Note de lecture sur Autisme et Protection, de Frances Tustin

Labbé, Françoise

1993-10-01

Notes de lecture

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Il s’agit du 4ème ouvrage de Frances Tustin, traduction de “The protective shell in children and adults” paru en 1990. Ce livre va de pair avec le précédent “Le trou noir de la psyché” (1987) qui traitait essentiellement des barrières autistiques. Dans ce présent ouvrage sont rassemblés des articles écrits depuis la parution du précédent et l’auteur se centre sur les aspects protecteurs de l’autisme.

 

Dans son premier chapitre, Frances Tustin nous redéfinit le concept “d’autisme”. A partir de la description princeps de Léo Kanner (1943) et de descriptions behaviouristes récentes (Rutter – Victor – Hobson, 1986), elle distingue l’autisme de la schizophrénie infantile tout en considérant que l’autisme peut se développer comme protection contre la désintégration caractéristique de la schizophrénie. Ainsi quand l’autisme cède, la schizophrénie latente apparaît. La “mise en capsule” autistique comme l’enchevêtrement schizophrénique sont des réactions de protection contre “le trou noir” de la dépression.

 

Elle souhaite rectifier un malentendu : celui de considérer tous les enfants autistes comme des enfants non désirés et de mère froide. En effet, diverses interactions entre l’inné et l’acquis peuvent entraîner l’autisme et dans certains cas, il faut accorder davantage d’importance aux facteurs génétiques qu’à ceux de l’environnement. A propos des lésions cérébrales, elle nous livre les conclusions du professeur Giannoti de l’institut de neuropsychiatrie infantile de l’université de Rome : “les lésions cérébrales décelées par électro-encéphalogramme ont tendance à disparaître avec un traitement psychothérapeutique”. Les cas où l’autisme était lié à des lésions cérébrales graves étant exclus de cette étude. Un examen consciencieux et approfondi s’impose dans chaque cas. Les découvertes diagnostiques psychodynamiques exposées dans son ouvrage sont le fruit du travail avec des enfants dont l’autisme semblait principalement psychogénétique sans lésions cérébrales mises en évidence. Du point de vue psychodynamique, elle nous rappelle que l’enfant Dick analysé par M. Klein était un autiste plutôt qu’un enfant schizophrène et passe en revue les hypothèses de différents auteurs : M. Mahler, Brazelton, Stern, Grotstein sur un stade de développement “quasi autistique”. Elle reprend le diagnostic différentiel entre schizophrénie avec les mécanismes d’identification projective (aspects confusionnels enchevêtrés) et autisme avec la mise en capsule qui fige le développement. Cette capsule autogénérée est la caractéristique spécifique de l’autisme infantile. Ces enfants développent des particularités idiosyncrasiques afin d’engendrer des sensations protectrices qui leur sont propres. Ce sont les sensations-formes et sensations-objets autistiques. Il s’agit de formes informes et aléatoires sans rapport avec celle des objets réels, éprouvées sur les surfaces du corps ou sur d’autres surfaces que les enfants autistes ressentent, comme celles de leur propre corps. Nous sommes là dans l’équation adhésive.

 

Le recours à des sensations-objets durs à des fins protectrices et idiosyncrasiques les empêchent d’avoir un rapport normal, ludique aux objets.

 

Dans un développement normal, l’association des formes avec des objets appropriés entraîne la formation de perceptions et de concepts. Cette association est le fondement du développement cognitif. Ainsi, la préoccupation excessive de l’enfant autiste pour les sensations objets et sensations formes subjectives entrave son développement cognitif. C’est pourquoi ces enfants semblent mentalement déficients. Cette capsule autogénérée, combinaison de réactions psychoréflexes, neuromentales et psychochimiques leur permet de se mettre à l’abri d’expériences insupportables représentant apparemment une menace de mort. Ces enfants qui semblent éthérés sont en fait dominateurs et forts et ont développé cette adaptation très efficace pour exclure le monde extérieur et contrôler ce qui leur arrive.

