Essai psychanalytique sur le vêtement

Minazio, Nicole

1983-04-01

Notes de lecture

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La «Robe» qu'endosse Eugénie Lemoine-Luccioni est une oeuvre riche et chatoyante. Si la coupe et la structure en sont rigoureusement sous-tendues par les repères théoriques lacaniens, l'étoffe en est finement tissée : les fils de l'expérience analytique, de la poésie, de l'ethnologie, de l'art, s'y croisent et s'y enchevêtrent en un réseau complexe.

Que représente le vêtement qui se donne à voir, qui nous cache et nous révèle, qui nous déguise et nous illusionne ?

Contrairement à Roland Barthes qui s'intéresse à étudier le langage de la mode, Eugénie Lemoine-Luccioni surprend «le vêtement dans l'acte inaugural de la coupe précédant la couture» 1. Il s'agit donc d'un processus de fabrication. Faire qu'étoffe et matière deviennent structure coupée, assemblée, recoupée et trouée. Acte créatif émanant du désir de donner forme à l'informe, d'engendrer une surface signifiante, langage du corps. Il s'agit d'une coupure radicale, créatrice et génératrice de sens.

Le corps, lieu des pulsions, bouge et s'exprime. Toujours voué à la représentation, il est en fait vêtu d'idéologie, d'esthétisme et de vêtements proprement dits.
Claude Lévi-Strauss affirme qu'il est très rare de trouver des tribus dans lesquelles le vêtement soit inexistant et que, dans ce cas, elles sont dégénérescentes. Le port d'un vêtement aussi sommaire soit-il, correspondrait donc à l'avènement de la socialisation. Il représente l'élément d'une image de soi que l'on montre à l'autre. Selon Hegel, le nu absolu n'a pas de signification. Il ne parle qu'au travers des voiles, des étoffes, des masques, du maquillage dont il peut s'envelopper ou se dénuder.

Le regard y joue un rôle prépondérant. La pulsion «scopique-voir et être vu» y est vivement interpellée. Le vêtement superpose une géographie à celle du corps. En cachant certains lieux, pour en mettre d'autres en valeur, il conduit le regard. Joan Rivière parle de mascarade féminine : les femmes se montrent aux hommes, en faisant étalage de ce qu'elles n'ont pas (un pénis), elles exhibent une féminité, masque d'une masculinité inconsciente destinée à éviter la vengeance de l'homme.
Les hommes, eux, font parade de ce qu'ils ont (l'organe). Ils se parent même de médailles et de décorations. Ils parent à quoi ?

Hommes et femmes ont en commun l'angoisse de castration fondée sur la différence des sexes. Le vêtement assurerait alors une fonction de phallicisation stimulée par la mode, cette dernière fonctionnant à la manière d'un phallus tout-puissant, auquel tout un chacun se soumettrait. L'interview du couturier Courrège est exemplative : non content de recréer l'image féminine, voire la femme, il anticipe le monde futur, donnant à son oeuvre une dimension cosmique.

Le vêtement, signe paradoxal du secret, laisserait comme le symptôme, affleurer l'inconscient.
«Le vêtement donne à voir, à seule fin de cacher, ce qui de toute façon se montre, à savoir le désir, pas au-delà» 2.
Les statues du sculpteur Ipoustéguy sont trouvées. Sujet troué, sujet blessé… chemin qui, de la castration, mène à une blessure plus fondamentale.
Le bébé se voit d'abord dans le visage de sa mère, puis dans le miroir. Il est vu, donc il existe, il peut voir et regarder. Il est habillé de l'image de lui que lui renvoie sa mère et qui conditionne le développement de son moi.
Winnicott aurait ici son mot à dire : «le visage de la mère qui réfléchit ce qui est là pour être vu» 3.
Le sujet est donc reconnu par l'autre ; il s'en sépare et devient réel. Le vêtement parerait alors également à ce premier manque et tenterait d'apaiser la souffrance de cet arrachement premier. Il se ferait alors deuxième peau, doublure, enveloppe, refaisant un dehors et un dedans, contenant unifiant.
«Si le vêtement est l'effet d'une prolifération narcissique, c'est que le narcissisme est vital. Aussi vital que l'aventure signifiante est mortelle. Nous sommes voués au semblant» 4.

Le vêtement nous leurre, espérant cacher ce qu'en fait, il révèle. Il ménage toujours des ouvertures pour un possible jeu sexuel, tout en assurant la distance. Il est «capsule où le sujet s'enferme pour ensuite éclater» 5. Il est là essentiel sur le chemin des identifications qui constituent le moi du sujet. Il est signe de désir.

«Si la robe est prétexte, sans doute celui-ci vaut-il pour le texte absent» 6. Absence que nous supportons mal et qui fait de nous ce voyageur en quête de réponse et de partage. C'est en cela que nous stimule la lecture de cet essai coloré et vivant.

1 «La robe».

2 Winnicott, D.W. (1971), Playing and Reality. Trad. Fr., Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard, 1975.

3 «La robe». 

4 «La robe».  

5 «La robe».  

6 «La robe».