Notes de lecture

Delahaye, Baudouin

1984-10-01

Notes de lecture

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Une approche épistémologique de la psychanalyse dont le but serait de poser les questions adéquates concernant la méthode, l'objet et la validité de notre discipline, peut se faire soit de l'intérieur soit de l'extérieur. De l'intérieur en tant qu'analyste praticien on peut chercher à valider sa théorisation dans un rapport dialectique avec la pratique. Les recherches d'un Jean Laplanche sont un exemple particulièrement fécond de ce type de réflexion. Mais il est également possible de se poser ces questions de l'extérieur, hors champ, et c'est le propre de la philosophie des sciences qui s'interroge sur un certain type de connaissance, la psychanalyse, dans le cadre général des connaissances humaines. C'est la position claire d'un Ricoeur ou d'un Assoun par exemple.

La tentative de Michel Legrand qui vise à donner à la psychanalyse un statut scientifique, nous embarrasse tant sa position est ambiguë. Il se veut à la fois dedans (tout en s'avouant défroqué) et dehors. Une perspective n'acquiert de sens que si le cadre d'observation est clairement défini, à moins de faire de l'observé un pur objet de l'observateur. Et c'est bien ce qui nous gêne dans ce livre, c'est qu'il traite d'une certaine psychanalyse, celle de M. Legrand, que nous ne reconnaissons pas comme notre cadre habituel de travail.

Par ailleurs, cet ouvrage ambitieux écrit en 1982 traite des questions touchant à la psychanalyse comme si on n'était encore qu'en 1965. Centré essentiellement sur le paradigme de Kuhn, il semble ignorer complètement l'ensemble de la littérature anglo-saxonne qui, pendant une bonne décennie, au point d'avoir complètement épuisé le sujet, nous a seriné cet aspect de la scientificité psychanalytique (le paradigme kuhnien appliqué à la psychanalyse est un des thèmes centraux de Psychoanalytic Quarterly notamment). En outre, il ne tient pas compte de travaux épistémologiques majeurs tels ceux de Atlan, Bateson, Serres, Thomm et von Bertalanffy pour ne s'arrêter qu'à la pensée épistémologique des années 60 (Koyré, Bachelard, Althusser, Kuhn).

La deuxième et troisième partie de cet ouvrage s'inscrivent dans le cadre d'une critique sociopolitique de la psychanalyse. Mais l'articulation de la psychanalyse sur le social, par le biais le plus souvent de la dialectique marxiste ou sur le modèle de Castel et de Mendel date largement aujourd'hui. Pour comprendre les déterminants sociaux au sein de la problématique individuelle, d'autres concepts ont été depuis largement exploités qui apportent des hypothèses autrement plus riches. Là également on ne peut que rester perplexe devant l'absence totale de référence au systémique et aux théorisations issues de l'école de Palo-Alto. Je ne pense pas, comme Legrand l’affirme, que c’est du côté de la socio-psychanalyse, avatar idéologique de la psychanalyse, que se trouve l’enjeu de la psychanalyse d’aujourd'hui, mais du côté de toute la réflexion biologique contemporaine (Jacob, Monod, Atlan, Changeux, Bateson, Laborit) sur les structures, relayée par les mathématiciens (Thomm) et les philosophes de la nature (Morin, Pomian, Prigogine et Stengers).

Tout compte fait, un livre fougueux, plein de bonne volonté, mais décevant.