Notes de lecture

Watillon, Annette

1993-04-01

Notes de lecture

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Il s'agit d'un ouvrage collectif, sous la direction de A.J. Sameroff et R.N. Emde, divisé en trois parties. La première partie "Le développement", expose les principes dynamiques permettant de comprendre les relations précoces. Dans la deuxième partie "les troubles", les auteurs explorent les distorsions qui peuvent se produire au cours du développement des relations. La troisième partie "le contexte", étudie les différents modes d'organisation des relations qui résultent de l'interaction entre le développement du bébé, la famille et le contexte culturel.

Ce livre s'adresse aux spécialistes de la toute petite enfance. Les thèses et hypothèses sont étayées sur des expérimentations poussées et rigoureuses demandant des moyens financiers énormes et confirmées par des études de follow-up sérieuses.

L'objectif, au départ, visait à essayer d'établir une nosographie adaptée à la psycho-pathologie du nourrisson et du jeune enfant. Il est en effet impossible d'étendre la nosologie basée sur la pathologie des individus adultes à la première enfance. Les auteurs espéraient qu'en rassemblant des connaissances émanants de cadres de recherche variés, ils découvriraient de nouvelles perspectives permettant d'aborder la classification des désordres précoces. Pour cela, il fallait se concentrer sur la relation de l'enfant avec son environnement familial d'abord, culturel ensuite et d'en étudier les troubles. Au fil de leurs rencontres et de leurs discussions, les auteurs ont abandonné l'idée de résoudre le dilemne nosologique et ils ont plutôt tenté d'élaborer un modèle développemental, ce qui n'est déjà pas simple vu la multiplicité des facteurs qui jouent un rôle dans le déroulement des interactions.

Les animateurs du projet insistent beaucoup sur le fait que cet ouvrage n'est pas constitué de la juxtaposition d'articles écrits par des auteurs différents, chacun spécialisé dans son domaine, mais qu'il reflète une pensée résultant de plusieurs années de réflexion en commun où les divergences n'ont pas été escamotées pour autant. Je pense qu'ils ont réussi cet objectif. Il en résulte un ouvrage riche et bien documenté, à consulter lorsqu'on veut approfondir les connaissances actuelles dans le domaine des relations précoces, sa lecture en continu est un peu fastidieuse.

L'intérêt que j'ai personnellement trouvé à ce livre, réside dans le fait qu'il illustre, démontre et confirme, si besoin en était encore, l'importance de la relation. La pathologie ne se situe pas au niveau du bébé ou des parents, mais bien dans le désordre de l'interaction.

A. Sameroff expose ses idées sur le développement vu comme un système régulé au niveau interne par le génotype et au niveau externe par la famille, la société qui donne une forme, une direction et une organisation à la personnalité de l'enfant (chapitre 1). R. Emde, dans le deuxième chapitre, décrit les relations vues selon la perspective de l'enfant. II considère que l'organisation biologique de l'enfant et de ses parents les poussent à engager des relations régulées par des échanges affectifs. Les affects sont primordiaux et favorisent le rôle des émotions en tant qu'organisateurs d'expériences en fournissant des déclencheurs et une cohérence. L'accent est mis sur la régulation de l'interaction.

La base de l'individuation réside dans le développement des capacités de représentation de l'enfant, comme D. Stern nous le décrit au troisième chapitre. Ses théories nous sont assez familières.

Finalement, la première partie se clôture par un article de L. Alan Sroufe qui étudie le rôle des relations sociales dans l'émergence et l'organisation du soi de l'individu.

La deuxième partie, qui traite des troubles, commence par un écrit d'A. Sroufe où il essaye de les définir. Il décrit les relations en fonction de leur qualité, de leurs fonctions, de leurs patterns et de leurs objectifs. Dans l'évaluation d'une relation il faut tenir compte d'une série d'interactions entre plusieurs personnes pendant un certain temps, de la continuité de ces interactions et de l'influence des interactions précédentes. Il constate que dans une certaine mesure les relations sont prévisibles : quand une relation est correctement décrite et étudiée, ses qualités futures peuvent être prédites, même dans un contexte changeant. L'aspect qualitatif de la relation entre le bébé et ses partenaires est extrêmement stable. Les individus intériorisent les relations dans leur intégralité et non simplement les rôles qui y sont joués. Les premiers patterns de relation sont transposés dans les relations intimes ultérieures. Mary Ainsworth a fait une classification de l'attachement vers l'âge d'un an qui permet de prédire, avec beaucoup de justesse, le comportement de l'enfant à des étapes ultérieures de son développement : par exemple, l'attitude de l'enfance face à une situation inconnue (situation étrange d'Ainsworth), la capacité de faire face au stress, la sociabilité vers l'âge de 2-3 ans.

Thomas Anders, dans le chapitre 6, propose un plan de classification des relations précoces parents-enfant. Il base son travail sur la régulation de la relation, observant la capacité de chaque membre de l'interaction à favoriser ou entraver cette régulation. Ainsi, une relation peut être sur-régulée, sous-régulée, avoir une régulation inappropriée ou irrégulière. Par ailleurs, en fonction de la durée et de l'intensité, il distingue des dysfonctionnements relationnels, des troubles et des désordres.

Arthur Parmelee décrit un des facteurs importants régulant la relation : la condition physique de l'enfant (chapitre 7). La façon dont les parents et les professionnels de la santé négocient les perturbations physiques, des plus banales comme le rhume aux plus invalidantes, peut ou non produire des troubles ou des désordres dans la relation.

La troisième partie de l'ouvrage s'inaugure par un article de F. Hubert Leiderman (chapitre 8) qui tente de resituer les relations précoces dans le cadre plus vaste des autres relations prenant place tout au long de la vie.

Dans le chapitre 9, D. Reiss étudie en détail le contexte familial. Une synthèse faite par les animateurs de la recherche (Sameroff et Emde) termine cet ouvrage intéressant, bien documenté, clairement exposé mais réservé aux spécialistes de la petite enfance. Les analystes y trouveront des preuves et des arguments en faveur de l'importance des premières interactions qui sont intériorisées en tant que modèles de la relation et par là même, actives tout au long de la vie.