Notes de lecture

Alsteens, André

1993-04-01

Notes de lecture

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Lors de la première lecture que je pus faire de cet ouvrage, paru en traduction française en 1983, quelque chose m'avait d'emblée alerté, en dépit de l'intérêt évident de la démarche, et qui me fit paraître quelque peu chagrin au regard de collègues sortis enthousiastes de cette lecture. Il me semblait dès alors qu'une sorte de procès était intenté aux parents, comme si tout le mal venait de là, et sans penser qu'ils avaient été eux-mêmes des enfants. Une double réserve s'imposait donc à moi, dans deux directions : la propre hérédité psychique des parents, le potentiel propre de l'enfant dans son état de dépendance. Le démon de l'idéalisation nous guettait sournoisement, et le titre de l'ouvrage n'était pas innocent à cet égard : qui donc, surtout parmi les psys, ne se sent-il pas un peu "l'enfant doué" ?

La mise au point apportée par l'A. et présente dans cette réédition confirme clairement cette première impression. Elle s'y affiche en rupture avec la psychanalyse, dont elle critique la fâcheuse tendance à "qualifier des faits de fantasmes". Elle ira même jusqu'à dire que la psychanalyse veut "éviter à tout prix l'ouverture" à l'émotionnalité de sa propre enfance.

J'ignore à quelle sorte de psychanalyse Miller a eu à faire, je respecte aussi l'aveu qu'elle nous fait d'avoir enfin accès à sa propre enfance. Tout cela n'empêche que la réalité psychique existe. Cette découverte essentielle a pu donner l'illusion que tout problème s'enracinerait là, et là seulement. La pensée psychanalytique contemporaine s'intéresse de plus en plus à la place de la réalité extérieure, comme j'ai pu en témoigner moi-même récemment (Rev. B, Psychanal., n° 15, pp. 35-51), mais sans pour autant ignorer l'impact psychique interne, dans l'imaginaire, de tout ce vécu "objectif". Telle est l'intuition essentielle de la psychanalyse, qu'il n'est pas nécessaire d'abandonner, même s'il importe de se préoccuper des conditions concrètes réelles de la vie de nos patients.

C'est en ce sens que travaillent nombre d'analystes et de thérapeutes : les réalités de la consultation familiale et infantile les ont alertés sur l'impact de l'environnement, si besoin en était, car il me semble difficile d'être analyste aujourd'hui sans avoir constamment à l'esprit la place de la réalité extérieure !

Mais revenons à la mise au point de Miller. La psychanalyse a "fait son temps, même si ses représentants, toujours enfermés dans leur système mystificateur, ne le savent pas". Et l'A. d'évoquer une voie nouvelle, inspirée de Stettbacher, et qu'il serait possible de suivre seul, à la découverte de son enfance, loin des "idéologies, spéculations et pieux mensonges".

Ceci dit, l'A. n'a pas voulu remanier son texte de 1979, "afin de ne pas dissimuler" son évolution au lecteur. Gageons que celui-ci y trouvera plaisir, tant les thèmes abordés autour du narcissisme et du soi restent porteurs de réflexions fécondes, dont il est possible de profiter sans s'aligner pour autant sur le procès plus ou moins implicite qui s'y décèle, et que la "mise au point" place en pleine lumière.