Notes de lecture

Vaneck, Léon

1993-10-01

Notes de lecture

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La première monographie de la Revue Française de Psychanalyse "La psychanalyse : questions pour demain", reprenait les principales communications du Colloque de janvier 1989 à l'UNESCO organisé par la Société Psychanalytique de Paris.

Plusieurs autres monographies fort intéressantes ont été publiées depuis lors ; je pense notamment aux thèmes " Angoisse et complexe de castration", "Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie", "La Boulimie".

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En décembre 1993, sous la direction d'A. Fine, d'A. Le Guen et d'A. Oppenheimer, paraît une nouvelle monographie "Les troubles de la sexualité". Comme le mentionne l'introduction, l'idée d'une monographie sur ce sujet est née d'une constatation paradoxale : la psychanalyse tient son origine de l'étude des perturbations sexuelles à l'origine de la théorie des névroses actuelles ; ces troubles, aujourd'hui, ne sont plus guère évoqués, à l'exception des perversions. Les symptômes sexuels auraient-ils disparu ? Seraient-ils relégués aux sexologues, ou auraient-ils perdu de leur spécificité, voire leur impact ? La psychopathologie aurait-elle évolué ? L'intérêt des analystes se porte, depuis quelques années, sur les problèmes d'identité et d'identité sexuelle des patients dits border-line, des syndromes comme le transexualisme.

Les directeurs de cette monographie, au départ de ces réflexions ont été amenés à interroger un certain nombre de psychanalystes sur ce qu'il en est des troubles de la sexualité aujourd'hui.

Après que G. Bonnet nous ait rappelé "Le sexuel freudien. Une énigme originaire et toujours actuelle", nous (re)découvrons un article "historique" de R. Lowenstein (1938) "La frigidité de la femme", suivi de "Autoérotisme et troubles de la sexualité" de T. Bokanowski, qui propose une réflexion sur la constitution de l'autoérotisme dont les failles peuvent entraver l'établissement d'une sexualité libre et illustre ses élaborations à partir d'un bel exemple clinique, celui de Samuel, éjaculateur précoce.

J'ai bien aimé le travail de Th. Tremblais-Dupré "La sexualité adolescente et son trouble. Le masculin et le féminin". L'intitulé de ses chapitres est déjà évocateur : "Le trouble d'être femme", "Le père, gardien de la virilité de garçon" ; elle y montre les difficultés spécifiques selon les sexes et différencie les troubles de la sexualité qui relèvent de la crise de l'adolescence de ceux qui sont franchement pathologiques ; elle se réfère à S. et A. Freud, F. Pasche et P. Male et, avec exemples cliniques à l'appui, démontre que la recherche passionnée de l'identité sexuée passe, pour l'adolescent, par la tentative d'unification d'une double aspiration : la cohésion de sa psyché et la découverte de l'autre qui lui apportera sa complémentarité. On voit, conclut-elle, qu'elle comporte l'aspiration bisexuelle et que celle-ci peut, soit lui permettre d'intégrer les deux pôles masculin-féminin de sa sexualité, soit le précipiter dans l'effondrement psychotique, l'indifférenciation ou la perversion.

G. Le Goues aborde "Les difficultés sexuelles au cours de la seconde moitié de la vie". Permettez-moi de citer quelques lignes, les dernières : "Une meilleure connaissance du corps vieillissant ne s'oppose pas au développement et à la conservation des richesses intérieures, bien au contraire.

Connaître un dernier élan pour la vie afin de mieux supporter d'avoir à lui dire adieu…

Soit le compte rendu d'une belle conférence de J. Chasseguet-Smirguel faite à l'Université de Standford en janvier 1991 au symposium "Freud et la culture" : "les religions du diable : quelques réflexions sur les significations historiques et sociales des perversions" ; J. Chasseguet-Smirguel, dont nous connaissons les travaux antérieurs, y élargit ses idées sur la perversion à des considérations historiques et sociales, religieuses et philosophiques, se référant notamment à la Bible, à Kierkegaard, à l'oeuvre de Sade, à St Thomas, à Macbeth, à Dostoëvski, à Mirea Eliade et à divers thèmes repris au cinéma par Visconti ("Les damnés"), I. Bergman ("L'oeuf du serpent"), B. Fosse ("Cabaret"), J. Losey ("Monsieur Klein").

En hommage à R.J. Stoller, décédé accidentellement fin 1991, est publié un de ses derniers articles : "Dynamiques des troubles érotiques", où il expose ses idées sur les origines psychologiques des excitations érotiques aberrantes. De ses conclusions en six points, je retiens le dernier : "Le sujet de cet article est la dégradation de l'amour" et il termine : "Pour étoffer notre compréhension de l'excitation érotique, il nous faut maintenant étudier la dynamique de l'amour qui n'est pas dégradé".

Vient ensuite un article de J. Mc Dougall : "L'addiction à l'autre : réflexion sur les néo-sexualités et la sexualité addictive". Après s'être interrogé sur ce qu'est l'addiction notamment d'un point de vue économique (cfr son article antérieur de 1991, sur la boulimie), puis sur l'addiction à l'autre, la relation de dépendance addictive, J. Mc Dougall élabore quelques réflexions sur les néo-sexualités ; à partir d'une belle vignette clinique et fidèle à son grand talent didactique clinique, elle élabore le néo-sexuel en quête d'une identité.

