Notes de lecture

Luminet, Daniel

1991-04-01

Notes de lecture

Partager sur

Dans la présentation de cette revue, dont nous saluons avec plaisir une naissance longtemps attendue, les directeurs s'expliquent sur leur intention. Il s'agit, dans leur esprit, de favoriser un lieu d'échanges, de confrontations et de recherches autour d'une psychosomatique qui prend pour référence permanente la psychanalyse et se propose le développement des théories et des pratiques du traitement psychothérapique des personnalités à risque somatique ; elle s'inscrit ainsi d'emblée dans une lignée psychanalytique stricte, issue des travaux de l'IPSO autour de P. MARTY, M. FAIN, L. KREISLER… et les autres. A ne pas confondre avec la revue de Psychotomatique dirigée par M. SAPIR dont le premier numéro date de 1985 et qui traite de thèmes généraux dans une optique socio-psychologique beaucoup plus large. Nous nous situons ici dans une perspective volontairement plus restreinte, issue "de l'Ecole Psychosomatique de Paris" dont les thèses sont d'ailleurs exposées par P. MARTY dans un "Que sais-je" récent (1990) "La psychosomatique de l'adulte" qui me semble d'une lecture préliminaire à la fois agréable et utile pour tout abord de la plupart des articles repris dans la revue.

Dans un travail introductif, P. MARTY expose à nouveau sa conception actuelle de la genèse des maladies graves et les "critères de gravité en psychosomatique" il souligne très clairement le point de vue économique, organodynamique et évolutioniste dans son essence, qui marque toute sa pensée depuis la mise en évidence de la pensée opératoire (1963) et la dépression essentielle (1966) pour aboutir aux notions plus actuelles de désorganisations limites et de désorganisations progressives qui signent en clinique l'opposition entre maladies réversibles et maladies graves. Pour ceux que cela serait susceptible d'intéresser, il rappelle les rubriques de la classification MARTY-IPSO qui permettent, selon lui, de codifier ces critères de gravité en fonction de structures de personnalité, d'habitudes habituelles du sujet et de caractéristiques actuelles ; un glossaire, en préparation, est cependant indispensable dans l'utilisation fiable de cette grille d'analyse ; le retard dans sa publication signe comme pour le DSM III-R les difficultés méthodologiques inhérentes à cette approche surtout lorsqu'il s'agit de critères psychanalytiques univoques. MARTY conclut très modestement cependant, à son ordinaire, qu'il s'agit avant tout d'un point de vue issu de sa longue expérience clinique en psychosomatique et que d'autres facteurs que ceux envisagés par les psychosomaticiens de l'IPSO interviennent nécessairement dans la genèse des maladies graves – dont acte.

Dans un bel article, R. DEBRAY émet quelques "Réflexions actuelles sur le développement psychique des bébés et le point de vue économique". Elle s'appuie sur la constatation clinique selon laquelle certains bébés "observés" investissent de manière préférentielle des objets inanimés plutôt que les objets d'investissement privilégiés habituels, à savoir la mère, puis le père ; il est tentant de faire, à ce propos, le lien avec la défense par le concret, le factuel et l'actuel décrit par les psychosomaticiens dans la vie opératoire.

Dans son article "Investigation ou consultation : le point de vue économique", D. BRAUNSCHWEIG esquisse une comparaison très éclairante entre la démarche évaluatrice en psychosomatique et en psychanalyse "ordinaire" à partir d'un cas publié par MARTY. Retenons notamment qu'il s'agit d'une évaluation clinique différente de l'économie narcissique ; cette quête économique en opposition à une quête de sens "ordinaire" a des conséquences techniques et contretransférentielles, au sens large, très différentes ainsi qu'elle le soulignait déjà dans le livre écrit en commun avec M. FAIN : "La nuit, le jour".

Dans un "Préambule à une étude métaphysique de la pensée opératoire", ce dernier reprend par ailleurs certaines conclusions déjà exposées dans "La nuit, le jour" concernant la non-élaboration du but passif de la pulsion. Retenons encore le travail de C. PARAT "A propos de la répression", opposant à juste titre refoulement et répression, refoulement secondaire et refoulement réussi, elle reprend à son compte l'opposition mise en lumière par C. DEJOURS entre l'attitude des parents du "somatique" qui vise à la répression de la pensée de l'enfant à celle des parents du psychosomatique qui vise à son détournement. Elle conclut, avec beaucoup de sagesse, sur le bon usage d'une "répression bien tempérée" comme de la nécessité "d'apprendre" à jouer d'un certain clivage – clivage sans déni seul susceptible de colmater la frustration par un autre mode de plaisir, "plaisir auto-érotique lié au maintien contradictoire du poids de la réalité et du désir malgré tout triomphant". Citons enfin "Les bases originaires de l'organisation psychosomatique" de L. KREISLER, qui reprend de manière très claire et systématique l'organisation initiale des défenses mentales vis-à-vis de la somatisation et de leurs défaillances ; le rôle conjoint des influences interactives et des dispositions propres du bébé à une réponse psychosomatique sont enfin soulignés. Cet article est un "must" pour tous les pédopsychanalystes et pédopsychiatres en mal de recyclage. D'autres articles, plus métapsychologiques dans leur essence, tels "Les rapports entre la psychanalyse et la psychosomatique" de G. HARRUS-REVIDI et "Le concept de pulsion : essai d'étude comparative chez FREUD et P. MARTY" retiendront l'attention de lecteurs attirés tant par la spéculation que par la clinique ; elles n'en ont pas moins un intérêt épistémologique indéniable. Signalons enfin le "Point de vue" de J. CAIN sur "Narcisse malade" qui reprend essentiellement les points de vue exprimés de manière plus explicite dans "Le champ psychosomatique" (1990) dont la critique est parue, sous ma plume, dans un précédent numéro de notre revue. Retenons pour conclure la diversité et la richesse du mouvement psychosomatique issu de l'Ecole de Paris et attendons avec toute l'impatience désirable le second numéro d'acteur de ce bébé tant désiré.