Notes de lecture

Delaunoy, Jacques

1990-10-01

Notes de lecture

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On publie actuellement de nombreuses biographies sur les premiers collaborateurs de Freud. Parmi ceux-ci, l'une des figures les plus attachantes est assurément celle d'Otto Rank dont James Lieberman nous conte l'histoire avec beaucoup de ferveur, ce qui peut nuire à l'objectivité certes, mais où il nous apprend une foule de choses.

Otto Rosenfeld naît le 22 avril 1884. Très jeune, sa santé est fragile et il est atteint d'un rhumatisme articulaire aigu qui laissera des séquelles cardiaques. Il devait en mourir, la même année que Freud, en 1939, à l'âge de 55 ans.

Toute sa vie est marquée par la tentative de s'extraire d'un milieu peu propice à son développement (son père était alcoolique) et de réussir à construire sa propre existence.

Pur autodidacte, il est passionné de littérature, de théâtre et d'opéras, dès l'âge de 15 ans. Au sortir de l'adolescence, il rompt avec son passé en changeant de nom : Rank est le nom d'un personnage d'une pièce d'Ibsen le docteur Rank dans "La maison de poupée". Il rédige son journal. Jusque là il avait fait des études techniques et travaillait en usine. Cet ouvrier métallurgiste souffre : "Je suis tout seul, si seul. Personne ne peut s'imaginer vraiment cela s'il ne l'a pas complètement vécu. Je n'ai personne à qui écrire, personne à qui parler". Alors c'est le refuge dans la lecture et l'écriture. Il tombe sur "L'interprétation des rêves", écrit un opuscule "L'art et l'artiste" qui va impressionner Freud "Un jeune homme qui avait fait des études dans une école technique s'est présenté un jour à moi avec un manuscrit qui révélait une intelligence inhabituelle".

La rencontre eut lieu en 1905. Freud se prend d'affection pour cet homme si brillant. Il va l'encourager à reprendre des études, les lui payer, et le prend comme secrétaire aux séances du mercredi qui avaient débuté en 1902. Il sera également le secrétaire du premier congrès international de psychanalyse en 1908 à Salzbourg, époque où il passe son baccalauréat.

Otto Rank est un grand travailleur. Parallèlement à ses études de philosophie (sa thèse portera sur Lohengrin), il s'investit totalement dans le milieu analytique et publie de nombreux ouvrages sur le mythe du héros, sur l'artiste et la création, sur le thème d'Oedipe et Hamlet.

Freud, qui aime ce jeune collaborateur, lui confie les tâches de rédacteur en chef des premières revues analytiques, le Zeitschrift et Imago ; il le nomme directeur général du Verlag, première maison d'édition psychanalytique internationale. Il fait aussi partie du Comité, le saint des saints analytique. Après la guerre de 14‑18, Freud débordé par les analyses didactiques, lui adresse de nombreux patients et psychiatres en formation.

Alors pourquoi la rupture ?

Plusieurs éléments interviennent :

  • en 1924, en collaboration avec Ferenczi, Rank publie "Perspectives de la psychanalyse" où les deux auteurs s'attachent particulièrement à "l'ici et maintenant" de la relation analytique, à son aspect émotionnel où l'analyste est tout autant impliqué que l'analysant, et où ils tentent tous deux de frayer de nouvelles voies à la technique (notamment dans le sens d'un raccourcissement).
  • En 1924, il publie également "le traumatisme de la naissance" où il centre l'angoisse davantage sur les premières expériences et la relation avec la mère que sur l'angoisse de castration et l'Oedipe.

Tout cela fait sourciller, surtout Jones (qui lui trouve une "maniaco-dépressive") et Abraham (qui y voit "une régression au stade anal"). Freud hésite, soutient son jeune protégé, révise sa première théorie de l'angoisse, ce sera "Inhibition, symptôme et angoisse" en réponse à la théorie de Rank.

Celui-ci se rend aux Etats-Unis et donne des cours sur sa propre théorie. J. Strachey écrit : "Les autres disent que l'on doit avoir un complexe du père analysé par Freud, et un complexe de la mère analysé par Rank".

La tension entre les deux théories est à son comble. Le fils "tue" le père non sans mal (épisode dépressif) et la rupture est consommée le 12 avril 1926.

Par la suite, Rank poursuivra son enseignement et ses thérapies aux USA et à Paris (où il analysa et eut pour maitresse Anais Nin). Considéré comme déviant (Glover pensait que M. Klein dans son système combinait quelques-unes des erreurs de Rank et de Jung à la fois). Il fut exclu de la société américaine de psychanalyse.

Il continua de publier en franc-tireur sur l'art, sur la technique analytique, sur la volonté, sur l'aspect créatif de la vie.

Après bien d'autres, la rupture avec Rank témoignait de ce que les analystes n'échappaient pas aux phénomènes de groupe, à l'amour/haine qui y était porté à l'incandescence (le vocabulaire, particulièrement violent, en témoigne à suffisance).

La psychanalyse avait à peine 30 ans. Elle dévorait ses premiers enfants. Son histoire commençait.