Notes de lecture

Watillon, Annette

1994-10-01

Notes de lecture

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Je vous recommande vivement la lecture de ce livre original, bien construit, agréablement écrit et qui comporte, en tenant compte des apports de nombreux auteurs, une théorisation cohérente et personnelle des origines féminines de la sexualité.

L'auteur se dégage radicalement des vues phallocentriques de S. Freud sur la féminité et c'est en cela qu'il est passionnant. Au passage, il nous montre combien la clinique de S. Freud est différente de ses théorisations, particulièrement en ce qui concerne la féminité. Cela nous vaut des analyses fines et originales de textes freudiens bien connus tels que : le cas Dora, Fragment d'une analyse d'hystérie ; Un enfant est battu ; L'homme aux loups.

Malgré les affirmations d'Abraham sur la théorie cloacale et celles de Lou Andréa Salomé sur la dérivation du vagin à partir du cloaque et malgré ses propres affirmations dans "Sur les transpositions de pulsion, plus particulièrement dans l'érotisme anal" (1917), "Le rapport entre le pénis et le conduit de membrane muqueuse (le vagin) qu'il remplit et excite, se trouve déjà préfiguré dans la phase prégénitale sadique anale. La balle d'excrément (ou la "verge d'excréments" selon l'expression d'un patient) est pour ainsi dire le premier pénis, la membrane qu'il excite est le rectum". S. Freud continue à adhérer à une théorisation centrée sur le primat du phallus et une méconnaissance du vagin par la petite fille, dans les textes théoriques consacrés à la sexualité féminine (la masculinité originaire de la petite fille).

L'hypothèse de J. André est inspirée de celle de J. Laplanche sur les origines de la pulsion liées à la "séduction originaire de l'enfant par l'adulte" (voir J. Laplanche : la révolution copernicienne inachevée). Pour J. André : "cette séduction adulte est consécutive de la féminité précoce chez le garçon et chez la fille ; l'intrusion de la sexualité adulte constituée, à elle-même inconsciente, contraint l'enfant à une position passive et séduite, prélude de la position féminine". Il ne s'agit pas d'une séduction active et consciente, mais de celle qui accompagne les soins précoces donnés à l'enfant.

L'existence de sensations vaginales précoces sur un mode plus mécanique que fantasmatique ne suffit pas à elle seule à faire du cloaque une zone érogène. Il faut y imprimer le fantasme du désir de recevoir le pénis du père. L'auteur en trouve des traces dans le fantasme typique : un enfant est battu, et les interprétations que S. Freud en a données. J. André résume la situation de la manière suivante : "Le fait d'être battu satisfait d'abord aux exigences de la coupable : la croyance du temps 1 (il – le père – n'aime que moi et non l'autre enfant qu'il bat) se voit opposé dans le temps 2, le plus cinglant des démentis : "Non, il ne t'aime pas car il te bat". Mais il faut bien que la motion amoureuse ait également sa part, la teinte de plaisir en témoigne (il s'agit d'un fantasme masturbatoire) : le fait d'être battu n'est pas seulement la punition pour la relation génitale prohibée, mais aussi le résultat régressif de celle-ci. L'enfant est battu, comme S. Freud le signale au début de son article, sur son "tutu tout nu". Le fantasme de la phase 2 gagne dès lors en localisation : je suis battue par le père sur le tutu, le cloaque. Côté féminin, la régression du génital vers l'anal est grandement facilitée". L'auteur nous rappelle que le matériel onirique et la clinique de la petite enfance montrent bien qu'il y a confusion possible entre deux orifices, anal et génital.

J. André conteste également l'affirmation de S. Freud selon laquelle la fille n'aurait qu'un Surmoi "débile". Au contraire, écrit-il, la petite fille battue, aimée du père, désireuse de son amour, ayant le "pressentiment" de ce qu'elle attend (pénis ou fessée) et du lieu intime de pénétration (le tutu-popo vagino-anal), s'affronte en même temps au débordement pulsionnel et aux conséquences de la concurrence avec la mère (concurrence par rapport au pénis convoité). Il en résulte une "conscience de culpabilité peut-être plus exigeante pour la fille" (ce qui est une citation de S. Freud !) que pour le garçon, comme en témoigne l'importance des déformations entre le noyau inconscient du fantasme et ses efflorescences conscientes.

L'auteur compare les deux petites filles décrites par S. Freud en 1919 dans le texte "Un enfant est battu" et celle de 1932 (dans : La féminité), qui sont totalement étrangères l'une à l'autre. Celle de 1919 a un père pénétrant (séducteur), un corps réceptacle et une conscience de culpabilité torturante. La petite fille de 1932 ignore son propre sexe, rencontre son père comme on s'accroche à une bouée de sauvetage et laisse doucement s'effilocher le lien qui l'a rapprochée de ce personnage secondaire.

