Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1991-10-01

Notes de lecture

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La lecture d'un livre s'inscrit dans un réseau d'intérêts : j'ai choisi de lire l'ouvrage de Sophie de Mijolla-Mellor après celui d'Athanassiou. "Le "plaisir de pensée" attisait ma curiosité : de la naissance de la pensée au plaisir de son exercice, le chemin me paraissait prometteur.

La contiguïté de ces lectures accuse la considérable différence d'abord entre les deux auteurs. S. de Mijolla-Mellor est professeur d'université, agrégée de philosophie ; en tant qu'analyste, elle appartient au IVème groupe OPLF, celui auquel appartenait P. Aulagnier. Son ouvrage témoigne de ces caractéristiques : ouvrage érudit, essentiellement théorique, feu d'artifice de références littéraires et philosophiques, il relève de l'essai de psychanalyse appliquée.

L'auteur s'interroge, elle aussi, sur l'origine de la pensée. Les réponses qu'elle apporte ont un caractère spéculatif, dans le prolongement des thèses de Freud et proche des théories de P. Aulagnier : elle se livre à un intéressant développement sur la pulsion d'investigation, antérieure à celle que Freud associait à la curiosité sexuelle (pulsion épistémophilique de M. Klein), dont l'investissement s'opère parallèlement à la recherche de l'objet et son corollaire, le manque de l'objet. L'auteur se réfère à l'opinion de Freud selon laquelle la pensée fut à l'origine inconsciente. Il existerait une représentation première qui s'impose d'elle-même, la psyché se représentant ce qui a pour elle valeur d'évidence, créant ainsi un "sol des évidences" qui sera mis en question par la souffrance du doute. C'est, en effet, la rencontre avec ce dernier qui est ressentie comme rupture douloureuse de la pensée omnipotente. Le "sol des évidences" apparaît alors comme "paradis perdu", le doute créant une "fissure ouverte" qui conduit soit à des activités psychiques constructives, associées au plaisir de penser, soit à des failles de l'organisation psychique.

Au delà de ces postulats de base, le livre de S. de Mijolla-Mellor se déploie dans des directions diverses avec pour thème référentiel les aléas de la pensée, ses pièges et ses spécificités ; citons, parmi d'autres, les manières d'inhibition de la pensée (la pensée qui s'immobilise) notamment dans l'ennui, l'investissement passionnel de la pensée, ses impasses intellectualisantes.

Les développements proposés s'alimentent abondamment aux textes freudiens, passés au crible d'une connaissance approfondie ; mais ils sont également l'occasion, en dialogue avec les citations de Freud, de digressions littéraires ou philosophiques qui entraînent le lecteur dans des méandres inattendus.

Pour en citer un exemple, le chapitre intitulé "le sexe et la pensée" consacre un long développement à Spinoza et l'éventualité de son influence sur Freud pour s'étendre ensuite sur l'oeuvre de Sade avant d'aborder les positions de Freud sur la féminité, la bisexualité et la pensée.

Aboutissement sans doute d'un long travail de réflexion sur la pensée, le livre de S. de Mijolla-Mellor, sans être difficile d'accès, demande, néanmoins, des temps de respiration. Il intéressera ceux que la spéculation psychanalytique attire. Personnellement, je regrette que la clinique y soit si peu représentée, sinon par des exemples littéraires (Musil, Sarraute, Moravia et bien d'autres).