Notes de lecture

Delaunoy, Jacques

1994-10-01

Notes de lecture

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L'eczéma, une maladie toute simple, banale. Tout le monde connaît. Quelques vésicules sur la peau, de la rougeur, du prurit.

Environ 2,4 % de l'ensemble des enfants en sont atteints.

Mais voilà, si on gratte un peu, si j'ose dire, les choses commencent à se compliquer.

D'abord, sur le plan des manifestations, l'eczéma est changeant, il peut sécher, suinter, s'intensifier sur place, disparaître pour réapparaître ailleurs, tout cela chez un même individu sans parler d'une grande variabilité entre individus. De plus, il est souvent associé à une histoire personnelle ou familiale d'asthme, de rhinite allergique. Il peut débuter très tôt, vers l'âge de 3 mois, et s'associer à des troubles instrumentaux d'apprentissage.

Bref, après le banal, le perplexe.

Alors, on se met à réfléchir, à classer, à chercher le pourquoi et le comment. Même le nom a changé, devenu la dermatite atopique (c'est-à-dire le malaise). Et les questions de s'enchaîner. S'agit-il vraiment d'une maladie de la peau ou n'est-ce que la manifestation cutanée d'un trouble plus général, de nature allergique (caractère héréditaire, éosinophilie sanguine, hypersécrétions d'immunoglobulines, réactivité anormale des bronches et de la peau) ?

Si on a quelques réponses sur le plan du comment (la pathogénie), on ignore toujours la ou les causes (l'étiologie) et aucune théorie ne rend compte de l'ensemble très polymorphe des manifestations (la clinique).

De plus, cette maladie a été très rapidement rangée dans la catégorie des maladies psychosomatiques (du côté de l'asthme et de la personnalité allergique), et de nombreux traits de la personnalité ont été recherchés pour expliquer, supputer, théoriser les rapports entre psychisme et corps (caresse cutanée I satisfaction libidinale, inversion de ce plaisir, agressivité I grattage, dépression maternelle, etc).

Jean-Marie Gauthier est médecin et psychanalyste. Il travaille comme pédopsychiatre et rencontre sur un terrain concret la clinique de cette affection tellement floue et fluctuante. Il se pique au jeu de la complexité mais prudence d'abord et avant toute chose : comment poser les questions et quelles questions poser. "En fait cette affection qui pourrait être banale ou sans intérêt se révèle extrêmement utile pour mettre en évidence un certain nombre de difficultés des conceptions médicales et psychanalytiques du corps et de la maladie".

"En réduisant mon étude à la seule dermatite atopique, j'ai en fait tenté d'isoler, de façon assez arbitraire, une réalité clinique en espérant limiter le nombre de variables envisageables et permettre une recherche aussi précise que possible de ses déterminismes… Mon seul objectif était de vérifier si une approche psychosomatique de la dermatite atopique était justifiée et de poser un certain nombre de repères épistémologiques et méthodologiques…".

Et c'est là un des premiers mérites de l'auteur : s'attaquer tant sur le plan médical que sur le plan psychanalytique à une réflexion très rigoureuse sur la manière dont ces activités de pensée découpent le réel, mettent en évidence certains paradigmes, en oublient d'autres, et comment les apories de la théorie biaisent parfois les résultats ou entraînent des confusions de plan.

La première partie du livre est consacrée à cette réflexion épistémologique, passant au crible d'une critique serrée les concepts fous, les a priori théoriques injustifiés, renouvelant les questions et la manière de poser son regard.

Fort de cette moisson théorique, nous assistons dans la deuxième partie du livre à une recherche pratique, de terrain, où sont présentés les cas cliniques et les histoires individuelles. Et c'est là le deuxième très grand mérite du livre de Jean-Marie Gauthier : nous faire vivre et assister à la naissance d'une pensée psychosomatique qui se nourrit d'incessants aller-retour entre les faits cliniques et les hypothèses de travail qui un peu à la manière d'une enquête policière éclairent tour à tour différents secteurs de la complexité des rapports psychisme-corps.

Ce n'est pas la place de donner ici les résultats de cette recherche, complétée par des données statistiques, mais insistons quand même sur le fait, appuyé sur les théories de Sami-Ali, qu'il s'agira de rencontrer ici le corps réel, malade et le corps imaginaire, libidinal et que cette exigence ouvre des perspectives très riches pour des développements ultérieurs.

Que l'on songe, par exemple, à la fécondité de la notion de rythme opposée à celle combien évanescente de mère déprimée. Les rythmes, ceux du corps propre de l'enfant qu'il doit construire, découvrir, ressentir et penser, ceux de son environnement social et d'abord de sa mère, infiltrés de tout l'imaginaire parental sur l'enfant, ces rythmes donc s'opposent, se complètent, se combattent.

De là naissent les hypothèses de travail de l'auteur sur la naissance de l'identité, du temps, de l'espace, de son corps bien à soi, corps réel et corps imaginaire, et des avatars pathologiques rencontrés sur ce chemin.

On lira avec grand profit le livre de Jean-Marie Gauthier tant pour sa rigueur épistémologique et méthodologique que pour le caractère exemplaire de sa recherche psychosomatique.