Le dernier travail est une toute autre perspective qui intéressera incontestablement les équipes de psychiatrie infantile confrontées à ces épineux problèmes. Cl. Balier, à partir de son travail en prison, y aborde : "Viols et incestes. Auteurs et victimes". Après avoir posé le problème "Le viol est-il un trouble sexuel ?" et survolé les apports bibliographiques, côté victimes et côté auteurs, CI. Balier développe son étude clinique de l'inceste et du viol : "Séduction-possession", "violence-possession" et notamment "l'homme épingleur", "l'homme aux jeunes filles", "l'homme ligateur" pour en arriver à une intéressante élaboration théorique et une réflexion du côté "thérapeutique", en particulier "les groupes de parole". Quelques passages me sont apparus très pertinents : "A raisonner uniquement en termes de fantasmes et de séduction, on occulterait gravement une partie du problème. Certains patients en ont souffert, et ne s'en sont pas remis". Et plus loin : "On ne peut évidemment clore ce chapitre sans parler du problème de la séduction, source de malentendus et de bien des souffrances du côté des victimes d'inceste traitées par des thérapeutes oubliant le traumatisme dans sa réalité et se situant uniquement sur le plan des fantasmes, inconscients bien sûr".

La monographie se termine par une intéressante bibliographie générale :

– sur les troubles sexuels

– sur les auteurs cités

– sur les abus sexuels.

Ce trop bref survol ne reflète certainement pas la richesse des différents travaux. Comme le disaient les directeurs de cette monographie dans leur introduction : "L'intérêt de certains analystes pour un trouble ou pour un autre, en fonction de leurs propres connaissances, explique l'hétérogénéité de cette monographie".

Ce fut pour moi une hétérogénéité très stimulante.

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La monographie "Autismes de l'enfance" a été publiée en janvier 1994 sous la direction de R. Perron et D. Rybas. L'esprit de cette monographie est indiqué dès les premières lignes de l'introduction : "L'autisme infantile excite les passions. Depuis vingt ans, les malentendus fleurissent en ce domaine…" ; "Relayées et amplifiées par le vacarme des média, se développent d'absurdes polémiques, où l'on voit s'échanger invectives, arguments controuvés, accusations de nocivité, procès d'intention…." ; "Le présent volume rassemble des contributions de psychanalystes qui récusent cet abord passionnel du problème et refusent d'en traiter sur la base de prémisses faussées d'emblée" ; "II n'est aucun des signataires des textes qu'on lira ici qui ne serait heureux de voir mise en évidence une étiologie organique de l'autisme infantile, et sur cette base proposée une thérapeutique efficace. Il n'en est aucun qui songe à accuser sans nuancer des parents déjà accablés, et tous tiendraient pour une faute grave de leur asséner des interprétations sauvages impliquant une telle accusation…" ; "II y a mieux à faire sans doute que de s'affronter en polémiques stériles. On peut se demander cependant pourquoi les enfants autistes soulèvent tant de passion…".

S. Lebovici : "Les psychanalystes, l'autisme et les psychoses de l'enfant dans le contexte psychotique, neuropsychologique et médiatique actuel" et C. Chilland : "Mise au point sur l'autisme de l'enfant" soulignent le caractère désolant des polémiques évoquées ci-dessus. J. Hochmann : "Cordelia ou le silence des sirènes : une relecture de l'autisme infantile de Kanner" réévalue la portée de cet article fondateur.

Les auteurs néo-kleiniens se taillent une large part de cette monographie : "Esther Bick, sa conception de la normalité des angoisses primitives et leur rapport avec les phénomènes autistiques" est présentée par CI. Athanassiou ; G. Haag évoque, elle, ses "Rencontres avec Frances Tustin", tandis que J. Begoin reprend les travaux de Donald Meltzer : "L'Etre, l'Espace et le Temps : les travaux de D. Meltzer sur l'autisme (1975)".

Le souci des directeurs a été de "rappeler pour chacun de ces auteurs, l'essentiel de son apport et surtout d'en réévaluer l'impact théorique et l'utilité clinique au regard de la pratique quotidienne de la prise en charge de ces cas extrêmement difficiles…".

Suivant deux chapitres de R. Perron : "Fantasme et processus de pensée dans les autismes et psychoses infantiles" et de D. Rybas : "Repérages métapsychologiques dans l'autisme infantile" qui essaient de reformuler quelques propositions relatives aux processus de pensée, au jeu des fantasmes et de la pulsion. Je me contenterai, en guise de finale, de citer un très bref passage de ces deux auteurs. R. Perron nous dit : "L'essentiel des questions posées par les psychoses infantiles est peut-être là : l'impossibilité ou le refus d'accéder à la problématique oedipienne, et une constante désymbolisation qui détruit à peine s'esquissent-ils, les cadres du temps et de l'espace et les processus logiques élémentaires. La secondarisation de la pensée est impossible ou fragile…". De D. Rybas, je reprends la phrase terminale : "La croissance est bien le mouvement de l'Eros et si, comme je le pense, la pulsion de mort s'approprie l'énergie du temps physique à l'oeuvre dans la biologique et dans le ça, on ne peut la concevoir sans leur rencontre, scène primitive métapsychologique peut-être, mais aussi inscription du psychisme dans la vie, dont l'enfant autiste a le plus urgent besoin".

Tout un programme de réflexion, le lecteur en conviendra et en jugera…

Personnellement, j'ai beaucoup apprécié cette monographie, ses objectifs modestes mais ouverts, la pertinence de chaque article, l'intérêt permanent des propos… et la très complète bibliographie.

Par delà ces deux Monographies trop brièvement commentées par ces modestes notes de lecture, c'est le principe très stimulant de cette formule que je me plais à souligner et à recommander au lecteur.