La Crise écologique à la lumière de la Psychanalyse, de Cosimo Schinaia

Christine Franckx

29/03/2022

Notes de lecture

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La crise climatique. Un défi pour la psychanalyse

 

« Je suis jeté dans une nature et la nature n’apparaît pas seulement hors de moi, dans les objets sans histoire, elle est visible au centre de la subjectivité. »

Maurice Merleau-Ponty, 1945. Phénoménologie de la Perception.

 

Avec son dernier livre, Inconscient e l’ambiente. Psicoanalisi ed Ecologia, le psychiatre et psychanalyste italien Cosimo Schinaia démontre de manière convaincante les défis que la crise climatique pose également aux psychanalystes. Il le fait de manière prudente et soignée, bien documentée et toujours en accord avec sa conception de la psychanalyse qui comprend la place subjective de l’individu par rapport à son environnement.

Pour Schinaia, également dans ses travaux précédents (2016, Psychanalysis and Architecture ; 2017, Figures de la Pédophilie et 1997, Il Presepio dei Folli), il s’agit d’une optique psychanalytique qui considère les transitions entre l’espace intérieur et extérieur, avec des transformations et des identifications fluctuantes le long du spectre des conflits intrapsychiques et interpersonnels.  Dans ce livre, l’auteur revisite le thème de la relation intime entre l’intérieur et l’extérieur pour parler de la crise climatique. Il ne s’agit pas seulement d’une crise humanitaire qui implique inévitablement une grande souffrance psychologique individuelle, mais son évolution funeste n’est possible qu’en raison de la folie humaine persistante du déni et du reniement, des mécanismes de défense intrapsychiques et collectifs archaïques.

Comme d’autres auteurs psychanalytiques qui se risquent à réfléchir sur le réchauffement climatique et le rôle de l’humanité dans celui-ci (Sally Weintrobe, Luc Magnenat, Jos Dirckx, Bob Hinshelwood,…) Schinaia met également en avant l’importance des mécanismes psychiques de l’inconscient collectif pour comprendre les figures contemporaines de l’humanité dans sa forme et sa souffrance actuelles.

Car, quels démons et quelles résistances obstinées continuent de nous aveugler sur le biocide que nous avons collectivement mis en place en tant qu’humanité ?Qu’est-ce qui empêche les gens de mettre fin à cette menace pour la survie de la vie sur terre, et donc pour les générations futures ?

L’auteur rassemble divers aspects de la relation complexe entre la psyché et l’environnement et explore en outre les possibilités que le psychanalyste peut utiliser pour trouver des solutions constructives, de manière réaliste et prudemment optimiste, à partir de l’impasse nostalgique-utopique d’une Terre Mère infiniment généreuse. Le temps est venu de prendre soin de la terre de manière responsable et de sortir du cocon de l’anthropocentrisme. Bien que, selon l’auteur, l’horloge métaphorique de l’apocalypse planétaire soit à une minute et quarante secondes de minuit, il affirme qu’il est encore temps de réagir de manière appropriée afin de ralentir ce processus. En premier lieu, cela suppose que nous osions reconnaître que nous faisons à la fois partie du problème et de la solution.

La question écologique est en fait d’abord et avant tout une question éthique, affirme Schinaia.

Son livre donne des exemples tirés de la pratique clinique où la relation avec l’environnement au sens large peut acquérir une signification psychanalytique dans le processus thérapeutique. Il s’agit d’un plaidoyer en faveur d’une attention ouverte à l’ensemble du matériel apporté lors des sessions. Par exemple, il fournit un matériel clinique fascinant dans lequel des sujets tels que les déchets, le gaspillage des ressources naturelles, la pollution par la lumière et l’air, etc. sont traités comme des objets d’analyse qui font sortir de l’ombre les conflits inconscients du patient et lui offrent une nouvelle perspective.

