Notes de lecture

Vaneck, Léon

1995-10-01

Notes de lecture

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Les directeurs de cette Monographie consacrée à Sandor Ferenczi ont voulu, par cette démarche, rendre en quelque sorte à Ferenczi ce qui lui revient dans l'évolution d'un certain nombre de concepts théoriques et d'idées communément adoptées aujourd'hui qui sont, disent-ils, un héritage direct des avancées de Ferenczi. Ce volume a pour objet de rappeler la place très importante de Ferenczi dans l'Histoire du mouvement psychanalytique ainsi que de tenter de resituer, dans l'histoire du développement des concepts, la teneur et l'importance des axes théoriques auxquels le conduisirent, entre autres, ses différentes mises en perspective théorico-pratiques et ses tentatives de renouveau technique.

Georges Pragier nous propose "Un inédit de Ferenczi sur les interactions de la théorie et de la pratique", inédit en français de l'essai de S. Ferenczi et O. Rank publié en 1924 par l'Internationaler Psychoanalytischer Verlag à Vienne sous le titre "Entwicklungsziehle der Psychoanalyse", en français "Perspectives de la Psychanalyse". Ce texte est partiellement connu du lecteur des "Oeuvres complètes" de Ferenczi. Une publication regroupant l'ensemble des chapitres vient d'être éditée en 1994 par Payot et Rivages. G. Pragier, en présentant ce texte, y met en évidence l'empreinte de Ferenczi et sa lecture se révèle effectivement fort passionnante : elle nous permet de comprendre les réactions intenses que ce travail a suscitées à l'époque. Les directeurs de la Monographie ont d'ailleurs pris l'initiative de republier les échanges entre S. Freud et K. Abraham à propos de cette publication.

Ilse Barande nous montre ensuite que, par delà les polémiques démesurées successives et contrastées concernant les relations de Freud et Ferenczi, c'est surtout leur affinité élective qui dominera en fin de compte leur relation.

Deux travaux mettent l'accent sur les apports théoriques de Ferenczi.

Madeleine et Henri Vermorel étudient en effet "le concept d'introjection de Ferenczi dans son dialogue avec Freud". Son article de 1009, "Transfert et introjection" est décrit par les auteurs comme un coup de maître ; il y aborde l'introjection primitive chez le nourrisson et nous voyons comment il lie le concept d'introjection au transfert, reconnu comme mécanisme général de la vie psychique. L'article des Vermorel se poursuit par le dialogue de Freud et de Ferenczi à partir de ce texte sur l'introjection.

Quant à Raymond Cahn, le titre de son article est très explicite "Du transfert au contre-transfert. La question de l'implication de l'analyste dans le processus psychanalytique" ; l'auteur insiste sur une certaine continuité dans l'oeuvre en deux phases des travaux de Ferenczi, la première qui se situe dans le droit fil de la pensée freudienne, la seconde qui s'en écarte progressivement et parfois de façon fort excentrique, dans les deux acceptions du terme. Cette continuité soulignée par R. Cahn se révèle tout au long de ce cheminement où les positions théoriques premières viendront nourrir les successifs remaniements, comme ces derniers sans cesse viendront affiner une même visée.

Ayant entendu R. Roussillon à plusieurs reprises ces derniers temps, j'ai été très intéressé par sa contribution à cette Monographie : "L'aventure technique de Ferenczi", dont il nous a parlé dans ses récents exposés consacrés au cadre et aux élaborations sur la technique par rapport aux cas difficiles. R. Roussillon y aborde les malentendus entre Freud et Ferenczi à propos du transfert négatif, la question du processus de subjectivation, la valeur de la "répétition agie", et… et le cheminement de Ferenczi à travers les différentes modalités techniques quand, dit Roussillon, "il ne reste à l'analyste que la possibilité de jouer avec la méthode, le dispositif et le pragmatique de l'interprétation, son ton, son jeu. C'est dans ces trois domaines que la technique va se faire "élastique", "malléable", que les principes de relaxation vont s'établir pour tenter d'instaurer la néo-catharsis et l'analyse en "état de transes", nouvelles formes de la répétition agie".

