Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1994-10-01

Notes de lecture

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Le livre de C. Parat rassemble une importante série d'articles jalonnés dans le temps ; certains remontent à fort longtemps (1958) ; peu sont inédits. L'ouvrage est préfacé par A. Green.

Ce type de publication met en évidence combien des écrits apparemment disparates, publiés au gré des intérêts personnels du moment ou des incitations extérieures (congrès, colloques…) s'inscrivent dans une pensée dont le fil conducteur apparaît au lecteur… comme à l'auteur ! C. Parat estime que "sa démarche… privilégiait toujours la place de l'affect. Sa place comme trame du psychique, dans l'évolution libidinale, dans la vie, dans la clinique du point de vue du patient et aussi du point de vue de l'analyste", position qu'objective le choix de son titre. Green, quant à lui, prend en compte les différents centres d'intérêts de C. Parat et estime que le livre aurait pu s'intituler "la femme, l'oedipe et l'affect en analyse".

Sous cette nouvelle forme, j'ai, pour ma part, redécouvert avec un plaisir renouvelé une pensée que j'avais suivie tout au long de sa progression. Les mérites de C. Parat se situent pour moi à différents niveaux. A. Green y insiste, C. Parat s'est toujours "gardée d'une participation trop intense ou trop voyante aux délices généreux des combats politiques entre analystes ou entre groupes d'analystes…" Ce qui ne l'empêcha pas de publier régulièrement des articles qui puisent leur source dans la clinique. Les exposés de cas sont, chez elle, fréquents, matériel qu'elle théorise avec l'originalité et la simplicité qui la caractérisent, simplicité qui n'enlève rien à la profondeur de sa réflexion.

Par ailleurs, C. Parat s'est toujours située pour moi du côté des mouvements novateurs, voire contestataires dans le flux de la pensée psychanalytique française. Ainsi de ses articles sur la sexualité féminine qui constituent le premier chapitre du livre. Pour les analystes de ma génération, le livre de Chasseguet-Smirgel J. et coll. "Recherches psychanalytiques nouvelles sur la sexualité féminine" paru en 1964, marqua un virage déterminant dans la compréhension de la psychosexualité féminine. Les auteurs révisaient avec détermination les théories axées sur le "monisme phallique" légué par Freud, théories qui pesaient encore lourd dans la pensée psychanalytique de l'époque. Pour sa part, C. Parat décrit avec nuance les mouvements transitoires qui accompagnent le changement d'objet chez la petite fille, moment où la fillette, habitée par une rivalité anale phallique avec la mère, se tourne vers le père. Non par envie pour le précieux pénis dont le père est l'heureux détenteur, thèse qui avait encore cours pour certains analystes, mais dans un mouvement de dégagement de la mère et d'authentique élan libidinal vers le père. Ce rapprochement amoureux implique un infléchissement masochique par rapport aux mouvements sadiques qui agitaient la relation à la mère. Mouvement masochique momentané donc, qui donnera lieu à la réceptivité féminine, forme d'activité à but passif, mouvement spécifiquement féminin selon l'auteur. L'hypothèse de C. Parat est étayée sur des observations cliniques, notamment son article le plus ancien "la place du mouvement masochique dans l'évolution de la femme" qui date de 1958. L'actualité et la fraîcheur de ses descriptions cliniques restent intactes. L'importance qu'elle accorde à l'analité et la façon pertinente dont elle en parle complètent l'intérêt de ses positions quant à la féminité.

Le deuxième chapitre est consacré au rapport présenté au XXVllème congrès des psychanalystes de langue romane en 1967, sur le thème "L'oedipe noyau des névroses". Pour moi, ce texte a constitué et continue à constituer une référence. C. Parat s'attache à étudier ce qu'elle appelle "organisation oedipienne", fonction psychique "la plus évoluée" qui correspond à une forme de structuration mentale organisée autour de la rencontre "génitale" avec le conflit oedipien, façon d'objectiver un fonctionnement névrotique par opposition à d'autres formes d'organisations mentales. Si C. Parat estime qu'il s'agit là d'une structure solide, sa vivance s'exprime, néanmoins, par des oscillations qui nécessitent un travail permanent de rééquilibration. Ici aussi, la tentative de conceptualiser un fonctionnement névrotique par rapport à d'autres modes de fonctionnements psychiques constituait une position d'avant garde. Dans ce contexte, l'auteur articule les deux versants de l'oedipe, oedipe positif et oedipe négatif, points d'ancrage des identifications masculines et féminines qui autorisent un plein épanouissement de la rencontre hétérosexuelle. Son souci pour les facteurs susceptibles de favoriser le "bonheur" est déjà bien présent dans ces développements.

"Clinique et technique analytique", troisième chapitre du livre, regroupe les articles que C. Parat a consacrés plus spécialement à la technique de la cure. On y découvre les qualités de grande clinicienne de l'auteur en même temps que son indépendance d'esprit. Certes, C. Parat reste nourrie d'une pensée psychanalytique "traditionnelle". Ses très fines "réflexions sur le transfert homosexuel dans le cas particulier d'un homme analysé par une femme" en sont une illustration patente. Mais C. Parat se démarque clairement de l'excès de "pureté analytique" (c'est elle qui le dit) qui a pu marquer une certaine pensée psychanalytique française. Ainsi met-elle à l'avant plan de sa pratique l'aspect thérapeutique de l'analyse, position qui, sans nul doute, la marginalise par rapport à une certaine orthodoxie. Mais c'est également pour elle l'occasion d'ouvrir la voie à de nouvelles perspectives cliniques.