 

Un facteur présent dans tous les cas traités par Madame Tustin est une dépression maternelle grave avant ou après la naissance de l’enfant avec des difficultés de nourrissage du nouveau-né. L’expérience traumatique recouverte par la capsule d’autisme semble être celle du “trou noir” associée au sentiment que l’enfant a perdu une partie vitale de son corps. Un facteur hormonal intervient peut-être dans cette dépression post-natale du bébé. La dépression mutuelle de type trou noir semble avoir empêché l’établissement de relations coopératives interactives sensuelles entre la mère et son bébé. L’expérience d’être arrachés d’une mère dont ils étaient trop proches a laissé à ces enfants le sentiment d’être mutilés. Ce sentiment d’être déficients les rend très exigeants et ils aspirent à une inaccessible complétude et à la perfection. Il est inhumain de priver brusquement les autistes de leur protection sans leur permettre de développer lentement et progressivement quelque chose de plus efficace et régénérateur.

 

Dans la psychothérapie, au fur et à mesure que l’on modifie la capsule autogénérée à travers le transfert infantile, l’enfant fait des expériences plus satisfaisantes que celles qu’il pouvait faire bébé. Il commence à se sentir entouré par un environnement réceptif – ce qui se concentre en lui en une source d’intégration et d’espoir – “le bon sein” de M. Klein. Il revit la rage, le désespoir, la terreur qu’il avait à l’origine ressenties comme insupportables. Quand il prend conscience du Moi et du Non-Moi, l’objet transitionnel peut alors entrer en jeu.

 

Ni les parents ni l’enfant ne peuvent être considérés comme responsables du développement de l’autisme. Ils sont pris dans une toile de réactions inévitables pour lesquelles ils ont besoin de notre compréhension et non de notre condamnation. Dans l’expérience de l’auteur, la psychothérapie ayant recours au transfert infantile a donné des résultats encourageants. Ils se révélèrent tous intelligents et ayant des dons artistiques.

 

Dans le second chapitre “Etre ou ne pas être”, Frances Tustin essaie de montrer comment le sens primitif de “persistance dans l’être” (Winnicott) de ces enfants a été mis en danger. Elle nous rapporte le cas de Colin en thérapie 5 fois/semaine exprimant sa détresse et son impuissance devant la perte de l’unité langue-mamelon (ou tétine), devenue dualité glaciale.

 

Pour ces autistes, la situation traumatique a été de perdre soudainement le contrôle de ce qu’ils ressentaient comme une partie sensuelle vitale de leur langue et qui leur donnait le sentiment “d’être”. Dès lors que la partie mamelon de leur langue n’a plus été là aussitôt qu’ils en avaient besoin c’est précisément leur sentiment “d’être” qui leur a semblé menacé. Le trou noir du “non-être” s’est alors dessiné. Ceci est bien pire que mourir car dans la perte du sentiment d’exister on ne laisse rien même pas un corps. L’anéantissement est la pire des menaces car il signifie la perte du sentiment psychique d’exister. Pour éviter cette souffrance, certains enfants ont développé l’illusion protectrice de flotter à l’extérieur de leur corps en plus de la capsule autogénérée déjà mentionnée.

 

Elle reprend la notion des sensations-objets autistiques, noyau dur de sensations sur ou dans le corps propre (fèces dans anus, langue enroulée dure, chair dure à l’intérieur des joues, ou encore des objets durs serrés afin qu’ils laissent une impression tactile) et la notion des sensations-formes autistiques calmant la conscience douloureuse de la séparation corporelle (écoulement de l’urine, bulles de salive autour de la bouche, salive étalée, diarrhée, vomi). Il s’agit là du monde plat bidimensionnel de l’autisme. La mise en capsule semble être un précurseur primitif du refoulement. La conscience de la séparation est ainsi exclue. Ces enfants donnent l’impression d’être une chose inanimée et de vaciller sur le bord du monde du vivant de l’humain. Devenir vivant et humain pour eux est quelque chose d’effrayant car ils pourraient se blesser, mourir ou tomber dans le néant. Elle cite les élaborations de G. Haag concernant la pliure centrale du corps (1983) et les angoisses de précipitation de Didier Houzel (le monde tourbillonnaire de l’autisme (1989) qui illustrent les terreurs corporelles de ces enfants. Chez les autistes confrontés au vécu de perte et de manque, un sentiment semble s’être développé : celui de la présence de nombreuses bouches regroupées autour de la leur et en concurrence pour l’objet vital qui paraissait essentiel à leur sentiment d’exister. Il s’agit d’un partage avec d’autres bouches aussi sauvages que la leur, ce sont les rivaux prédateurs, la “bouchée de nourrissons”. C’est cette terrifiante illusion qui semble les avoir précipités dans l’autisme. Tout contact avec un autre semble représenter une menace : qu’on les bouscule et qu’on extirpe la vie de leur corps. Afin “d’être”, ces enfants doivent affronter des terreurs sauvages et primitives.