Sans oublier la dernière aventure de l'analyse mutuelle !

R. Roussillon va souligner l'évident clivage présent dans les techniques actives de S. Ferenczi : "C'est d'ailleurs une chose relativement saisissante chez S. Ferenczi que la manière dont il repère souvent de façon lumineuse la conjoncture traumatique historique de ses analysants et méconnaît la manière dont il la répète en croyant la démentir. Par exemple, alors qu'il a pu désirer la manière dont certains enfants ont pu se faire "nourrissons savants" pour soigner leurs parents, ont pu sacrifier leur position propre pour se faire confidents et thérapeutes de la détresse des adultes, il n'hésite pas à proposer une analyse mutuelle dans laquelle il reproduit précisément la même situation, l'analysant étant amené à entendre ses confidences, appelé à être son thérapeute !". R. Roussillon, et ce n'est pas le moindre intérêt de son travail, va s'attacher à tenter de repérer où est la difficulté contre-transférentielle à laquelle S. Ferenczi est confronté dans ces pathologies difficiles. Il en développe essentiellement trois aspects : le premier, avoir à endurer passivement la confrontation avec une zone de non-investissement, voire de négation indifférente de soi, sans désespoir excessif et sans désinvestissement réciproque de l'autre. La seconde difficulté, poursuit Roussillon, est afférente à l'élaboration du contre-transfert provoqué par le travail sur la séduction traumatique, qu'elle soit sexuelle ou narcissique. Enfin, la troisième difficulté a trait à la difficulté de repérer les formes de répétitions agies par retournement. Mais, conclut Roussillon, "S. Ferenczi pouvait-il arriver seul, sans être lui-même "réfléchi", à élaborer ainsi les affects contre-transférentiels extrêmes auxquels il fut confronté aux limites de l'analysable ?"… "Ce n'est que plus tard, après la mort de S. Ferenczi, que Freud élabore les outils conceptuels qui auraient été nécessaires à cette entreprise : le clivage du moi (qui ouvrait à la pensée d'un transfert lui-même clivé) d'une part, et l'avancée technique considérable des derniers chapitres de "Constructions en analyse" d'autre part". Nous retrouvons évidemment ici, à travers cette réflexion sur l'aventure technique de S. Ferenczi un des ingrédients de toute l'élaboration métapsychologique de R. Roussillon.

Je voudrais aussi évoquer les autres contributions à cette Monographie.

Jean Guillaumin, avec "De contre-transfert inconnu ou Ferenczi, la mort et l'auto-analyse" montre de son côté comment l'auto-analyse de Ferenczi, dont la figure du nourrisson savant signe l'omnipotence de son projet, s'est intriquée dans la déliaison de son lien passionnel avec Freud, que Ilse Barande, elle, a développé du côté de l'affinité élective.

Thierry Bokanowski, à partir du "Journal clinique" de Ferenczi rend compte de l'importance dans le travail transféro-contretransférentiel, de la métapsychologie du "couple trauma-clivage", auquel par ailleurs R. Roussillon se réfère constamment.

Enfin, deux autres d'origine hongroise, André Haynal et Kathleen Kelhey-Laine, évoquent, l'un "Ferenczi-prépsychanalytique", et l'autre "La langue maternelle de Ferenczi".

Claude Girard nous fournit pour conclure une bibliographie générale fort intéressante qui rassemble notamment les textes de S. Ferenczi, ceux qui le concernent (biographie, nécrologie, commémorations) et les travaux se référant à l'oeuvre de Ferenczi.

Une fois de plus, les Monographies de la Revue Française de Psychanalyse nous fournissent, avec "Sandor Ferenczi" un très intéressant outil de travail, et historique et combien actuel.