C'est ainsi que je dois à C. Parat le terme "transfert de base". Avec J. Guillaumin elle fut, en son temps, le seul auteur français qui, à ma connaissance, proposait une théorisation susceptible de rejoindre mes propres réflexions. L'usage que C. Parat fait de ce terme n'est pas entièrement superposable au mien. Pour elle il s'agit d'un concept qui renvoie davantage tantôt à ce que M. Van Lysebeth a appelé "relation analytique", tantôt au transfert de composantes basales de la personnalité, usage plus proche de celui que j'en fais. Ainsi parle-t-elle de "relation (ou transfert de base) dont l'établissement et la stabilité permettent justement le travail analytique" mais ailleurs "nommer la relation 'transfert de base', c'est souligner la part transférentielle de toute relation humaine".

Quoi qu'il en soit, la sensibilité de C. Parat à cette dimension correspond nécessairement à une attitude contre-transférentielle faite d'accueil, d'accompagnement, "l'objet thérapeute se trou(vant) ainsi comme objet à introjecter". "Analyste des analystes", comme le souligne Green dans sa préface, "son divan extra-territorial a permis à beaucoup de fauteuils de s'allonger devant elle – si j'ose dire". C. Parat n'hésite pas à assumer la part la plus profondément humaine de son travail d'analyste, certainement présente dans son contre-transfert au quotidien dans les cures dites traditionnelles mais également dans l'aide qu'elle accorde à ceux qui lui demandent une écoute de partage pour faire face aux "accidents de vie auxquels nul n'échappe, deuil, échec, abandon, infirmités, vieillissement, qui peuvent constituer des réalités insurmontables sans l'aide qu'apportent la compréhension, l'adaptation sans détours, la ré-articulation dans l'histoire personnelle avec les autres avatars de la castration, que peut apporter un analyste, et l'accompagnement dans la souffrance différent de celui des proches".

On le sent, C. Parat alimente ses réflexions non seulement à sa pratique mais également aux aléa de la vie. C'est sans doute cette sensibilité qui lui donne la liberté d'écrire un "Essai sur le bonheur" qui ouvre son 4ème chapitre intitulé "le poids de l'affect", chapitre que clôture, dans la même veine, un article sur "psychanalyse et sacré". C. Parat y souligne l'importance qu'elle accorde aux valeurs de vie, amour, deuils, tendresse, vieillissement, ascèse, sacré. Et c'est encore son humanité qu'on retrouve dans son article sur les thérapies des personnes plus âgées ayant subi un traumatisme : thérapies en face à face, "hors cadre", l'analyste qu'est C. Parat n'hésitant pas à revendiquer la "noblesse" à part entière de ce type d'interventions. Dernier centre d'intérêt que je mentionnerai et qui n'étonnera pas, celui pour le "courant tendre" et la tendresse. C'est néanmoins avec beaucoup de rigueur que l'auteur tente d'isoler la notion de tendresse de celle d'érotisme, préoccupation qui rejoint son intérêt pour la "co-excitation libidinale", notion intéressante à laquelle C. Parat consacre également une investigation. C'est par le biais de la tendresse que C. Parat rejoint son interrogation sur le "transfert de base", mais aussi, sur le "contre-transfert de base" dont un élément constitutif essentiel, est à ses yeux, la tendresse par opposition au "transfert pulsionnel".

Cinquième chapitre enfin, "L'affect en thérapie" dont le dernier texte, "l'affect partagé", également titre de l'ouvrage, est un inédit. Il m'est apparu comme un message au travers duquel C. Parat transmet les valeurs analytiques qui guident sa pratique. La constatation qui introduit son propos confirme mon impression de propos parfois provoquants : les "bons" analystes classiques doivent bien constater le peu de changements de certaines cures alors que d'autres "considérés comme moins brillants dans la verbalisation et les jeux transfert-contre-transfert se révèlent à l'usage de meilleurs thérapeutes". L'auteur répond à cette constatation en développant la conviction selon laquelle une large part de l'effet thérapeutique se joue au niveau de l'échange infra-verbal, "apprentissage affectif" du patient rendu possible par l'accompagnement affectif de l'analyste. "Amener à la conscience ce qui était inconscient à travers le préconscient" reste certes un aspect important de l'analyse. Mais C. Parat est formelle : si certains "puristes" (l'expression est d'elle) réduisent l'analyse à ce type de travail, pour elle, il ne suffit pas. Il est essentiel de "conforter le narcissisme du patient" et tant pis si d'aucuns considèrent cette manière de faire comme "d'ordre psychothérapeutique". Et C. Parat de conclure, en parlant de l'analyste : "En ce qui concerne le rôle joué par l'analyste, si l'expérience de l'analyse personnelle (sous l'angle représentatif et sous l'angle du vécu affectif) est indispensable, si les connaissances et l'expérience sont nécessaires, il est souhaitable qu'il soit doué aussi d'un savoir affectif. L'affectivité est à la fois instrument de connaissance et instrument thérapeutique".

Affect partagé au travers du dialogue analytique, dit C. Parat. Affect partagé aussi à travers la lecture de son livre. Mais pas seulement. C. Parat partage avec générosité, simplicité, courage aussi son immense expérience d'analyste qui pratique en totale liberté et indépendance de pensée.