 

Dans les “barrages autistiques à la perception”, elle nous montre combien une concentration excessive sur les sensations tactiles détourne l’attention des modes de perception visuels et auditifs de longue portée. Cette concrétisation empiète inévitablement sur le degré d’abstraction nécessaire à la formation des percepts et des concepts. Il s’agit donc des barrages autistiques à la formation des symboles (cfr H. Segal).

 

Elle reprend ici les très belles métaphores du Docteur Di Cegli : le symbolom mot grec signifie signe de reconnaissance, c’était un objet partagé entre deux personnes qui en gardaient chacune une moitié. Après une longue absence, une des deux personnes présentait sa moitié et si elle allait avec celle de l’autre le lien était alors évident. Le symbolom était donc un objet tangible qui pendant l’absence rappelait aussi à chacune l’absence de l’autre. Il représente en somme l’expérience de la présence associée au souvenir de l’absence. Ceci est mis en rapport avec la situation nourricière du bébé. Chez le bébé futur autiste, il y a un vécu de cassure en deux de l’entité langue-mamelon et le symbolon comme précurseur du symbole ne devient pas une expérience partagée. Il y a l’expérience du Diabolon. C’est la situation diabolique où les états extrêmes de ces enfants ne sont pas saisies par un être humain réfléchi, elles sont “lancées à travers un “néant”. La situation du métabolon est celle de faire l’expérience du symbolon et du diabolon et de les faire travailler, de les assimiler. Les états extrêmes de rage, d’extase et de terreur sont alors modulés mais non inhibés. La maîtrise psychique devient une preuve d’existence.

 

Dans son troisième chapitre, elle nous parle de la psychothérapie comme traitement de ces enfants autistes. Dans ces traitements, l’état d’esprit du thérapeute est de première importance. Ainsi, F. Tustin n’a pu mener à bien ce travail que dans son cabinet privé, pas dans une institution, car elle ne s’y sentait pas assez “chez elle”. L’intérêt et l’entière attention du thérapeute constituent une sorte d’ambiance psychique autour des enfants qui leur donne progressivement confiance dans le fait que cette protection peut remplacer l’illusion qu’ils ont d’être dans une capsule tangible, comme dans une coquille. Il faut un environnement simple et ordonné et un thérapeute perspicace qui voit dans le bon sens une qualité et dont le comportement soit discipliné et cohérent. Ce thérapeute doit vouloir apprendre quelque chose de ces enfants et se montrer capable d’être en contact avec ce qu’ils ressentent tout en préservant leur propre objectivité et leur séparation. F. Tustin loue les qualités du service hospitalier universitaire du professeur Houzel qui a développé tout un travail d’équipe pour traiter ces pathologies. A côté du travail avec les enfants, elle insiste sur la nécessité d’apporter un soutien plein de tact et d’encouragement aux parents. La mère et l’enfant autiste sont dans un état d'”unité” pathologique.

 

La mère est une “chose”, une sorte de sensation objet autistique parmi d’autres “objets subjectifs”. Quand l’enfant commence à supporter la frustration et la souffrance d’être né en tant qu’individu séparé et de grandir peu à peu, les parents ont à supporter cette situation. Dès lors que la mère commence à sentir que son enfant n’est pas tout dans sa vie, qu’elle a sa vie indépendante, leur lien réciproque d’équation adhésive peut alors se relâcher. Amener un enfant en psychothérapie et l’aider tout au long du traitement met les parents à rude épreuve. Ils ont besoin des encouragements et du bon sens du thérapeute. Le travail avec ces enfants et leurs parents est difficile et il faut travailler dur pour développer la compréhension de ce type de parents.

