Notes de lecture

Alsteens, André

1991-10-01

Notes de lecture

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Ainsi donc, Anzieu fait un sort à l'obsession qui le poursuit depuis près de quarante ans, autour de la personnalité de Beckett, découvert un soir de 1953 au théâtre de Babylone, et qui n'en finira plus de l'interpeller. "Mon frère en souffrance", fait-il dire à Bion qui deviendra son analyste. Pas pour longtemps, car Beckett claquera la porte du cabinet de son analyste, pour se colleter seul avec les problèmes, angoisses et fantasmes qui l'assaillent. Son oeuvre en témoigne sans doute, tant elle apparaît par moments s'inspirer d'une sorte de gigantesque "association libre" face à un analyste invisible, tant elle tente aussi d'égrener, pour les exorciser, les rengaines sordides de ses fantasmes et angoisses, besoins, terreurs et espoirs qui le chevillent au corps et l'animent dans la désespérance. Car rien n'est épargné au lecteur, convié à part entière dans une lecture où il n'est pas simple de se garder, Anzieu s'amusant sans doute à son tour, se retrouvant autant l'analysant de Beckett !

Car, en effet, derrière ce texte parfois déjeté, incohérent même, et qui nous rend sensible la déroute de ou des auteurs, Anzieu s'offre sans doute, à la suite de Beckett, et sur les traces glorieuses de Freud, à une sorte d'auto-analyse qui ne se limite plus à la convenable organisation névrotique mais plonge radicalement ses racines dans le bourbier des sentiments et des angoisses les plus crus que puisse connaître l'être humain. Autoanalyse, qui explique pourquoi il s'est trouvé autant fasciné par Beckett et son oeuvre.

Loin de ses ouvrages sages, Anzieu nous offre ici un texte déconcertant, disparate dans sa facture, à goûter par petites touches, attendant aussi de son lecteur de se plonger davantage dans l'oeuvre de Beckett.

Anzieu, Beckett, Bion, Freud : de l'un à l'autre, l'itinéraire se crée, les convergences se creusent, les divergences aussi ; nous sommes ainsi projetés au niveau des angoisses les plus essentielles, là où le rôle contenant de l'analyste (Bion) permet de rassembler, ou garder rassemblées les parts de soi dispersées. Bion comme "passeur", pense Anzieu, selon la métaphore du Char qui désigne le poète. Le poussant à passer de l'autre côté "du fleuve, du jour et du miroir", Bion lui a donné la capacité de "revenir porteur de voix et de visions découvertes sur la rive et dans la nuit inconnues". Après tout, il n'est pas mauvais parfois de quitter son analyste…

Anzieu, passeur à son tour, d'une manière inédite. Face à l'angoisse du néant, un dernier exorcisme, ou peut-être une sorte de testament.