent le récit de l'analyse. Emergences du travail du préconscient de l'analyste, donc, sollicité par un analysant singulier mais inscrit également dans les vicissitudes de sa vie personnelle, de son histoire analytique, de son questionnement jamais tari tant qu'il reste analyste. La sensibilité de l'auteur se dit dans les allusions pudiques où se conjuguent nostalgie et espoir. Nostalgie de la fin de l'analyse qui fait dire à l'analyste : "Le bandit, se disait-il avec tendresse, qui s'enfuit avec sa jeunesse et quelques années à moi…' Il savait tout sur l'envie inhérente aux meilleurs sentiments et sur ce que l'on croyait avoir donné, qui n'appartenait qu'à l'autre." Mais espoir du côté de l'analysant (inventé par l'auteur, rappelons le), qui quitte son analyste soulagé de son angoisse mais aussi jeune père d'un nouveau né…