Notes de lecture

Alsteens, André

1995-10-01

Notes de lecture

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C'est un volume substantiel qu'a mené à bonne fin René Kaës, avec l'aide d'une quarantaine de collaborateurs, pour rendre hommage au maître et penseur Didier Anzieu, dont Janine Puget fait remarquer à juste titre que toute son oeuvre "a affaire au savoir en lui-même".

Quasiment d'entrée de jeu, le lecteur se sent requis par l'entretien avec Didier Anzieu, puis par un fragment autobiographique dans lequel il raconte comment Lacan a cherché à l'avoir sur son divan, alors qu'à son insu sa mère avait été le cas de thèse de Lacan, la fameuse Aimée ! Et Anzieu d'évoquer ce parcours chaotique pour cet adolescent qu'il était, "affronté à la psychose privée d'une mère et à la névrose du groupe familial". Pas étonnant qu'il ait puisé là son intérêt pour l'énigme du psychisme.

Autre réflexion que je désire épingler : sa conviction accrue, au fil des expériences dans les institutions scientifiques, "du décalage entre les opinions et les comportements des gens, de la peur des groupes de prendre des décisions fondées, de leur désarroi devant l'action intense de la pulsion de mort".

Après cette ouverture, quatre parties se distribuent les matières :

1. Les années d'apprentissage et l'enseignement du professeur (Strasbourg, Nanterre).

2. Les recherches dans la psychanalyse.

3. Certains développements de la psychanalyse vers la psychologie projective, le psychodrame, la famille et le groupe, la création littéraire et autre.

4. Une rubrique intitulée livres ouverts qui décrit l'intérêt d'Anzieu pour Pascal, son oeuvre de directeur de collection et se termine par une bibliographie détaillée de son oeuvre.

A travers ces divers axes, se manifeste la fécondité de l'oeuvre d'Anzieu. Je voudrais, parce qu'il faut bien suivre ses propres intérêts et renoncer à rendre compte dans le détail de l'ensemble de cet ouvrage, faire ressortir la portée de deux ou trois textes.

Celui de Kernberg d'abord, sur l'amour dans le setting analytique, thème rarement évoqué alors que les pulsions destructrices le sont tant ! Il nous offre un décodage subtil des variétés du transfert, en fonction du vécu du patient et de l'analyste, le degré d'influence des entraves narcissiques, l'intensité du contre-transfert, selon certains cas de figures, et les questions qu'ainsi ose poser Kernberg quant à la propre structure de l'analyste. Cet article fécond et rare sur la question du transfert érotico-amoureux se double d'une réflexion éthique tout à fait pertinente, à qui accepte de ne pas traiter de manière aveugle la notion du contre-transfert.

Avec l'inter-liaison rythmique, et l'effet de présence, Ophélia Avron nous initie à un phénomène sub-liminal (ou presque), celui du "bruissement tensionnel des présences". J'adhère volontiers à ce type d'analyse, tout comme à la notion un peu pointue du cosoi développée par Ada Abraham, mais est-il nécessaire d'en arriver à un tel jargon pour expliquer qu'il existe, en effet, un "synthéisme primaire" où l'infans fonctionne "comme si lui et sa mère, lui et l'univers étaient une seule unité, un seul système pourvu de limites flexibles". De là découle un ensemble de considérations certes pertinentes mais qui me questionnent quant à notre propension à vouloir penser les moments les plus primitifs, sans doute ineffables, sinon "impensables" selon le mot de Gantheret. Depuis lors, je le reconnais, le "cosoi" revient dans mes associations, mais sans toujours bien le différencier de ce qu'apportent d'autres auteurs. Après tout, ne parlent-ils pas de la même chose, en des termes différents ?

Je citerai enfin de l'article de Janine Puget cette remarque que tout analyste devrait méditer : "Comment et pourquoi la vie en groupe fait apparaître des modalités d'échanges que nous ne pouvons pas découvrir même dans les meilleures cures bipersonnelles". J'y reconnais l'intuition que l'expérience du groupe nous révèle des aspects nouveaux, inédits de notre propre fonctionnement. Puget pointe là une partie essentielle de l'apport de Didier Anzieu. C'est autour de la groupalité que son oeuvre me semble nous apporter le plus. La psychanalyse avait trouvé sa fécondité à dégager le fonctionnement psychique personnel ; elle trouve aujourd'hui son avenir et sa vérité à réintégrer la dimension d'emblée toujours familiale et groupale de tout ce qu'elle appréhende.

Cet ouvrage d'hommages nous y aura fait réfléchir. Par son genre littéraire, il nous laisse quelque peu sur notre faim, en raison d'une trop grande multiplicité et diversité des apports, forcément brefs et superficiels. Peut-être se transforme-t-il trop en une sorte de tribune ? Ou alors constitue-t-il une invitation à aller lire les auteurs ? En tout cas, par certains des textes proposés, il m'a relancé dans ma propre réflexion.

Puisse Didier Anzieu y trouver la preuve, s'il en doutait encore, que beaucoup avec lui et après lui se passionnent et se passionneront pour la psyché.