Notes de lecture

Vaneck, Léon

1996-04-01

Notes de lecture

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L'esprit de cette nouvelle monographie est directement précisé dès les premiers signes du premier article, celui de C. Couvreur : "Les motifs du double" : "La psyché ne manque pas de ressources pour éviter d'être confronté à la séparation, à l'altérité, à la mort. Ombre de l'objet perdu des origines, garant d'une complétude narcissique, mais aussi bisexuelle érotique qu'il contribue à figurer – face à notre finitude d'être sexué -, le double occupe depuis toujours une place de choix dans toutes les créations humaines".

Dans l'avant propos, lui aussi de C. Couvreur, il est rappelé que le thème du double est permanent en littérature et porte témoignage que "tout écrivain est pris entre le double et l'absent" (A. Green, 1973). Pour marquer symboliquement leur dette à ces écrivains, les directeurs ont choisi de mettre en exergue de ce volume une nouvelle de Jorge Luis Borges, 25 août 1983, écrite quelques années avant sa mort, et encore inédite.

Dans son article, C. Couvreur propose une présentation des idées de Freud et de Rank d'abord, de nombreux auteurs contemporains ensuite, qui se sont penchés sur cette problématique : le dédoublement est une modalité d'organisation nodale du narcissisme, la figure du double un mode de dégagement privilégié de l'identification primaire.

Plusieurs thèmes intéressants font suite à l'article de C. Couvreur.

J.J. Baranes aborde la question sous l'angle du "Double narcissique et clivage du moi", tandis que D. Braunschweig s'intéresse plus particulièrement au phénomène du double dans une perspective des liens avec le narcissisme et l'homosexualité sublimée : "Sur le chemin qui mène de l'homosexualité sublimée au narcissisme".

Les Botella reprennent et approfondissent un travail antérieur présenté à Deauville en 1983 et publié dans le n° 3 de 1984 de la R.F.P., "Le travail en double comme une des manifestations de la dynamique du double jouant un rôle fondamental dans la cure analytique". Ce texte remanié ici s'intitule "La dynamique du double : animique, auto-érotique, narcissique. Le travail en double" ; il s'élabore à partir d'une séance d'analyse de Florian, dont les habitués de Deauville et les lecteurs de la R.F.P. se souviendront probablement, eu égard à la richesse des élaborations des Botella.

Avec "l'inquiétante étrangeté et le double", A. Le Guen nous montre que le thème du "double" est inséparable de celui de "L'inquiétante étrangeté", même si le retour au double, qui suscite presqu'invariablement cette inquiétante étrangeté, fait parfois réapparaître plutôt du "familièrement étrange"…

J'ai particulièrement apprécié les deux articles suivants qui abordent la question du double du côté de l'enfant. Avec "Déclinaison du double dans la cure de l'enfant", R. Puyelo annonce clairement son point de vue dès les premières lignes : "l'analyse d'enfant vise à inaugurer un dialogue intérieur avec un double où l'enfant pourra se parler et parler à autrui…". "Le thérapeute servira de butée pour restaurer ou instaurer ce dialogue intérieur dans l'investissement transférentiel parental et la proposition à l'enfant de matérialiser un double… de lui-même et des parents dans le cadre de la séance…". R. Puyelo centre ensuite ses propos uniquement sur les pathologies limites à travers plusieurs vignettes cliniques fort intéressantes qui illustrent bien ses considérations théoriques.

De son côté, A. Gibeault, s'appuyant sur un bel exemple de préadolescent très inhibé, traité par psychodrame, "L'invitation au voyage", montre l'importance d'un cadre qui autorise non seulement l'étayage visuel et moteur, mais aussi la figuration du double pour qu'un processus analytique soit possible, un double narcissique externalisé, permettant un lien à l'objet par rapport auquel la distance soit tolérable. Quête de similitude aussi bien que reconnaissance de la différence…

C'est R. Menahem qui clôture cette Monographie ; l'auteur s'attache à une des figures du double, figure terrifiante caractérisée par une irruption soudaine porteuse d'effroi. Elle élabore ensuite les rapports que cette figure particulière du double entretient avec le déni du désir de mort ; elle montre des modalités différentes en fonction du sexe et tente ainsi de répondre à la question initiale, titre de son article : "Qui a peur de son double ?".

Je laisse le soin au lecteur de prendre connaissance de cette nouvelle Monographie pour y trouver des réponses à la question de R. Menahem mais aussi aux nombreuses interrogations suscitées par ce thème.

Bref, cette nouvelle et riche Monographie s'inscrit remarquablement bien dans la lignée et l'esprit de celles qui l'ont précédée.