Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1991-10-01

Notes de lecture

Partager sur

On sait l'essor qu'a pris ces derniers temps les recherches sur la naissance de la vie psychique. D. Flagey a rendu compte, dans le n° 20 de la Revue Belge de Psychanalyse, de l'ouvrage de A. Ciccone et M. Lhopital ; on se souviendra que ces auteurs réalisent une remarquable synthèse des théories les plus marquantes à ce sujet : en prenant E. Bick comme référence, ils intègrent les élaborations de Bion, Meltzer, Aulagnier.

Le livre de C. Athanassiou s'inscrit dans ce même courant de pensée, l'auteur proposant ses propres hypothèses quant aux "sources de la vie psychique".

Le livre débute par un exposé théorique de ses conceptions. Avant d'en relever brièvement les éléments essentiels, il m'importe d'insister sur le fait qu'il serait dommage que le lecteur se laisse rebuter par l'aspect souvent ardu de cette lecture, risquant de manquer ainsi la deuxième partie, clinique celle-là, qui passionnera tout thérapeute d'enfant, particulièrement si la psychose l'intéresse.

Revenons aux développements théoriques proposés par C. Athanassiou. L'auteur s'appuie, plus spécialement, sur les théories de Bion et d'E. Bick pour développer ses propres hypothèses. De E. Bick elle reprend les notions d'agrippement et d'adhésivité pour caractériser les premiers modes de relation à l'objet, antécédents de l'identification projective. Mais surtout, c'est à Bion qu'elle fait appel pour théoriser les modalités d'émergence de la pensée. Ce n'est pas le moindre mérite de l'auteur de nous rendre accessible aux théories exposées par Bion dans son ouvrage "Transformations".

L'hypothèse centrale de C. Athanassiou est, en effet, basée sur le développement des conceptions de Bion sur les transformations dans l'hallucinose, mode de fonctionnement qui correspond à la relation adhésive à l'objet. Moment de constitution de l'identité du self dans l'évolution génétique, ce mode de fonctionnement s'avère, dans certains états psychopathologiques, une puissante défense contre la reconnaissance de l'altérité et, parallèlement, l'émergence de la réalité psychique, "défenses primitives constituées pour protéger le self des angoisses de perte d'identité propres aux premiers temps de la vie" précise C. Athanassiou. Les transformations dans l'hallucinose s'attaquent à la reconnaissance de l'objet et dénaturent tout lien par la création d'un univers auto-engendré, entretenu par la conviction que c'est le moi qui fabrique le monde et l'objet.

L'exemple clinique présenté par l'auteur, analyse d'un garçon au noyau psychotique important, illustre de façon éloquente la lutte acharnée que doit déployer l'objet analyste pour émerger, avec son petit patient, de l'univers immobilisé par le contrôle absolu exercé par les transformations dans l'hallucinose. Le matériel clinique décrit, pas à pas, la naissance conjointe du self, de l'autre, du lien et de la pulsion dans la constitution progressive d'un espace et d'un temps. Mais cette conquête est laborieuse, sans cesse remise en cause par la recrudescence des défenses primitives. Les vacillements contre-transférentiels induits par la mort psychique distillée par ce type de fonctionnement démontrent avec pertinence la violence à laquelle est soumis l'analyste, ces vacillements s'avérant porteurs de la vivance du processus pour autant que l'analyste en élabore l'expression.

Le livre de c. Athanassiou m'a personnellement particulièrement intéressée en ce qu'elle tente de conceptualiser l'aube du fonctionnement mental, mise en place d'un appareil à penser, d'un "contenant" fonctionnel. La pensée de l'auteur n'est certes pas simple. Mais son exemple clinique plonge le lecteur au coeur d'une réalité clinique que dynamise une théorie nourrie "aux sources de l'expérience". Par ailleurs, la théorisation des mécanismes afférents à la relation primitive à l'objet éclaire l'écoute et la compréhension de la frange basale du transfert dans les analyses d'adulte, particulièrement celles des patients aux failles narcissiques importantes.