FERENCZI – GRODDECK

Melon, Jean

1982-10-01

Notes de lecture

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La correspondance entre Sandor FERENCZI et Georg GRODDECK s'étend sur douze années, de 1921 à 1933, date de la mort de FERENCZI. GRODDECK mourra l'année suivante.
On attendait avec impatience la publication de cet échange de lettres entre «l'enfant terrible de la psychanalyse» et «le psychanalyste sauvage». On pouvait espérer que des éléments inédits surgiraient qui enrichiraient l’histoire de la psychanalyse.
Au total, il faut déchanter. Rien ne se révèle de vraiment neuf.
Sans doute l'intérêt de cette correspondance est-il mitigé du fait que seules trois lettres de GRODDECK ont échappé à la destruction. C'est assez toutefois pour se faire une idée des positions et du style de GRODDECK tant dans sa relation particulière avec FERENCZI que dans ses rapports à la psychanalyse en général.
Les deux amis avaient en commun une imagination débordante qui les entraînait aux spéculations les plus fantaisistes.
L'un et l'autre mettaient également le souci thérapeutique au premier plan.
Mais tandis que GRODDECK, poète dans l'âme, se refuse à hiérarchiser le savoir, cultivant les métaphores pour leur aptitude supposée à mobiliser les puissances obscures du Ca, FERENCZI est possédé par le démon de la systématisation, avec une propension à fabriquer, comme Otto RANK, des mythes bioanalytiques.
Les quelques allusions que FERENCZI fait aux opinions de FREUD concernant la manière de penser et d'agir de GRODDECK, valent tout autant et même davantage pour FERENCZI lui-même.
Elles confirment ce qu'en dit GRANOFF dans «Filiations» (Paris, Editions de Minuit, 1975), à savoir que FREUD, très tolérant en matière de théorie, acceptant les points de vue les plus ésotériques, était absolument intransigeant sur les questions de doctrine : la règle fondamentale, tout dire, ne rien faire, associations libres et abstinence, un point c'est tout !
On sait que le désaccord entre FREUD et FERENCZI ne portait pas sur des divergences théoriques mais sur l'introduction dans la cure classique de variantes techniques dites actives.
Les lettres de FERENCZI à GRODDECK révèlent un homme anxieux, souffrant d'une multitude de maux physiques, auxquels il est difficile de refuser le qualificatif d’hystérique et qui n'en finit pas de quémander des marques d'affection et d'amour.
Plus révélatrice encore est cette petite phrase extraite d'une lettre adressée en 1936 par la veuve de FERENCZI à la veuve de GRODDECK : «Sandor était, comme tu sais, un «brouillon» et un enfant insouciant, qui ne vivait que pour la minute présente et pour en goûter les joies…». Le jugement mi-tendre mi-sévère que Gisella FERENCZI porte sur son défunt mari rejoint l'impression générale qu'on a communément de Sandor FERENCZI : génial, terriblement sympathique et attachant mais aussi, malheureusement, affublé d'une incontinence affective redoutable.
Si bien qu'il est difficile de chasser l'idée que la «technique active» et les «techniques d'indulgence (sic) et de relaxation» qui l'ont suivie après 1926, ont dû correspondre à la mise en acte d'un conflit névrotique puissant. Ce n'est pas faire injure à la mémoire de FERENCZI que d'avoir à constater qu'il était plongé jusqu'au cou dans un marécage névrotique particulièrement visqueux. A sa décharge et à son honneur, il faut dire qu'il avait une conscience aiguë de ses propres failles. Le constat de carence qu'il avait fait sur lui-même devait l’amener, à une époque où ce n'était encore évident pour personne, à proclamer la nécessité absolue de l'analyse didactique, contre l’auto-analyse.
Sans doute avait-il un besoin tellement exacerbé de contact immédiat avec les autres qu'il ne pouvait s'empêcher de les toucher et de les caresser. Cette compulsion à embrasser ses patients était-elle seulement analysable ?
On comprend à quel point FERENCZI fut pour FREUD, qui l'aimait – tout le monde aimait Sandor -, une occasion de tourment, non tant parce qu'il avait le souci d'introduire des variantes techniques dans la cure que parce que son zèle «thérapeutique» était manifestement symptomatique d'une disposition morbide non analysée et peut-être inanalysable. C'est le cas «FERENCZI« qui devait conduire FREUD à écrire «Analyse finie et interminable».
GRODDECK ne tombe pas sous le coup des mêmes reproches. N'ayant aucun goût pour le métier de psychanalyste avec ce qu'il exige de renoncement absolu à toute espèce d'interventionnisme actif, GRODDECK n'a sans doute jamais été un psychanalyste «pratiquant». Les découvertes de la psychanalyse l'intéressaient dans la mesure où elles fournissaient un cadre théorique voire esthétique à une pratique qui n’avait rien à voir avec la cure analytique.
Quand FREUD l’invitait à se considérer comme psychanalyste, GRODDECK déclinait poliment.
Il avait raison. Ce n'était pas un signe de fausse modestie mais une attitude logique et honnête. Etre psychanalyste, en effet, implique avant tout qu'on pratique la méthode psychanalytique et qu'on privilégie le type de fonctionnement psychique que cette méthode promeut nécessairement.
Pour ce qui est des appartenances théoriques, c'est comme pour les goûts et les couleurs : «Non disputandum !». Sauf si c'est l'occasion de passer agréablement le temps comme faisaient sans doute FERENCZI et GRODDECK quand ils se retrouvaient au «Satanarium» de Marienhöhe.
Car cela au moins est certain : ils ne se prenaient pas au sérieux.
Pas tout le temps.