 

Elle nous relate les résultats très positifs du traitement de quatre enfants autistes.

 

Dans son quatrième chapitre, l’auteur confirme par d’autres études les résultats positifs des psychothérapies : l’étude de Selma Fraiberg (1982) et de Henry Massie (1978). Ces deux études mettent en évidence des détails des comportements du nourrisson et de la mère qui entravent la construction de leur relation. Tous les enfants semblent avoir manqué, mais pour diverses raisons, des interactions appropriées pour apaiser le choc de la séparation corporelle de la naissance.

 

Le cinquième chapitre est consacré à la psychothérapie avec ces enfants qui ne savent pas jouer. Elle décrit le type de psychothérapie adapté aux premiers stades d’un travail avec ces enfants si difficiles à atteindre.

 

Ces enfants doivent être fermement tenus par l’attention concentrée sur eux d’une personne vivante et protectrice. C’est le travail du transfert infantile qui suppose la modération du recours aux objets et aux formes autistiques dominées par les sensations. Ils ont besoin de revivre ces états de “gel” (figés de terreur ou de chagrin) avec un thérapeute empathique mais très ferme quant au cadre.

 

Pour Tustin, le transfert infantile est la situation qui met en train des transformations dynamiques telles que la possibilité de se servir de jouets comme symbole pour travailler sur des états de détresse. La cohérence et la fermeté du thérapeute aident à développer une croyance dans la continuité de l’existence de telle façon que les absences commencent à stimuler des images mentales, des fantasmes, des souvenirs adaptables et des pensées.

 

Dans le sixième chapitre, elle reprend le matériel clinique de David, enfant autiste qui lui a appris ce qu’est la “mise en capsule”. Ce cas avait déjà été exposé dans son premier ouvrage ” Autisme et psychose de l’enfant”, mais il est ici enrichi de nouveaux éléments de compréhension. Elle y parle notamment de “l’objet éclaté” et des manifestations psychosomatiques déjà mentionnées par S. Klein en 1980 dans son article sur “les phénomènes autistiques chez les patients névrosés”.

 

Elle nous souligne que les poètes et les artistes qui sont souvent en contact avec ces états sensuels non verbaux les expriment pour nous et nous permettent de mieux approcher ces vécus.

 

Le septième chapitre étudie la notion de capsule autistique chez les patients adultes névrosés.

 

Son livre “le trou noir de la psyché” traitait de cette question. Elle reprend la notion de la peur de l’effondrement de Winnicott, de la mise en capsule des vécus traumatiques de D. Rosenfeld et Y. Gampel (chez les victimes de l’holocauste). La “mise en capsule” semble pour elle, être un précurseur primitif concret du refoulement, de la dénégation et de l’oubli. Il s’agit d’une réaction protectrice psychophysique plutôt que d’un mécanisme de défense psychodynamique.

 

Dans le chapitre suivant, elle reprend les communications ou articles de divers auteurs sur ce thème des enclaves autistiques chez des patients névrosés.

 

Dans le chapitre 9, elle relate l’expérience de l’émergence de la coquille autistique à partir du matériel clinique de John, cet enfant qui l’avait sensibilisée au “trou noir” avec le méchant piquant. Elle y étudie comment l’autiste qui émerge doit rencontrer la notion du groupe et y faire face. Dans ce processus, l’enfant doit se construire une morale personnelle fondée sur des préconceptions innées. Le soutien de F. Tustin a été pour John de lui montrer les conséquences de ce qu’il était en train de faire donc d’une morale relative et pragmatique et non d’une morale absolue et autoritaire.

 

Le chapitre 10 reprend un article de trois analystes chiliens relatant le traitement d’un patient adulte présentant une capsule autistique, article lu au Congrès international de Psychanalyse à Rome en août 1989.

 

Ce livre est passionnant, comme tous les ouvrages de F. Tustin. Bien qu’un peu brouillon et pas toujours très bien structuré, il a l’avantage de nous apporter une mise en images et en mots de ces vécus de détresse extrême que nous retrouvons chez nos patients à divers degrés. On peut aussi lui reprocher une certaine carence quant à une élaboration métapsychologique rigoureuse de son travail thérapeutique – quoi qu’il en soit, un livre à lire.