Rassembler les points de vue de différentes disciplines scientifiques et culturelles dans un discours commun, “une cohabitation de langages et d’expériences”, tel est l’objectif de ce travail.

Schinaia préfère le terme de psychanalyse “impliquée” ou “intéressée” à celui de psychanalyse “appliquée” pour bien montrer qu’il s’agit d’un nouvel objet d’étude, qui n’est pas le résultat d’une interprétation psychanalytique réductrice et pathologisante de la réalité extérieure. Il montre clairement qu’à notre époque, nous avons besoin d’une théorisation psychanalytique plus complexe, qui se situe dans l’espace entre le désir de l’individu et les besoins de la société et de la nature. Une psychanalyse qui ose chercher les limites et qui peut s’ouvrir à la conceptualisation d’autres domaines. Il parle d’une “psychanalyse écologique” qui n’est ni étouffée sur le plan intellectuel ni aveugle sur le plan émotionnel.

À mon avis, la contribution la plus importante de ce livre est qu’en tant que clinicien expérimenté, il a compris que les mécanismes de défense drastiques et primitifs ne font que se renforcer s’ils n’offrent pas en même temps une perspective de réduction de la peur. N’est-il pas plausible que l’on tente de nier l’horreur d’avoir contribué à l’extinction de la race humaine, ainsi que de tant d’autres espèces et plantes, sans oser y faire face et en continuant comme si de rien n’était ? Schinaia rappelle la description faite par Bion (1962) des trois façons dont nous gérons habituellement la peur. Si la peur est totalement insupportable, elle est évacuée dans le monde extérieur par une identification projective et la relation avec la réalité est perdue de sorte qu’aucune évaluation réaliste ne peut être faite.

Une autre stratégie psychique inconsciente consiste à rechercher et à répéter ce qui est bien connu ou à rester sur place au lieu de développer de nouvelles formes de pensée susceptibles de provoquer des changements.  Ou bien il existe une tolérance minimale à l’angoisse, mais celle-ci est retenue par un sentiment de supériorité cynique et arrogant.  Tout comme un bébé affamé se jette impitoyablement sur le sein et ne cherche que la satisfaction, sans se soucier d’un éventuel épuisement ou d’un dommage, nous nous comportons de la même manière envers les ressources naturelles de la vie.

Nous sommes engourdis par la peur de l’effondrement lorsque, comme Winnicott l’a noté, nous avons déjà éprouvé ce sentiment mais ne l’avons pas encore intériorisé.

Schinaia explique comment cet état individuel de peur est renforcé par la dimension collective et précise que la psychanalyse a un rôle à jouer pour rendre conscients ces processus causés par l’angoisse, la confusion, la rage, etc.

Bien que l’auteur reste sobre et réaliste lorsqu’il aborde le problème le plus important et le plus pressant auquel l’humanité est confrontée au XXIe siècle, il ne sombre pas dans le pessimisme ou le désespoir et plaide en faveur d’une puissante réflexion psychanalytique qui met à nu les clivages individuels et collectifs existants et ouvre la voie à une évolution vers une position dépressive centrale de deuil, de responsabilité et de réalisme.

Ce livre, malgré le sujet difficile et dérangeant, donne du courage grâce aux réflexions engagées et compétentes de l’auteur.

 

Références bibliographiques :

Dirckx, Jos. 2019.Grenzen en Grenzeloosheid. Psychoanalyse in een nieuwe tijd.  . Ed. Shibboleth.

Magnenat, Luc. 2019. La crise environnementale sur le divan. Ed In Press.

Stolorow, Robert. 2020. Planet Earth. Crumbling Metaphysical Illusion IN Environmental Crisis and Pandemic. A challenge for Psychoanalysis. Ed Frenis Zero Press.

Weintrobe, Sally. 2021. Psychological Roots of the Climate Crisis. Neoliberal Exceptionalism and the Culture of Uncare. Ed. Bloomsbury Publishing.