Inutile d'ajouter que l'auteur choisit de nous démontrer la pertinence de la première intuition freudienne. J. André ne néglige pas pour autant l'aspect phallique et la revendication du pénis dont l'importance est confirmée par la clinique. Il reprend l'hypothèse freudienne de "Un enfant est battu" où le complexe de masculinité se révèle être une formation psychique défensive contre l'angoisse devant la libido incestueuse, contre les craintes accompagnant le "pressentiment" du but définitif : être coïtée par le père.

Il est impossible de résumer toute la richesse de ce livre et la finesse de l'auteur qui essaye de comprendre pourquoi S. Freud a abandonné sa "neurotica" mais du même coup le père "séducteur". Reprenant la théorie de J. Laplanche concernant la séduction originaire, J. André écrit : "I'enfant-séduit est un enfant-cavité, un enfant orificiel". La vie psychosexuelle ne commence pas par : "j'introjecte", ni même par "je me nourris et j'en profite pour sucoter" mais par : "il (l'adulte) implante, il entremet sans savoir ce qu'il fait". Il y a pour l'infans, au moment inaugural de sa vie psychosexuelle, une double altérité : celle de l'adulte et celle de l'inconscient dans l'adulte. La situation générale de séduction rassemble un adulte effractant et un enfant effracté : les mots dans l'oreille, le téton dans la bouche, le suppositoire dans l'anus… La pénétration (séduction) de l'adulte n'est pas simple métaphore, elle passe par l'acte.

"Si cette pénétration est, comme nous le pensons, constitutive de la féminité du premier enfant, la théorie de la séduction ouvre alors sur une psychogénèse de la féminité précoce" écrit l'auteur. Mais d'où vient l'inscription sexuelle du processus et plus précisément l'érogénéité vaginale ? La réponse apportée par M. Klein se situe sur le plan fantasmatique, au niveau d'une migration du haut vers le bas, de la bouche vers le vagin, de la fellation vers le coït. L'enfant, déçu par le sein, cherche un objet plus adéquat. J. André met l'accent et donne toute son importance au fantasme de l'adulte qui prodigue les soins à l'enfant. Il écrit : "La fellation ne succède à la tétée dans le fantasme de l'enfant que parce qu'elle la précède dans le fantasme de l'adulte soignant/séducteur". Plus loin, il note : "Notre propre démarche tient pour coalescent et inséparables : l'excitation, le fantasme associé et la situation d'intersubjectivité (de séduction) constitutive de la psychosexualité". L'excitation est celle de l'étayage, de la co-excitation libidinale, via la paroi recto-vaginale. Le vecteur pulsionnel en question ici est la passivité.

J. André veut redonner à la passivité pulsionnelle sa véritable signification en sortant de la confusion (favorisée par S. Freud) entre passif et châtré. Il propose la définition suivante de la passivité pulsionnelle : jouir de ce qui (vous) arrive, participer avec jouissance à ce qui (en vous) pénètre, fait intrusion. C'est dire le lien intime entre la passivité et le dedans, l'intérieur. La passivité, comme but pulsionnel, "prend la suite" de la passivité du Moi devant l'attaque pulsionnelle, laquelle "succède" elle-même à la passivité traumatique du nouveau-né devant le monde adulte. Telle est bien ce qui en fait la part difficilement acceptable et qui nourrit, chez l'homme comme chez la femme, le refus de la féminité.

L'accent est mis sur l'analité, non seulement parce qu'elle permet l'investissement du vagin par co-excitation libidinale, mais également en vertu de la problématique dedans-dehors, constitution d'un espace interne, non visible, donc mystérieux, tellement à l'avant-plan dans la phase de maîtrise anale.

L'hypothèse d'une "sexualité féminine primitive, chez le garçon et chez la fille, refoulée à cause de la facilité avec laquelle l'intensité de l'excitation pénétrante peut déborder les capacités de métabolisation de l'enfant et scellée dans ce refoulement par le recours à une phallicité défensive", a des implications dans tout le développement psychosexuel ultérieur de l'être humain. L'auteur envisage un nombre important des conséquences de cette manière de voir, avec finesse et en détail. Impossible d'en rendre compte ici.

Je ne peux que vous conseiller la lecture d'un livre qui m'a passionné. La cohésion théorique et clinique dont il témoigne sont un plaisir pour l'esprit et satisfont son besoin de logique et de vérité.