Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1984-10-01

Notes de lecture

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La traduction de cet ouvrage met à la disposition du lecteur de langue française le premier d'une série de trois volumes centrés sur le "développement kleinien de la psychanalyse". Ce premier volume concerne l'oeuvre de Freud, les deux suivants étant respectivement consacrés à M. Klein et Bion. Il rassemble des conférences de Meltzer destinées à l'enseignement du "cours de psychothérapie de l'enfant" de la clinique Tavistock.

Que le lecteur ne s'y trompe pas : il ne s'agit nullement d'une synthèse de l'oeuvre de chacun de ces auteurs mais de commentaires critiques de certains textes. Meltzer situe son propos : " les conférences qui suivent sont une intégration très personnelle de l'oeuvre de ces trois personnages". Dans ce premier volume, il choisit de suivre Freud à travers des textes plus spécifiquement cliniques. Il estime, en effet, qu'il existe un clivage entre le Freud théoricien et le Freud clinicien ; s'il reconnaît les géniales intuitions du clinicien, il critique certaines constructions théoriques élaborées par le Freud "scientifique" à partir de ces données. Meltzer articule ainsi le "développement kleinien de la psychanalyse" sur les limites de la métapsychologie freudienne.

Notons que la connaissance des textes de Freud choisis par Meltzer paraît nécessaire pour apprécier les élaborations auxquelles conduisent leurs commentaires même si le souci didactique de l'auteur l'amène à résumer leurs lignes essentielles pour le lecteur. Ajoutons que si le projet de départ concerne les textes cliniques de Freud, la référence au Freud "scientifique" implique l'évocation des écrits théoriques. C'est bien de l'ensemble de la métapsychologie qu'il est donc question même si l'éclairage proposé tente de mettre en évidence le praticien dans son cabinet de consultation.

Les conférences procèdent selon un ordre chronologique. Depuis l"'Esquisse" et les "Etudes sur l'Hystérie" jusqu'à "Analyse finie, analyse sans fin", Meltzer décrit ce qu'il estime être la transformation progressive du neurophysiologiste en "psychologue phénoménologique". Il dénonce cependant les tenaces "préconceptions" qui enchaînent Freud au mode de pensée scientifique dont il est l'héritier et qui l'ont empêché, à son avis, de se dégager d'une théorisation réductrice qui a entravé, temporairement du moins, les innovations techniques que la pensée de M. Klein permettra.

La critique de Meltzer sur la métapsychologie freudienne porte sur quelques points précis parmi lesquels le statut de l'affect, la fonction du rêve, l'existence d'un "monde interne" (associé au problème de l'identification).

Le statut de l'affect : pour Meltzer, "Freud n'en arrive jamais à une véritable théorie des affects, en tant que phénomène central du fonctionnement mental ; les affects sont considérés simplement comme sous-produit de la vie pulsionnelle" ; ils restent liés à un élément quantitatif plutôt que qualitatif, "comme quelque chose ayant une satisfaction quasi-physique mais dépourvue de sens" ; la conceptualisation de l'affect reste du registre essentiellement économique : le plaisir est attaché à la diminution de tension, le déplaisir à son accroissement. Il reviendra aux kleiniens de faire de l'affect, et plus spécialement de la "douleur psychique", le référent central du fonctionnement mental.

La fonction du rêve : Meltzer pose ici les fondements de son livre "dream-life" dans lequel il reprendra, d'ailleurs, certaines critiques qu'il formule déjà quant à la conception du rêve chez Freud. Plus précisément, il regrette que Freud ne considère le rêve que sous un angle quasi "physiologique" à savoir en tant que "gardien du sommeil" par l'accomplissement de désir qu’il tente de réaliser. Meltzer ébauche sa théorie du rêve considérée comme forme d'activité mentale créatrice en continuité avec la vie mentale vigile (cfr L'étude critique de W. Van Lysebeth sur "dream-life" publiée dans ce même numéro).

Le monde interne : selon Meltzer, Freud n'a pas su exploiter la notion de "monde interne" dont il a cependant cliniquement ébauché la description. Sa référence à ce "monde interne" reste purement métaphorique alors que pour les kleiniens il devient un lieu psychique qui a "une réalité propre, rivalisant en signification avec la réalité du monde externe, tel qu'il est perçu". L’existence de ce monde interne résulte des identifications ; Meltzer estime que Freud n'a pas su utiliser suffisamment ce concept.

La conceptualisation de la notion de monde interne a une incidence déterminante sur la technique analytique. Un des derniers textes de Freud, "Construction en analyse", reste fidèle à l’analyse analytique destiné à reconstruire le passé et à "l’élimination de la tendance aux distorsions par le transfert infantile, c’est-à-dire cette tendance du passé à déformer dans le présent la perception et l'expérience du monde externe". L'apport kleinien, avec l'acceptation de ce "monde interne", "espace dans le psychisme occupé par des figures ayant une existence continue, plutôt que par des ‘imagos’" et se traduisant par la "possibilité que la remémoration puisse se situer dans l'action, simplement en expérience transférentielle" donne à l'analyse une dimension nouvelle axée davantage sur l'importance du transfert.

En effet, le hic et nunc de la relation analytique devient le lieu privilégié de déploiement du "monde interne" dont l'analyste communique la description et la compréhension à l'analysant. Selon Meltzer, c'est l'importance accordée par Freud à l'aspect économique du fonctionnement mental qui a occulté partiellement dans la cure l'accès au "monde interne" théorisé par les kleiniens, réalité psychique par excellence.

La lecture de l'ouvrage de Meltzer m'a beaucoup intéressée. A partir d'une connaissance approfondie de la théorie de Freud, l'auteur apporte un éclairage personnel sur les spécificités techniques qui opposent les tenants des théories freudienne et kleinienne.

Toutefois, les prises de position de Meltzer sont souvent outrancières, voire partiales. Il est vrai que son propos se veut didactique, destiné à des étudiants en formation et on peut se demander si, pour être percutantes, il ne fallait pas que ses attaques soient caricaturales. Meltzer dénonce parfois lui-même sa virulence pour la nuancer ensuite. On ne peut s'empêcher cependant d'être tenté de prendre la défense de Freud devant des affirmations aussi passionnelles. Ainsi quand Meltzer attribue à Freud d'assimiler le bonheur à un état semi-comateux sous prétexte que le modèle du plaisir est lié pour lui à l'apaisement de l'excitation ou encore quand il semble oublier superbement les développements de Freud sur les mécanismes mentaux du rêve, "voie royale de l'inconscient", pour n'en garder que l'explication "physiologique, le rêve gardien du sommeil".

Livre polémique donc, à n'en pas douter mais dont la lecture, si elle est parfois irritante, reste source d'enrichissement personnel en ce qu'elle renvoie – et c'est pour moi l'essentiel – à une réflexion sur sa propre clinique psychanalytique.